Il s’en ait fallu de peu que la République célèbre Céline. Certes, l’incongruité ne serait pas passée inaperçue mais la polémique née de l’injonction faite par Serge Karsfeld (1) au Ministre de la culture pour qu’il retire Céline du programme officiel des célébrations a braqué les feux de l’actualité sur le 50ème anniversaire de la mort de l’écrivain en 1961 et soulevé indignation et réprobation. Comment le Haut Comité des Célébrations nationales a-t-il pu inscrire Céline à son calendrier ? Encore heureux que le hasard de l’histoire n’ait pas placé sur le même calendrier 2011 Céline avec Jean Moulin. Quel pataquès !
Céline, parangon de conduite morale ?
Célébration donc. Et sur quels critères opérer ce choix ? Alain Corbin, membre de ce Haut comité, professeur émérite à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, s’en explique dans la brochure que ledit comité a diffusée à des dizaines de milliers d’exemplaires. Il faut choisir écrit-il « des individus dignes d’être célébrés ; c’est-à-dire ceux dont la vie, l’œuvre, la conduite morale, les valeurs qu’ils symbolisent sont aujourd’hui reconnues comme remarquables. […] C’est une façon de révéler, de proposer à l’admiration des jeunes générations des hommes et des femmes qui ont construit l’histoire nationale ».
En triant avec un tamis aussi fin les hommes et femmes qui accéderont au Panthéon de la République, il ne devrait pas y avoir beaucoup d’élus. Eh bien non ! On y trouve pêle-mêle Johnny Halliday (parce qu’il y a 50 ans il donnait son premier concert), Clovis, Louis XIV, Frantz Fanon et tant d’autres. Et parmi les scories de 2011, Céline. Certes, Céline a bien participé à la construction de l’histoire nationale « mais au verso » aurait dit Victor Hugo. Il y a une part incontestable par ses talents d’écrivain mais il en est aussi sa part d’ombre, un véritable trou noir, fangeux et nauséabond où il trempait sa plume haineuse pour éructer son antisémitisme et ses abjects appels aux meurtres.
La mémoire généreuse mais pas la mémoire courte.
Alors, faut-il le proposer à l’admiration des jeunes générations. Assurément, NON. Faut-il pour autant l’ignorer ? NON plus, parce que ce serait s’amputer d’une œuvre majeure de notre littérature. Et surtout, parce que si nous voulons rendre le présent à ses tâches il faut le libérer du passé ; mais par dépassement et non par refoulement ; non par l’oubli qu’on subi comme un poison mais par l’oubli comme un remède qu’on s’impose. Alors, lisons et étudions Céline. Méditons en même temps, sur la capacité de l’homme à conjuguer talent et barbarie, excellant dans celui-ci pour mieux servir celle-là.
« N’oublions jamais que cela fut » répétait Primo Levi. Pour autant, « L’humanité ne se fonde pas sur le souvenir douloureux du pire mais sur la mémoire fortifiante du meilleur, de ce qui est exemplaire pour nous » fait remarquer notre compatriote, le grand philosophe Jacques Muglioni qui poursuit : « Nous n’aurions aucune idée de l’humanité si nous n’étions pas capable d’entretenir le souvenir d’un passé qui nous porte et persiste à nous dispenser sa gloire. La honte n’a pas d’avenir et elle n’intéresse qu’une mémoire malheureuse » (2). A « la mémoire du ressentiment qui infecte l’existence » préférons la mémoire généreuse. Mais pas non plus la mémoire courte.
Deux chemins désastreux : la haine et le pardon.
Le choix du Haut conseil des Célébrations nationales et la polémique qui s’en est suivie, outre la publicité faite à Céline aura quand même servi le nécessaire débat sur la façon d’appréhender cette récurrente et délicate question des écrivains qui se sont mis au service de l’occupant ; question brûlante quand il s’est agi d’épuration, après la guerre.
Le cas le plus connu est celui de Brasillach dont le Général de Gaulle, contrairement à d’autres cas, a refusé la grâce malgré les écrivains pétitionnaires emmenés par François Mauriac qui la lui demandaient. « …je ne me sentis pas le droit de gracier, explique le Général, car, dans les lettres comme en tout, le talent est un titre de responsabilité » (3). Albert Camus avait lui aussi pétitionné parce qu’il était contre la peine de mort mais les échanges entre François Mauriac et lui-même avaient été peu amènes. Et soupçonnant Mauriac d’incliner au pardon de Brasillach, il s’était expliqué dans le journal Combat. « …je vois deux chemins de mort pour notre pays (et il y a des façons de survivre qui ne valent pas mieux que la mort). Ces deux chemins sont ceux de la haine et du pardon. Ils me paraissent aussi désastreux l’un que l’autre. Je n’ai aucun goût pour la haine (…). Mais le pardon ne me paraît pas plus heureux et, pour aujourd’hui, il aurait des airs d’injure » (4).
…encore moins la réhabilitation
Pas de haine donc mais pas de pardon non plus. Et encore moins de réhabilitation comme on pourrait le craindre s’agissant de certains écrivains corses (talentueux) de l’Entre-deux guerres, qui selon certains, auraient été poussé dans les bras de Mussolini par la France jacobine et laïque, « Mariannona » (5) ; écrivains dont on nous dit qu’ils auraient été injustement condamnés. En Belgique, ce sont les flamingants qui mènent le combat de la réhabilitation des anciens collaborateurs des nazis ; le « Le Canard enchaîné » du 2 février 2011 relate que 70 des 88 parlementaires flamands veulent «effacer, pour l’avenir, tous les effets des condamnations et sanctions infligées du chef d’acte d’incivisme prétendument commis entre le 10 mai 1940 et le 8 mai 1945» parce que « Il est pratiquement impossible de tracer une ligne de démarcation nette entre collaboration et Résistance » affirment les rapporteurs. Et puis après tout, osent-ils, « l’incorrection dont a fait preuve l’Etat belge à l’égard du peuple flamand a considérablement favorisé les tendances collaborationnistes». L’Etat belge accusé, les collaborateurs excusés. Les Juifs victimes? Voire. Pour un peu, les députés flamands nous serviraient ce que le Bulletin diocésain d’Ajaccio nous servait déjà l’été 1941 (6). On peut y lire que «La persécution actuelle est venue parce qu’ils [les juifs] commençaient à trop s’identifier avec les peuples au milieu desquels ils vivaient et qu’ils étaient entrain de perdre leur originalité ; alors, Dieu a permis qu’ils fussent ramenés durement à leur destinée». Autrement dit : l’antisémitisme, c’est la faute des juifs eux-mêmes donc le châtiment est mérité. Céline en aurait ricané
Antoine POLETTI
- Président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF)
- Jacques Muglioni. « L’école ou le loisir de penser ». Ed. Centre National de Documentation Pédagogique. p. 203
- Charles de Gaulle. « Mémoires ». Ed. La Pléiade ». p. 701
- Albert Camus. Essais. Ed. La Pléiade. p. 286
- Le grosse Marianne.
- Bulletin religieux du diocèse d’Ajaccio. N° 16 du 24.08.1941. p. 232