Serait-elle si encombrante cette libération de l’île pour qu’elle soit si souvent « omise » ? Bien sûr, la Corse rayée de la carte de France, on est enfin dispensé d’en faire état. Il fallait y penser.
En 2004, à la veille de la commémoration du 11 novembre, sortait sur les écrans le film de Jean-Pierre Jeunet « Un long dimanche de fiançailles », qui se déroule sur fonds de Première Guerre mondiale. Ce film suscita une vive polémique parce que dans une des scènes du film on voit un des soldats condamnés à mort tenter de se rendre aux Allemands en criant : « Ne me tuez pas, je ne suis pas Français, je suis Corse moi ». Dans l’île, cette scène d’un lâche reniement a été reçue comme une offense aux plus de 11.000 Corses morts au champ d’honneur (…d’horreur dirait Jacques Brel).
Offense et provocation car les mots que le réalisateur attribue à un Corse, l’auteur du livre éponyme dont est tiré le film, Sébastien Japrisot, les fait prononcer par un Italien. La volonté de nuire aux Corses ne fait pas de doute de la part de Jeunet. « Corses pas Français », c’est ce que pense Jeunet. De quoi réjouir les séparatistes de l’île et du continent.
Les mêmes se réjouiront de la carte de France – l’hexagone sans la Corse- qui figure à la page 7 d’un document élaboré par la Fondation de la France Libre et diffusé par la Fondation de la Résistance aux Centres de Documentation Pédagogiques afin de préparer le Concours national de la Résistance et de la Déportation. Certes on ne peut prêter aux Fondations précitées les intentions de Jeunet mais autant nous voulons bien, magnanimement, une fois de plus, mettre au compte de l’ignorance l’omission de la libération de la Corse dans le tableau chronologique (page 47), autant il ne fait pas de doute que l’exclusion de la Corse de la carte de France est un acte délibéré.
Serait-elle si encombrante cette libération de l’île pour qu’elle soit si souvent « omise » ? Bien sûr, la Corse rayée de la carte de France, on est enfin dispensé d’en faire état. Il fallait y penser. Mais c’est sans compter sur notre vigilance pour ne pas laisser faire. Les deux sections A.N.A.C.R. de Corse ont protesté. « Tant pis, écrivent-elles, pour les patriotes qui ont résisté pour que nous restions Français quand Mussolini nous voulaient Italiens. Tant pis pour les 22 classes d’âge qui si tôt la Corse libérée sont parties combattre hors de l’île. Tant pis pour le colonel des F.F.L. Colonna d’Ornano mort sur les sables d’Afrique. Tant pis pour le Capitaine Préziosi, héros du groupe de chasse Normandie Niémen. Tant pis pour Fred Scamaroni, gaulliste de la première heure, mort héroïquement dans son cachot de la citadelle d’Ajaccio. Dommage pour les troupes venues d’Alger aider la Résistance pour faire de l’île « le bastion avancé » de la délivrance du pays. Dommage pour le Général De Gaulle venu exalter l’insurrection et les combats libérateurs. (…) Tant pis pour tous ceux-là à qui va notre reconnaissance. Si d’aucuns les oublient, nous, nous ne les oublions pas et nous œuvrerons pour que les élèves de Corse qui préparent le concours national de la Résistance et de la Déportation sachent qu’ils sont concernés même si la Corse ne figure pas dans le document qu’on leur distribue. Nous leur conseillerons de consulter le « Dictionnaire de la Résistance » où la Corse figure en bonne place. Ce livre très utile dont vous avez le mérite de la publication rachètera la mauvaise opinion laissée par la lecture de la lettre. Et les A.N.A.C.R. de Corse concluent : « Soyez assuré, Monsieur le Président, de nos sentiments patriotiques et de notre respect pour votre Fondation dont nous voulons bien croire qu’elle saura à l’avenir laisser aux patriotes corses, ‘la fortune et l’honneur d’avoir été le premier morceau de France libéré’ ».
Antoine Poletti
N.B. Cette lettre a reçu une réponse publiée intégralement dans l’éditorial suivant celui-ci