Hélêne CHAUBIN : « La Shoah a tellement marqué les imaginations que la déportation des résistants, sans àªtre occultée, peut paraître pour certains éclipsée par celle des Juifs, ce qui n’est ni pertinent, ni acceptable ».
La persécution et le génocide subis par les juifs pendant la deuxième guerre mondiale n’ont occupé progressivement une place centrale dans la mémoire collective qu’à partir des années 1960-1970. Les historiens reconnaissent que les juifs, les étrangers, les femmes, ont longtemps constitué pour eux des catégories marginales sans que cela signifiât un refus de reconnaître leur engagement résistant . Un engagement fréquemment individuel et sans lien direct avec une spécificité juive comme ce fut le cas pour Raymond Aubrac, Serge Ravanel ou Marc Bloch. Ce n’est pas comme résistants que les juifs sont placés au centre de la mémoire de cette période mais en tant que victimes de la plus extrême des persécutions décidées par les nazis. Leur martyre a été préparé par l’antisémitisme qui s’est exprimé dans toute l’Europe dès le siècle précédent et a trouvé dans l’entre-deux guerres un terreau favorable. En France, l’opinion a subi un discours qui dénonçait les juifs comme responsables de la défaite face aux Allemands. Quand ils ont été frappés d’exclusion par les statuts de 1940 et 1941, les réactions n’ont pas été à la mesure de la menace. Celle de Témoignage chrétien en novembre 1941 : « France, prends garde de perdre ton âme », fait exception. En 1942, avec les grandes rafles et les déportations, les Mouvements de Résistance affirment leur solidarité avec ceux qui sont les cibles principales des nazis : les communistes et les juifs . Ce qui dissocie les uns des autres est l’application de la « solution finale » adoptée en janvier 1942 à la conférence de Wansee, un quartier de Berlin : le plan d’extermination des juifs – et peu importait qu’ils soient ou non résistants, qu’ils soient ou non adultes -, un plan qui avait pour objectif de déporter et tuer en Europe 11 millions de juifs. Le procès-verbal de la réunion fut signé par Eichmann. En 1961, le procès Eichmann compta parmi les évènements éveilleurs de conscience. Pendant la guerre, toute l’Europe était couverte de camps. Internement des étrangers, des communistes, des juifs, des résistants. En 1945, le difficile retour des déportés survivants provoqua des sentiments de pitié et d’horreur : on les voyait comme des hommes et des femmes de grand courage et la mémoire se formait autour du culte légitime des héros. Les juifs eux-mêmes commémorèrent en premier lieu le 19 avril, jour anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, le « jour des héros ». Le procès de Nuremberg où témoigna le commandant du camp d’Auschwitz, évoqua le génocide sans en faire cependant le thème central. C’est par l’image que fut perçue dans le grand public la particularité du sort des juifs, déportés raciaux, objets d’un mépris allant jusqu’à la négation de leur droit à la vie : des films, la série télévisée « Holocauste », en 1979, ou, en 1985, le documentaire de Claude Lanzmann « Shoah », un mot hébreu qui signifie « catastrophe », ont précédé les travaux de l’historienne Annette Wieviorka sur le génocide. Elle distingua les camps d’élimination comme Dachau ou Buchenwald des camps d’extermination et des centres de mise à mort qui furent réservés aux déportés raciaux comme Auschwitz, Belzec et Sobibor. En France où vivaient 330 000 juifs, plus de 250 000 furent sauvés : par les « Justes » qui les cachèrent, et par les résistants qui organisèrent des filières d’évasion. 30 000 avaient trouvé un refuge temporaire dans la zone d’occupation italienne jusqu’en septembre 1943, mais seuls furent saufs ceux qui se trouvaient en Corse.
Sur 141 000 déportés de France, il y eut près de 76 000 déportés raciaux dont 2 500 survivants (aucun enfant), et 65 000 pour des motifs politiques et des faits de résistance dont 23 000 survécurent. Tous ont connu des atrocités qui marquent d’infamie l’Europe du XX° siècle. La Shoah a généré le concept de « crime contre l’humanité » qui est imprescriptible. Elle a induit dans une communauté juive qui était très hétérogène un sentiment d’unité que défend aujourd’hui le CRIF, Centre représentatif des institutions juives de France. Elle a tellement marqué les imaginations que la déportation des résistants, sans être occultée, peut paraître pour certains éclipsée par celle des Juifs, ce qui n’est ni pertinent, ni acceptable. L’histoire de la Résistance et de ses sacrifices est bien distincte de l’histoire des crimes des
nazis inspirés par leur racisme.
L’antisémitisme n’est pas mort. Il a fallu légiférer contre le négationnisme (Loi Gayssot de 1990). Le phénomène de la Shoah est nié par les tenants d’un antisémitisme radical. Il est gênant pour ceux qui nient des complicités historiques (Vichy, une partie du Haut clergé, des groupements politiques allemands ou autres). La naissance d’Israël, ses conflits répétés avec les pays arabes, la question palestinienne, ont élargi le camp des détracteurs. L’assemblée générale de l’ONU en 2007 a condamné tout déni de l’Holocauste.
Hélène Chaubin.
- Jean-Marie Guillon et Robert Mencherini, s/dir. La Résistance et les Européens du sud, Actes du colloque d’ Aix-en-Provence mars 1997, L’ Harmattan, Paris, 1999.
- Pierre Laborie, « La Résistance et les juifs », in Dictionnaire historique de la Résistance, dir/ François Marcot,
p.895-897, Robert Laffont, Paris, 2006, 1187p. - Annette Wieviorka, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli. Hachette, Paris, 2003, 516p.