11 novembre 1942, l’humiliation
11 novembre 1942. 3 jours après le débarquement des alliés en Afrique du Nord, les Bastiais voient poindre au large des bateaux de guerre. Ils exultent, pensant qu’ils s’agit des mêmes libérateurs alliés. Mais ils doivent vite déchanter : ce sont les navires de Mussolini qui arrivent. 80.000 occupants débarquent sur une île qui compte moins de 200.000 habitants. 11 novembre 1942, « un jour noir pour la Corse » : jamais depuis que la Corse est partie intégrée de la France des Droits de l’homme et du citoyen, jamais son sol n’avait été souillé par l’ennemi. Et à la tristesse de ce constat s’ajoute le sentiment d’humiliation : la Corse a capitulé sans combattre. Au nom du Maréchal Pétain, le préfet demande à la population d’accueillir les « troupes d’opération » (et non d’occupation) avec « calme et dignité ». L’escroquerie au patriotisme à laquelle se livre le régime de Vichy apparaît crûment aux Corses. Et l’inquiétude des Corses, lancinante depuis que le Duce a proclamé sa volonté d’annexer la Corse, s’avérait fondée : les Corses resteront-ils Français ? Pour la réponse à cette angoissante question dont dépendait leur salut, les Corses l’avaient maintenant bien compris, ils ne pouvaient compter que sur la Résistance.
Pour résister : s’unir et s’armer
Même si les bases en avaient été jetées dès début 1941, la Résistance était plus une aspiration qu’une réalité. Mais au soir du 11 novembre les choses se précipitent. La Résistance prends corps ; principalement autour du réseau R2 (Gaulliste) et du Front national (Communiste). Du fait du démantèlement dès mars 1943 du réseau R2 par l’ennemi, et du fait aussi de sa large implantation, le Front national allait devenir l’épine dorsale de la Résistance, réussissant à rassembler en son sein des familles politiques très diverses. Diversité certes, contradictions parfois, mais unité sur l’essentiel. Les motivations des résistants étaient doubles : 1) au début et principalement le patriotisme ravivé à la vue des uniformes italiens 2) l’antifascisme, dont les Italiens qui avaient fuit le fascisme et s’étaient réfugiés en Corse étaient les plus ardents propagandistes…
En ce début 1943, la Résistance maintenant organisée, il lui fallait des armes pour être opérationnelle. Elles arriveront par les missions des sous marins et par les parachutages. Armée, la Résistance s’enhardit. Elle s’enhardit d’autant plus que les Allemands sont battus à Stalingrad -véritable tournant de la guerre- et sur d’autres théâtres d’opération. Et l’espoir de la victoire grandit avec l’union de la Résistance réalisée depuis la création, en ce mois de mai 1943, du Conseil National de la Résistance présidé par Jean Moulin, l’envoyé du général de Gaulle.
Résister pour être eux-mêmes des vainqueurs
La Résistance est de plus en plus audacieuse mais aussi de plus en plus réprimée par l’occupant. Fusillés ou morts au combat, la liste des martyrs s’allonge durant cet été 1943. L’abdication du Duce, le 25 juillet, n’arrête pas la répression.
Immanquablement, en Corse comme ailleurs, est posée à la Résistance la question de savoir quel doit être son rôle dans la libération du pays. La Résistance est une force supplétive des armées (donc politique attentiste) fait savoir Alger mais les Résistants corses ne l’entendent pas ainsi : la libération doit être l’œuvre des Corses eux-mêmes. Ils passent donc outre la recommandation de Giraud de « ne pas déclencher d’opération prématurée ». Et aussitôt après l’annonce de l’armistice avec l’Italie, connue le 8 septembre au soir, le Front national lance le lendemain l’ordre d’insurrection. Il destitue le préfet de Vichy, s’érige en « Conseil de préfecture » et proclame son attachement à la France libre. « Le 9 septembre 1943 avait lavé la honte du 11 novembre 1942 » affirme Arthur Giovoni, dirigeant du Front national.
Le bastion avancé de la délivrance de la nation
Commencent alors les combats libérateurs ; d’abord avec les seuls Résistants, puis avec les troupes venues d’Alger qui les rejoindront. Dans la nuit du 12 au 13 septembre du sous marin Casabianca, encore lui, sortent 109 hommes du « Bataillon de choc », qui ont fait le voyage depuis Alger serrés comme des harengs en caque. Une foule immense les attend. Ils débarquent dans la liesse populaire, au son d’une vibrante Marseillaise. Par la suite c’est l’équivalent d’une division qui prêtera mainforte aux Résistants.
Les combats libérateurs se poursuivront jusqu’au 4 octobre à Bastia. De là, embarquaient les soldats de la Wermacht qui se repliaient de Sardaigne vers l’Italie continentale, via Bonifacio et Bastia, après avoir traversé la plaine orientale de la Corse. Ils subissent le harcèlement des Résistants, des troupes venues d’Alger et d’une partie de l’armée italienne. De durs combats ont lieu sur les contreforts de la côte est, dans la région de Levie et Quenza ainsi que sur les hauteurs de Bastia où s’illustrent les Goumiers. On dénombrera 87 morts de l’armée régulière, 172 résistants tués et 637 victimes italiennes. Les troupes allemandes quant à elles, arriveront pour la bataille de Salernes affaiblies (pertes estimées à un millier selon le Général Gambiez) comme le dira le maréchal Keyserling.
La Corse débarrassée de l’occupant servira de porte-avions et de base de départ pour les alliés. De Corse partiront des troupes vers l’Italie et la Provence. Les Corses eux-mêmes mobiliseront 22 classes d’age sur un simple avis de presse. Commentant, quelques jours après les évènements de Corse, sur radio Alger, le général de Gaulle disait que « la France entière en (avait) tressailli ». Et le Comité National de la Résistance ne pouvait manquer d’exalter l’exemplarité pour la nation de la libération corse qui en ce mois de septembre 1943 en était devenu « le bastion avancé de sa délivrance ».