La demande de Maxime Cohen, responsable de la communauté juive insulaire adressée à Yad Vashem pour que la Corse soit reconnue « Ile juste » a reçu une réponse cinglante de Paul Schaffer, Président du Comité français de Yad Vashem France : « Ce que raconte Cohen est absurde […] La Corse n’obtiendra jamais cette distinction quoiqu’il en dise » (Corse-matin du 5 mai 2010).
La Corse avait elle aussi ses antisémites.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la Corse est le seul département français (Il y avait un seul département pendant la guerre) d’où aucun Juif n’a été déporté*. Le fait mérite d’être souligné(1). Pour autant, de là à dire que «…la Corse ne s’est jamais alliée à ces crimes [nazis], mais au contraire a manifesté sa solidarité avec les persécutés en luttant et en empêchant la déportation de ses Ebrei (Juifs en langue corse)» et que «…la Corse a toujours été un sanctuaire pour les pourchassés»(2) c’est, à bon compte, mettre la Corse au Panthéon de l’humanité, c’est attribuer aux Corses des vertus qu’ils ne partageaient pas tous. Et Iannis Roder, responsable de la formation à la Fondation de la mémoire de la Shoah rappelle, à l’appui du refus de Paul Schaffer, que lorsque durant l’été 1943, 57 chefs de famille Juifs de Bastia ont été assignés à résider à Asco, nulle protestation ne s’est élevée alors. Il fait observer que la «Légion Française des Combattants» a recruté en Corse près de 20 000 adhérents alors que son chef, Darnan (3) avait clairement défini la ligne de son organisation à Nice lors de sa création en 1940 : «Partez, avait-il déclaré à ses ouailles, en emportant mon mot d’ordre. Nous avons besoin que les vrais Français patriotes remplacent les métèques, les Juifs et les étrangers». Même Doriot, antisémite forcené, chef du Parti Populaire Français, avait recruté jusqu’à 300 adhérents dans l’île qui ne manqueront pas de manifester leur hostilité aux Juifs en distribuant des tracts antisémites et en barbouillant quelques vitrines de commerce leur appartenant. Quant à la presse pétainiste corse, à l’instar de la presse nationale officielle, elle fustige «…les fauteurs de discorde, Juifs échappés des ghettos, francs-maçons chassés de leurs termitières, communistes impénitents, apatrides saboteurs». (Bastia journal. 21.06.1941). Et la presse catholique n’est pas en reste ; le « Bulletin diocésain » d’août 1941 justifie la persécution que les Juifs subissent «…parce qu’ils commençaient à trop s’identifier avec les peuples au milieu desquels ils vivaient et qu’ils étaient en train de perdre leur originalité ; alors Dieu a permis qu’ils fussent ramenés durement à leur destinée». Le Bulletin diocésain du 24 août 1942, juste après la rafle du Vél. D’Hiv, récidive sous la plume de Joseph Ferracci, membre du Conseil diocésain, qui ratiocine sur la mystérieuse destinée des Juifs, justifiant les persécutions de ce peuple qui n’a pas reconnu Jésus comme le Messie (4 ). Tous des Corses ces journalistes qui trempaient leur plume dans le venin judéophobe !
Voilà pour la presse des années 40-41-42. Mais les esprits avaient déjà été travaillés dans l’île, durant l’entre-deux guerres, par la presse d’extrême droite et la presse irrédentiste comme «A Muvra». A la fin des années trente, ce journal justifie les agressions auxquelles nazis et fascistes se livrent contre les peuples en avançant que les dictateurs fascistes luttent « contre la grande offensive hébraïque ourdie à Moscou et à Londres ». «Si les Juifs et les francs-maçons veulent la ruine de Hitler et de Mussolini qu’ils y aillent eux-mêmes» peut-on lire dans ce journal à la veille de la guerre.
Pourquoi il n’y eut pas de juifs déportés ?
A l’énoncé de tous ces faits on comprend que la Corse n’est pas Chambon-sur-Lignon. Mais alors à quoi les Juifs qui étaient en Corse (5) doivent-ils leur salut ?
