C’est le sujet du Concours national de la Résistance et de la Déportation 2016-2017. Juin 1940, la France est sous la botte nazie et fasciste. Un vieux maréchal, Pétain, appelle les Français à cesser le combat et à collaborer avec les vainqueurs pour qu’ils allègent le poids de l’occupation. Il les appelle à lui faire confiance et à lui obéir pour sauver la France. Faire son devoir, soit ! Mais d’abord il faut savoir où est son devoir. Se résigner à la capitulation comme le prêche Pétain ? Subir cette humiliation sans réagir ? Dans « un grand désordre de courage » nait la Résistance : il faut faire quelque chose, faire d’abord comprendre que « Obéir c’est trahir, désobéir c’est servir ».
La Résistance, ni légende dorée ni livre noir.
« S’engager pour libérer la France ». c’est le sujet proposé cette année scolaire 2016-2017 aux candidats pour le Concours National de la Résistance et la Déportation. Sujet difficile qui rebute même les historiens si on en croit un d’entre eux parmi les plus qualifiés, Olivier Wieviorka [i] . L’époque est révolue, d’après guerre, où nous était livré le plus souvent le discours rassurant et simpliste d’une France majoritairement dressée, dès 1940, contre l’occupant et ses collaborateurs. A cette doxa a succédé, comme par effet de balancier, une autre doxa dans les années 70 [ii], tout aussi éloignée de la réalité : celle d’un pays qui majoritairement aurait fait le gros dos en attendant des jours meilleurs : à la louche, 10 % de Résistants, 10% de collaborateurs et 80 % de résignés qui commencent à manifester « une sympathie mesurée » à la Résistance en 1943 quand la défaite de l’Allemagne se dessine après Stalingrad (le tournant de la guerre) et les victoires militaires des Alliés en Afrique, dans l’Océan pacifique et en Méditerranée … après aussi la libération de la Corse -« premier morceau de France libéré » – à l’automne 1943 [iii] dont l’impact sur le moral des Français fut indéniable ; « j’en fus saisi d’une émotion religieuse » dira plus tard Mendès-France.
S’engager pour libérer la France, c’était s’engager pour la Résistance. Résistance à quoi au juste ? Pour quels motifs épouser (ou récuser) la cause de la Résistance ? Libérer la France de quoi, de qui ? et qu’est-ce au juste que « résister », « s’engager » ? Accepter des sacrifices, prendre des risques, pour quelle efficacité de mes actes de résistance ? Est-ce que ça en vaut la peine ? On le voit, les questions affluent. Et les tentatives d’y répondre sont rendues plus complexes si on prend en considération la région étudiée ; selon que l’on soit en zone occupée ou zone dite libre ; et puis à partir de novembre 42, quand tout le pays est occupé, selon que l’on soit en zone d’occupation allemande ou italienne ? A prendre en considération aussi : le moment de l’entrée en Résistance, en relation avec l’évolution de la guerre ; l’entrée en Résistance se pose différemment au fil des années, de 1940 à 1944.
La Corse n’a pas échappé aux clichés : celui d’après guerre – une Résistance mythifiée par le récit d’une légende dorée, et cet autre cliché censé déconstruire la légende dorée – le roman noir de la Résistance ». La difficulté de comprendre l’étrangeté et la pluralité d’un phénomène mal identifié ne s’accommode pas de clichés ; la Résistance ne fut « ni légende dorée ni roman noir ». [iv]
Trois hommes et une femme de l’île font le récit de ce que fut leur engagement dans des interviews réalisées par des élèves de l’IUT de Corte, section Cinéma,dans un DVD « Faire face »,une autre façon de dire Résister.
Identifier l’ennemi.
