Au sortir des élections du printemps 2017, le paysage politique a été profondément modifié. On savait contestée l’alternance habituellement présentée comme un choix entre la gauche et la droite ; on savait le succès grandissant de l’offre politique « pas la droite, pas la gauche » qui a fait depuis quelques décennies la fortune du Front National et des nationalistes corses, mais on ne soupçonnait pas que le mouvement (devenu parti) créé par Emmanuel Macron, puisant dans la même veine – ni droite ni gauche -, puisse en quelques mois le porter à la présidence de la République et lui assurer une large majorité au Palais Bourbon.
Cette fois encore l’appel au « réflexe républicain » contre le parti d’extrême droite a produit son effet mais ce ne fut pas avec le même allant et la même ampleur qu’en 2002 pour l’élection de Chirac ; combien d’électeurs n’ont pas voté ou ont voté blanc ! comme si le ressort républicain anti-Le Pen était usé et les électeurs désabusés d’avoir toujours à choisir un (e) candidat (e) par défaut; et nombre de ceux – une moitié selon les sondages – qui ont cependant eu ce « réflexe républicain », paraphrasant Alexis de Tocqueville, se sont dit: « je vote pour la considération des maux qu’il [Macron] empêche bien plus que pour les biens que je peux en attendre ».
Au slogan « pas la droite, pas la gauche » du F.N., Emmanuel Macron a opposé avec succès la synthèse de l’une et l’autre. « Une recomposition en cours, remarque Jacques Julliard, [qui] n’est rien d’autre que la réconciliation provisoire de la gauche d’en haut avec la droite d’en haut. » (1). Quid de la France d’en bas, la France périphérique ? (2). Une France périphérique si peu représentée à l’Assemblée nationale (Voir graphique). Il est arrivé dans l’histoire que l’union nationale soit un bien pour la France et les Français ; la Résistance et le programme du C.N.R. en attestent. C’était pour le meilleur. Mais ce fut parfois pour le pire : « Travail, Famille, Patrie » de Pétain par exemple. Et attention ! si la fracture sociale (Voir la carte ) persiste, ou à plus forte raison si elle s’aggrave, alors, faute d’avoir réconcilié la France d’en bas et celle d’en haut, on pourrait déplorer plus tard que Emmanuel Macron fut la dernière chance, ratée, des démocrates pour éviter la droite extrême; parce que « La folie, avait prévenu Einstein, c’est de toujours faire la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Et les discours moralisateurs contre le populisme à l’adresse des électeurs n’y feront rien. Populisme ou populaire ? « Si la mise en avant du ‘populisme’ s’est généralisée parmi les élites, écrit Christophe Guilluy c’est parce que cela permet d’imposer un diagnostic ‘par le haut’ en décrédibilisant le diagnostic ‘par le bas’, celui des classes populaires », sommées de ne pas se laisser aller à une « radicalisation irrationnelle » (3).
La Corse n’a pas échappé à la vague « bleu Marine » des présidentielles. En tête au premier tour dans l’île, elle fait quand même bonne figure au second : 63.378 voix (48,5 %) contre 67.241 (51,5 %) à Macron. La Corse-du-Sud (4ème) et la Haute-Corse (9ème) figurent parmi les meilleurs scores départementaux de France, dans le top 10. La candidate du F.N. progresse de près de 20.000 voix entre les deux tours, (Emmanuel Macron + 40.000 voix). Et ce, malgré 12.603 votes blancs et 6.350 bulletins nuls.
Et après la surprise de la vague « bleu Marine » aux élections présidentielles, est venue celle créée aux élections législatives par les nationalistes corses. La dynamique qui les a portés au pouvoir à la mairie de Bastia et à la Collectivité territoriale les porte aujourd’hui dans l’enceinte du Palais Bourbon : trois députés pour les quatre circonscriptions, la quatrième revenant à un député L.R. Comme pour la France entière, on relève en Corse de forts taux d’abstention : de 45,7 % à 59,2 % selon les circonscriptions, de quoi tempérer le succès des élus dont on attend que leur priorité soit la réduction de la fracture sociale qui traverse la société corse aussi.
« Le triomphe d’un modèle mondialisé, libéral, inégalitaire et communautariste [est] en tout point contradictoire avec le vieux modèle républicain [en France] » fait remarquer Christophe Guilluy (4). Et ce n’est pas dans l’actualité mondiale qu’on pourra trouver des raisons d’espérer. La colère gronde partout et prend souvent le visage hideux de la haine raciale ou religieuse, de la xénophobie et de l’antisémitisme, avec à la clé des massacres et des guerres. Serait-on revenu à la situation des années 30 comme on l’entend souvent ? S’il y a à s’instruire de l’étude de l’Entre-deux-guerres, gardons-nous d’une référence abusive au passé – les fameuses « Leçons de l’histoire » – pour s’exempter d’un effort à penser le présent. . « … la référence, usée et inopérante, aux « heures les plus sombres de notre histoire », nous cache la nature de la stratégie de Marine Le Pen plutôt qu’ils ne l’éclairent » font remarquer Dorothea Bohnekamp et Nicolas Patin, historiens spécialistes de la République de Weimar. « Une impression de déjà-vu ? Pour nous, historiens de la République de Weimar (1919-1933), il y a presque autant de parallèles que de différences irréconciliables [entre les deux situations]. » Et ils concluent : « Si l’histoire peut encore nous servir de boussole, elle pourrait bien nous indiquer que la démocratie est plus fragile qu’on ne le pense, plus précieuse aussi. » .(4). A bon entendeur (démocrate), salut !
Antoine POLETTI
(1)Jacques Julliard. Marianne 19-25 mai 2017
(2) Christophe Guilly. « La France périphérique, ou comment on sacrifié les classes populaires « Ed. Champs (Flammarion). P. 11
« Des Bonnets rouges à Hénin-Beaumont, ders zones rurales aux espaces périurbains subis, la France des oubliés, celles des plans sociaux, est en train, par le bas, de remettre en cause l’édifice. Sûres de leur choix, les classes dominantes croient encore à la pertinence du modèle économique et sociétal. Elles oublient qu’on ne fait pas société en tenant à l’écart les plus modestes, c’est-à-dire la majorité de la population. »
(3) Ibid. P. 90
(4) Ibid P 9
(5) Dorothea Bohnekamp et Nicolas Patin. « Les vraies leçons de Weimar » (tribune au Monde des idées. 30.04.2017).