*A la sympathie de nombre de nos compatriotes pour ces familles juives qu’ils fréquentaient et qu’ils appréciaient depuis longtemps.
*Au fait que l’occupation italienne, qui ne dure que 11 mois, advient à un moment de la guerre où les troupes du Duce ont d’autres soucis que les Juifs. Les Italiens préfèrent, non sans quelques succès, s’occuper de mater la Résistance. Le général Magli arrivé en mars 1943, s’intéresse plus que son prédécesseur aux Juifs de Corse, mais son principal souci est bien la traque des maquisards. Et puis, comme partout ailleurs, les Italiens ont en Corse aussi «…la ferme détermination de ne pas laisser les Allemands empiéter sur un terrain qu’ils considèrent comme étant exclusivement de leur compétence» (6) (Voir : Le sort des juifs en Corse)
*A l’absence de sentiments antisémites aussi bien chez le préfet Balley (à qui Vichy reproche de ne pas aller assez vite pour recenser les Juifs de l’île) que chez les sous-préfets qui trainent les pieds. Celui de Bastia, Rix, F.F.L., ne trouve même pas de juifs dans sa circonscription ! Et pour cause. Il est intervenu auprès du consul de Turquie à Marseille pour que les Juifs de son arrondissement soient déclarés sujets Turcs.(7)
C’est méconnaitre l’histoire si on affirme que le salut des Juifs en Corse a tenu à la « …solidarité avec les persécutés en luttant et en empêchant la déportation de ses Ebrei ». Quelles persécutions ? Quelles luttes ? Quels empêchements ? Des actes individuels accomplis par nos compatriotes, soit et ils sont méritoires. Mais les Corses ne sont pas le sel de la terre …ni sa lie. Ils furent des Français ordinaires. « Avec des bons enfants et des mauvais sujets » disait Jacques Prévert. C’est un raisonnement simpliste ou spécieux qui conduit à arguer du fait qu’aucun Juif n’a été déporté de Corse pour justifier la demande de reconnaissance «Ile Juste» par Yad Vashem. Ce même raisonnement appliqué aux Résistants, cela reviendrait à conclure que n’ayant pu les sauver de la mort (une centaine de morts ou fusillés recensés), de l’internement (Les édiles internés de Prunelli di Fium’Orbu jugés potentiellement dangereux pour le Duce) ou de la déportation (les 37 déportés de Petreto-Bicchisano), les Corses, tous les Corses, s’en seraient désintéressés ou pire étaient consentants. Ce ne fut pas le cas. La Corse ne mérite ni excès d’honneur ni indignité.
Antoine Poletti
* Cet éditorial a été mis en ligne avant qu’un historien, Louis Luciani, ne découvre aux archives départementale l’existence d’un déportation (Corse-matin 31.05.2010). Cette information n’infirme en rien cet éditorial parce que le fait qu’aucun juif n’ait été déporté de Corse était un fait remarquable qui « méritait d’être souligné » mais pas fondamental. Voir éditorial suivant.
- Serge Klarsfeld en a fait la proposition à l’Assemblée de Corse lors de sa présence à Ajaccio pour «Le cycle du film Résistance» organisé en avril 2007 par Ciné 2000 et l’ANACR 2A.
- Pétition lancée sur son site Internet par la Fédération des Associations de Paris. Voir aussi Corse-matin du 16.06.2001
- Joseph Darnan a créé ensuite la milice. Il a été passé par les armes à la Libération
- Ce qui n’a pas empêché certains curés et abbés d’entrer dans la Résistance. (Le père Berner et le père Bitonswki, fusillés par les Allemands)
- Hélène Chaubin évalue à 210 familles soit 6-800 les juifs de Corse auxquels il convient de rajouter quelques dizaines de juifs venant du continent. Conférence prononcée à Ajaccio le 15 avril 2009 au Palais des Congrès à Ajaccio. document Non publié
- Hélène Chaubin. Cd Rom «La Résistance en Corse» Ed. AERI
- « Libération de la Corse ». Général Gambiez. Hachette Littérature 1973