Première difficulté pour réfléchir sur la question de l’engagement : identifier l’ennemi. Ҫa n’allait pas de soi. L’ennemi c’était l’occupant bien sûr, celui qui est entré chez vous par effraction, ravageant le pays, faisant des morts par dizaines de mille, des prisonniers par centaines de mille (quelque deux mille Corses), et cela deux décennies à peine après la fin de la désastreuse Première Guerre mondiale qu’il nous avait déjà infligée hier. Ҫa paraît évident, et pourtant… l’occupant d’accord, mais si on a perdu la guerre, pensent beaucoup de Français, c’est parce qu’on paye les frasques d’un Front populaire dispendieux, les extravagances d’une république licencieuse – « la gueuse ». On paye pour « 150 années d’erreur », depuis la Révolution de 1789. Les Français doivent expier. C’est un maréchal, un vainqueur des Allemands en 14-18 qui vous le dit. Il veut en finir avec Liberté, Égalité, Fraternité et promouvoir Travail, Famille, Patrie. Pétain -c’est lui le maréchal- a même obtenu une large majorité de la représentation nationale (Assemblée -celle du Front populaire, eh oui !- et Sénat) pour qu’il remette la France dans le droit chemin, avec sa « Révolution nationale », dans le sillage de l’Allemagne nazie. Pétain invite les Français à courber l’échine et même à collaborer avec l’ennemi pour qu’il nous allège le fardeau de l’occupation. « Le pacifisme, constate Olivier Wieviorka, l’anticommunisme comme le désir, Via Vichy, de remédier au dysfonctionnement de la IIIème République pour rebâtir la France pouvaient […] conduire à s’aligner sur les positions vichystes » [v]
Voilà ce que fut l’escroquerie au patriotisme du maréchal. Et il faut bien prendre la mesure du chaos de la France, de l’accablement et du désarroi des Français pour comprendre la solitude de ceux, peu nombreux en cette année 40, qui dirent NON comme Madeleine Pinelli. La Corse n’est pas occupée mais pour Madeleine Pinelli, c’est NON au maréchal. Elle ne se rend pas, pour la rentrée scolaire, à la cérémonie du lever des couleurs dans le village de Pietroso où, jeune institutrice, elle exerce. Tout le village est sur la place pour manifester sa dévotion au Maréchal. Madeleine Pinelli ronge son frein, seule dans sa classe désertée par ses élèves, tous présents pour chanter « Maréchal nous voilà ».
Isolés dans la grande marée de la résignation
Jean Louis Cortot, le défunt président de l’ANACR, Compagnon de la Libération est en zone occupée, lui. Il raconte: » En 1940, j’ai vu la défaite. Les Allemands étaient dans mon pays et on ne les avait pas invités : c’était ce que je pensais alors. J’ai vu aussi la création de l’Etat Français. Pour moi, la France c’était la République, les droits de l’homme, les lois qui protègent. Ce n’était pas le gouvernement de Vichy. Dans la région parisienne où j’étais, ce fut le temps de la faim, pour moi comme pour la majorité des gens qui ne pouvaient pas payer les tarifs exorbitants du marché noir. Les hivers étaient rigoureux, on avait froid dans les écoles, on gardait manteaux et gants. Toute circulation avec des véhicules à moteur était interdite aux particuliers. C’était l’économie de guerre et le couvre-feu. » [vi]
L’ennemi ? C’est l’occupant et ceux qui acceptent la collaboration. Pour ceux qui ne sont que pétainistes, en ce sens qu’il acceptent la défaite et la résignation, il faut les convaincre que « désobéir c’est servir » et « obéir c’est trahir ». Désobéir et mieux encore : s’engager. « Être hostile à l’occupant n’implique pas de rejoindre la Résistance pour combattre ; il y a loin entre le fait d’exprimer sa solidarité et celui d’accepter sans réserve le développement de la lutte armée avec toutes ses conséquences[vii], « Se lancer dans cette aventure où les motifs d’espérer n’étaient guère solides, c’était un choix difficile, explique Claude Bourdet. […] Nous n’avions pas d’argent, pas d’armes ; nos journaux clandestins étaient de misérables bulletins, deux feuilles de papier, […] imprimées en si peu d’exemplaires qu’on en entendait parler plus qu’on ne les lisaient. Ce que nous appelions « mouvements » ou « organisations », c’était quelques noyaux isolés dans la grande marée de la résignation. » [viii]
Anna Marly sur une de ses musiques, et avec les paroles d’Emmanuel d’Asier de la Vigerie, a chanté cette solitude des premiers Résistants. Cliquer ici
En 1940, la Corse n’est pas occupée mais la menace d’annexion de la Corse par Mussolini exacerbe le patriotisme des Corses. « Je ne pouvais pas concevoir qu’on puisse perdre la nationalité française » dit Jérôme Santarelli [ix], capitaine FFI, arrêté puis déporté en Italie. Un patriotisme dévoyé, corrompu par le pétainisme ; La Légion Française des Combattants, une association à la dévotion du maréchal, rassemble quelques 18.000 adhérents, soit 22% de la population masculine corse fin 1941[x] ! La Résistance naissante n’est encore qu’un « Grand désordre de courage » (André Malraux). Elle n’a que des moyens dérisoires pour faire face à une propagande envahissante et une police omniprésente.
