L’opinion publique en Corse au lendemain de « l’étrange défaite ».
Par Ange-Marie FILIPPI-CODACCIONI
Il est incontestable qu’en 1940 – 41, les opposants au Maréchal Pétain sont minoritaires. Le reste de la population est-il pétainiste ? La démarche nécessaire à une bonne compréhension du pétainisme est la distinction entre un pétainisme actif et un pétainisme passif.
1) Le pétainisme passif
On peut dire qu’en 1940 le pétainisme passif concerne une grande partie de la population. Dans le vide créé par la défaite, le Maréchal occupe une large place. Cette confiance accordée à titre personnel au chef de l’Etat par des dizaines de milliers de Corses est de nature plus sentimentale que politique. Elle est particulièrement affirmée chez des anciens combattants chez lesquels, plus que dans une autre catégorie de Français, celui que l’on appelle le « Vainqueur de Verdun », bénéficie d’une aura personnelle certaine, où l’image religieuse du « sauveur » rejoint l’image laïque du « père ». Le mythe populaire s’articule autour de l’image du soldat en qui on croit voir un bouclier contre les prétentions italo-allemandes. Ceci explique que plus de 20.000 Corses adhèrent à la Légion Française des Combattants présidée par le colonel Mondielli et présentée comme l’habile camouflage de l’armée de la revanche. Cependant, assis sur des bases aussi vagues, ce large consensus initial est extrêmement fragile et essentiellement mouvant. Et surtout, il est bien plus une adhésion à la personne qu’à une politique ou à un système de valeurs. Au fil des mois, le pétainisme passif ne cessera de se volatiliser.
2) Le pétainisme actif
– Les notables :
Autre chose est le pétainisme actif des partisans déclarés de la Révolution Nationale. En Corse, les escouades du pétainisme actif se recrutent essentiellement –mais pas exclusivement- parmi les notables locaux et dans les anciens milieux d’extrême droite. Ils sont assez nombreux parmi les notables du clan Pietri que le pouvoir de Vichy tente de s’attacher, en faisant de François Pietri un ministre puis un ambassadeur auprès de Franco. C’est parmi les notables qu’on trouve ceux qui organisent en Corse la Révolution Nationale, vantent l’association de « la mesure » de la France et de « la sagesse allemande », ou prônent la résignation patiente devant la défaite. « Il y a des moments où un blessé qui ne veut pas qu’on l’achève doit faire le mort » (F. Pietri). Sans vouloir donner une liste exhaustive, on peut quand même citer le maire d’Ajaccio, Dominique Paoli –l’homme du télégramme de félicitation à Mussolini- qui menace dès juillet 1940 des foudres de la répression, les manifestations individuelles et collectives de protestation contre la défaite et ses retombées.
– Les ultras :
Au delà des notables, des ultras collaborationnistes existent en Corse : 450 environ sont inscrits au PPF de Jacques Doriot, 150 environ appartiennent au S.O.L., puis à la milice ou au groupe « Collaboration », lecteurs de la « Jeune Corse » ou de « La dépêche ». ils ont beaucoup plus pro-allemands qu’italophiles. Le thème de la Corse martyre des Français, tel que le reprennent en 1940 quelques irrédentistes et la presse fasciste, les touche moins que celui d’une France totalitaire intégrée à une Europe à prédominance germanique. La solution italienne est massivement rejetée par le peuple corse. Il est cependant un mouvement groupusculaire pour se réjouir des grandes déclarations anti-françaises du régime mussolinien ; c’est celui des irrédentistes que Petru Rocca anime autour de l’hebdomadaire « A Muvra ». Jouant à l’origine de l’ambiguïté d’une protestation essentiellement culturelle, ROCCA et ses amis avaient depuis longtemps tout misé sur la solution italienne. La médiocrité de l’écho recueilli dans l’île par les irrédentistes ne les décourage pas, avec l’appui du gouvernement italien, de multiplier les médiateurs culturels communs, qu’il s’agisse de revues comme « A Corsica antica e moderna », de « L’idea corsa » ou de l’édition spéciale d’ « Il télégrapho », le quotidien livournais de la famille Ciano. La mobilisation autour des thèmes anti-français et racistes ne s’opère jamais ; l’objectif final étant trop bien connu.
3) Les Résistants
Ces choses qu’il fallait dire étant dites, il est temps de tourner notre regard ailleurs. Dès le lendemain de l’armistice, il se trouve en Corse des hommes et des femmes qui refusent la défaite. Mais lorsqu’on évoque les premiers résistants, il faut traquer le discours hagiographique. On ne décernera ici ni médaille ni tableau d’honneur. On se gardera de tout anachronisme. Nous sommes en 1940. Les résistants qu’ils soient gaullistes, communistes ou « Jacobins » en sont réduits à « bricoler ». Une minorité seule est prête à se lancer dans une aventure incertaine. Je conclurai donc ces premières observations en disant que si au départ et pour beaucoup, l’avenir est au présent dans un attentisme terre à terre, si une petite minorité prétend inscrire le futur dans une Europe brune, c’est finalement la phalange des résistants qui va imprimer sa marque à l’avenir et faire basculer le destin. La minorité agissante des résistants -ces « roses de Noël » dont parle le poète- va devenir avec le temps de moins en moins minoritaire et de plus en plus agissante dans le refus de la défaite et ses retombées.