14 décembre 1942, 13 septembre 1943. Entre ces deux dates -la première, clandestine, pour y débarquer clandestinement la mission Pearl Harbour, la deuxième pour débarquer les premiers soldats français -, le Casabianca fera cinq autres « touchers » clandestins des côtes corses.
Le commandant L’Herminier et l’équipage du sous-marin Casabianca, tout juste rescapés du sabordage de Toulon sont prêts à reprendre la mer. Parmi toutes les missions qu’ils auront à accomplir en Méditerranée figurent en bon rang les missions pour la Corse. Pearl Harbour sera une réussite même si elle n’a pas été épargnée par la répression de l’occupant. Les missions Sea Urchin et Frederick n’auront hélas pas une destinée aussi heureuse.
Mission « Pearl Harbour » en Corse. 13-14 décembre à Topiti
Le sous-marin reçoit à Alger un équipement sommaire (un youyou, des plates mais pas de phonie) pour débarquer un groupe de quatre hommes sur les côtes corses qui établiront le contact avec la Résistance insulaire et feront un état des lieux pour en informer Alger. Le 11 décembre à 19 heures 30, le sous-marin appareille d’Alger: le jour en plongée, la nuit en surface. Précautions à prendre pour ne pas être repéré : ne pas être vu (1), ne pas être entendu (2) et éviter les mines. A trois miles des côtes, on ne peut plus sortir le périscope au risque de se faire repérer et dès lors il faut s’approcher à l’aide de la sonde et au moteur électrique.
Le 13 décembre le sous-marin s’approche de la côte corse, dans la crique de Topiti, entre Piana et Cargèse, non sans quelques émotions causées par le survol de trois avions au-dessus du sous-marin et par un incendie accidentel à bord, proche du dépôt de munitions. Dans la nuit du 13 au 14 décembre, à 0 heure 30, le sous-marin fait surface. Le youyou est mis à l’eau, chargé et dirigé vers la côte. A 3 heures, il est de retour. A 4 heures, le youyou est arrimé et le sous-marin plonge. La nuit suivante, du 14 au 15 décembre, à 1 heure 20 minutes, le sous-marin émerge à nouveau. On met à l’eau une plate (une embarcation à fond plat) qui va se disloquer et sera remplacée par le youyou, plus robuste. Le ciel est couvert, la mer forte. Le youyou se brise à son tour sur les rochers qui hérissent çà et là les abords de petite plage.
Le commandant de Saule qui dirige la mission, Laurent Preziosi, Toussaint Griffi et Pierre Griffi (alias Denis) le radio, tous ceux de la mission sont débarqués. L’américain Brown, des services secrets (O.S.S.), parvient difficilement à rejoindre le sous-marin, distant de 300 mètres, à la nage, dans une mer bien formée. Mais trois marins du Casabianca, Lassere, Vigot et Lionnais ne pourront pas en faire autant. Le premier contact radio avec Alger est établi le 20.12.1943. La mission est débarquée et les premiers contacts établis mais il faut en tirer quelques enseignements :
1) Ni les youyous ni les plates ne sont faits pour ces missions ; il faut des doris et des embarcations pneumatiques. Et il faut aussi des appareils de phonie pour; lors du débarquement, garder le contact radio entre le sous-marin, les convoyeurs de l’embarcation et les hommes débarqués.
2) Il faut choisir les nuits de nouvelle lune parce qu’en début de nuit la lune donne un éclairage optimum pour la approche des côtes sans être trop facilement repéré ; et comme la lune se couche plus tôt pendant de la nuit, ça donne le temps pour l’évacuation de la livraison avant la levée du jour.
Deuxième débarquement en Corse. Arone, 5, 6, 7 février 1943
Après avoir accompli une mission à Cros-de-Cagnes, le Casabianca arrive près de Piana, le 5 février dans la nuit et se pose sur le fond près de Capo Rosso. A 14 heures, il est positionné plus au sud, dans la baie d’Arone où il doit mettre à terre hommes, armes et munitions.. Le rendez-vous est fixé ce 5 février à 20 heures 30 avec les hommes à terre – les marins laissés en décembre et des Résistants. A 400 mètres de la plage, le youyou est mis à l’eau malgré une mer forte. Les marins Asso et Cardot convoient à la rame Michel Bozzi et Chopitel, deux radios avec leurs postes, qui viennent renforcer la mission Pearl Harbour.