Faire quelque chose
Désobéir soit. Mais faire quoi, dans un pays qui n’est pas occupé ? Rejoindre Londres ? C’est quasiment impossible ! Cependant on peut faire quelque chose en Corse même ; en manifestant passivement comme l’on fait les patrons de bar qui, à l’appel lancé par Londres, ont fermé leur commerce le 1er janvier 1941 ; en inscrivant des slogans et des V sur les murs et sur les chaussées ; en sifflant les actualités projetées sur les écrans de cinéma. Mais quand la Corse est occupée par l’armée italienne, en novembre 1942, et que se dissipent les dernières illusions sur le régime de Vichy, la Résistance prend corps. Charles Luzi, instituteur à Solaro est sollicité pour entrer dans la Résistance. « J’accepte tout de suite dit-il, parce que d’esprit je l’étais déjà. »[xi] Et il entraîne son frère avec lui. Il rejoindra ceux qui comme Jérôme Santarelli étaient déjà au maquis avant l’occupation italienne parce que communiste, pourchassé par le régime de Vichy. Entrer dans la Résistance armée, c’est se mettre hors-société, en contre société, accepter de transgresser les lois qu’on avait toujours respectées jusque là ; c’était enfreindre les lois morales, tuer s’il le fallait, en dépit de cette prescription de la Bible : « Tu ne tueras point ». A-t-il tué Charles Luzi ? pour qu’après un long silence lâche, en faisant une moue d’écœurement : « Et puis, il y a des choses que je ne dirai jamais. Les déportés, il y a des choses qu’ils ne vous diront jamais ».[xii]
Sans aller jusqu’à cet engagement total, on peut quand même « faire quelque chose » pour « résister ». Si la Résistance se rattache à l’action militaire, elle fut aussi un processus social. La Résistance clandestine n’aurait pu exister, se développer et durer sans une aire de bienveillance, voire de complicité autour d’elle. L’historien Laurent Dozou pour illustrer celle des femmes parle d’une « Résistance sur le seuil de la porte ». Le récit d’Albert Ferracci en témoigne. Bien sûr, cette Résistance en dehors de la Résistance n’autorise pas à « hisser d’humbles actes d’opposition à la hauteur d’exploits héroïques. »[xiii] mais « …on comprend que des gestes de soutien anonymes et dispersés, aient pu prendre une dimension collective qui révèle autre chose que leur simple addition [parce que] c’est à partir de ce maillage peu visible et de ces modestes chaînes de solidarité au service de « l’armée de l’ombre », autour d’eux et grâce à eux, que le tissu de la nation a pu se reconstruire.[xiv]
Résister aujourd’hui, le message de Louis Cortot
Louis Cortot est un Résistant de la première heure. A 19 ans, il est blessé dans les combats de la Libération, à Paris. Compagnon de la libération. Le 8 mai 2015, lors de la remise des prix aux lauréats du CNRD, il a témoigné de ce que fut sa Résistance et appelé les jeunes à s’engager pour les nobles causes de époque.
"... vous avez une chance extraordinaire. Vous vivez une époque avec des progrès que je ne pouvais même pas imaginer lorsque j’avais votre âge. J’ai connu une France où il y avait très peu d’automobiles, pas d’eau courante dans les logements, pas de gaz, pas d’électricité. Mais j’avais quelque chose de bien plus précieux, de bien plus utile pour une vie : j’avais un idéal. Réfléchissez, n’acceptez pas les injustices, agissez. Pas parce que vous êtes sûr de réussir, mais parce que c’est juste : c’est cela avoir un idéal. Restez toujours vigilants. Intéressez-vous à ce qui se passe en France, en Europe, dans le monde. Tout vous concerne. Défendez vos droits, mais ayez aussi conscience de vos devoirs. Vous pouvez le faire. J’ai confiance en la jeunesse.
A.P.
[i] Olivier Wieviorka, Histoire de la Résistance. 1940-1945. Ed. Perrin 2013. p.102
[ii] Pierre Laborie, Dictionnaire historique de la Résistance. Coll. Bouquins. Ed. Robert Laffont 2006. P. 798. Voir aussi Pierre Laborie Le chagrin et le venin. Ed. Bayard 2011
[iii] Discours du général De Gaulle le 8 octobre à Ajaccio
[iv] C’était le titre de l’éditorial des ANACR de Corse écrit en réponse au journal Settimana (n° 842 du 2 octobre 2015) qui prétendait « s’attaquer à la légende dorée enfantée par une histoire devenue officielle ».
[v] Olivier Wieviorka, op. cit. p. 110
[vi] Allocution prononcée lors de la cérémonie de remise des prix aux lauréats du Concours National de la Résistance et la Déportation (CNRD) 2014. Ici http://www.fondationresistance.org/pages/action_pedag/allocution-louis-cortot-compagnon-liberation-lors-ceremonie-remise-des_dossier-thematique-29.htm
[vii] Pierre Laborie. op. cit., p. 802
[viii] Olivier Wieviorka. op. cit., p.113
[ix] Dans Faire face. DVD réalisé par les élèves de l’IUT de Corte. Section Cinéma. Février 2006
[x] Hélène Chaubin. Corse des années de guerre 1939-1945. Ed. Tirésias-AERI 2005. p. 31
[xi] Dans Faire face. DVD. op. cit.
[xii] Ibid.
[xiii] Olivier Wieviorka. op. cit., p.106
[xiv] Pierre Laborie, op. cit., p. 805