L’équipage ne dispose toujours pas de phonie. Le youyou ne donnant plus signe de vie, on envoie une plate pour s’enquérir de son sort. Le marin Barbotin revient au sous-marin et dit avoir vu le youyou sur la plage : démoli, abandonné et ensablé sur la plage. La décision est prise de revenir la nuit prochaine. Ainsi, le Casabianca passe donc la journée du 6 février en plongée, dans le froid parce qu’il faut économiser l’énergie. Le Casa refait surface à 20 heures 30. La mer s’est calmée. Toujours pas de signaux. Une plate et cinq rubbers à sa remorque sont mis à l’eau et chargent 450 mitraillettes et 60.000 cartouches. Il n’y a personne à la réception donc le chargement est laissé dans une bergerie en ruine toute proche. Au bout de la nuit, vers 5 heures, ce 7 février, du sous-marin on aperçoit la plate et les rubbers en difficulté dans les rouleaux. En s’approchant encore plus de la côte, le Casa récupère les rubbers mais la plate coule. Avant l’aube l’équipage du Casa aperçoit des signaux lumineux qui sont envoyés de la plage. Ceux de Lassere ? Ceux d’une patrouille ennemie ? On apprendra plus tard que c’étaient ceux de Lassere. Tout le matériel a pu être évacué de la bergerie avant que les Italiens ne se rendent sur les lieux. Le Casa a talonné, endommageant le gouvernail qui devra être réparé à Alger.
Troisième débarquement en Corse. Favone, 10 mars 1943.
C’est sur la côte est de l’île, à Canella, au sud de Solenzara, que le sous-marin avait rendez-vous avec les résistants. Il arrive avec trois jours de retard. Sur cette façade maritime rectiligne et recouverte de végétation, il n’est pas facile pour l’équipage de repérer le lieu de rendez-vous : c’est une plage qu’on peut situer grâce à un pont de chemin de fer en arrière-plan. Heureusement, c’est en suivant la fumée blanche du train que les sous-mariniers repèrent le pont à trois arches sur lequel passe le train.
Mais malchance ! la mer est agitée. Les rubbers mis à l’eau devront renoncer au débarquement. Rendez-vous est pris à trois milles plus au sud, à la pointe de l’anse de Favone, à un demi-mille de la côte. A 21 h. 50 le kiosque émerge. Apparaissent alors depuis la côte les premiers signaux lumineux de Lasserre. La mer étant toujours très agitée il faudra faire appel à un résistant, Paul Cinquini, qui va assurer la navette avec une barque. Deux agents de la mission Pearl Harbor, Laurent Preziosi et Toussaint Griffi, embarquent avec les cinq marins du Casa restés involontairement à terre lors des deux précédents débarquements. Deux agents du Corps-Franc français, Luigi et Lefèvre, débarquent avec six millions de francs et quelques armes… peu d’armes et de munitions parce que Paul Cinquini craint que, par une mer si forte, sa barque soit endommagée lors de ces transbordements. « Nous aurions pu y débarquer aisément une grande quantité de munitions si la persistance inaccoutumée du vent d’Est ne nous avait pas considérablement gêné, écrit L’Herminier, et si nous n’avions pas perdu notre youyou dans la tempête en baie de Bon Porté. Quant à nos lascars [les sous-mariniers revenus à bord], leur joie d’avoir rallié leur Casabianca est touchante » (3)
4ème et 5ème débarquements sur la plage de Saleccia.
Ce sont les premières missions de débarquement massif d’armes. Le Casabianca est maintenant équipé d’une drome (3) importante : deux doris + 10 pneumatiques + appareil de phonie.
Juillet 1943. Le 1er juillet vers 13 heures, le Casabianca est proche de la plage de Saleccia mais il devra attendre la nuit pour accomplir sa mission : débarquer 13 tonnes de matériel et Paulin Colonna d’Istria ( alias Césari), un des chefs de la Résistance corse, arrivé dans l’île le 4 avril 1943 et qui lors d’une opération à la mi-juin, à l’embouchure du Travo (près de Solenzara), était resté « coincé » à bord du sous-marin Sybil et avait involontairement dû regagner Alger.
Le rendez-vous avec l’équipe des patriotes à terre qui doit faire la réception est fixé à 21 heures. Mais ne voyant aucun signal venant de la plage, le commandant l’Herminier décide de débarquer quand même le matériel. Il en débarque 8 tonnes sur les 13 prévues. Césari restera à terre surveiller le matériel camouflé et attendra la nuit prochaine pour les 5 tonnes suivantes… en espérant que les patriotes arriveront entre temps.
Le 2 juillet vers 23 heures, le ballet des doris et canaux pneumatiques recommence entre la plage et le sous-marin resté en surface, à quelques centaines de mètres de la côte. Les 5 tonnes de matériel restants sont débarqués et camouflés en attendant que les patriotes viennent les chercher. Mission accomplie ! le « Casa » rentre à Alger pour d’autres missions.
Fin juillet, début août : Dans la nuit du 30 au 31 juillet le Casa a rendez-vous dans l’anse de Gradella , dans la baie de Porto, pour y déposer 20 t. d’armes et munitions. Les doris sont mis à l’eau mais il essuient le feu de l’ennemi qui est embusqué sur la côte, et doivent rebrousser chemin. Par chance, personne n’est blessé.
Le Casa fait route vers Saleccia pour tenter à nouveau le déchargement. Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, Bellet, le second, est envoyé en reconnaissance. Pas d’ennemi ; le ballet aquatique des doris peut commencer. 12 t. seront déchargées cette nuit-là mais il faudra continuer la nuit suivante pour les 8 autres qui étaient restées à bord. L’exploit -c’en est un- est accompli avec 30 hommes à terre + 30 hommes au convoyage + 25 hommes à bord.
En rentrant à Alger, l’Herminier apprendra que tout la cargaison livrée a été évacuée par les Résistants de la région et est en bonnes mains, même si la Résistance a dû en payer le prix.
6ème toucher, à Capu di Fenu. 5, 6, 7 septembre 1943
La mission : 1) Embarquer un responsable de la Résistance – ce sera A. Giovoni- pour qu’il se mette en relation avec l’Etat-major d’Alger. 2) Déposer une nouvelle équipe ( dont le lieutenant Gianesini + un autre radio), munie de postes pour « le renseignement ». 3) Débarquer 5 t. d’armes antitanks. L’opération se déroule sans difficulté.
7ème toucher, à Ajaccio. 12,13 septembre 1943
Le Fantasque et le Terrible étant occupés au débarquement des Alliés à Salerne, c’est le Casabianca qui est chargé d’amener sur l’île les premiers militaires pour aider la Résistance qui a lancé l’ordre d’insurrection contre l’occupant allemand. A la vitesse de 15 nœuds, le Casabianca convoie les 109 hommes du Bataillon de choc vers la Corse ; au total, 170 hommes à bord, serrés comme harengs en caque. Tellement serrés qu’ils montent sur le kiosque à tour de rôle, 4 par 4, pour respirer l’air frais.
N’étant pas assurés qu’Ajaccio soit libéré, le Casabianca prévoit de les débarquer à Lava, au nord des Sanguinaires. Rassurés encours de navigation, le Casa arrive à Ajaccio (8) le 12 vers 23 heures. Les collines qui environnent la ville sont la proie de feux allumés avec des plaquettes incendiaires par les avions allemands. Au surplus, quand le sous-marin s’approche du port, des salves d’armes à feu éclatent sur les quais noirs de monde. Pas rassurant tout ça ! Le doute s’installe jusqu’à ce que la pilotine venue à la rencontre du sous-marin rassure l’équipage : la fusillade , c’est pour exprimer la joie des Corse de voir arriver les libérateurs. Le Casa accoste et à 1 heure 30 débarque les hommes du Choc. (4)
Antoine POLETTI
(1) Un avion peut repérer un sous-marin par 40 mètre de fond
(2) Le sous-marin fonctionne au moteurs diesel, bruyant donc mais il peu se mettre en mode silencieux en fonctionnant au moteur électrique.
(3) Commandant L’Herminier. « Casabianca ». Ed. France-Empire. Page 194
(4) Le Fantasque et le Terrible arriveront à Ajaccio le soir du 13 septembre à 23 heures 45.
LIEN. Vidéo L’épopée du Casabianca