De Gaulle quitte Alger le 5 en fin de journée. Son avion atterrit sur la piste de Campo dell’Oro, à Ajaccio. Il en repartira le 8 après avoir assisté à une messe et prononcé un discours sur la place du Diamant, aujourd’hui place De Gaulle. François Coulet * qui fut du voyage relate le périple accompli dans l’île au pas de charge.
« La tournée du général de Gaulle du 6 au 8 octobre, donna tout son sens à la libération de la Corse. Ce furent trois jours étonnants de randonnées folles sous les averses et par des chemins de montagne effondrés: Sartène, Levie, Zonza, Zicavo, Sainte-Marie-Sicché, Bastia, Saint-Florent… Accueil délirant des villages dans la pétarade des mitraillettes et des fusils. Précédant de quelques minutes le reste de la caravane des voitures, le secrétaire-général se frayait un passage dans la foule jusqu’à la place où les autorités attendaient de Gaulle avec les états-majors italiens tirés à quatre épingles et quand le général arrivait, arraché de sa voiture par l’enthousiasme populaire, au milieu des clameurs, les cris les plus sonores, les mieux rythmés de « Vive de Gaulle ! » jaillissaient des bataillons verts de nos récents ennemis alignés en un ordre parfait. « Mon Dieu ! Mais ce sont les Italiens qui crient ainsi ? » Un farouche franc-tireur qui chevauchait le capot de sa voiture en brandissant un drapeau, se retourna et lui dit fièrement : « Peuh ! ici, ce n’est rien. Chez moi, au village, depuis hier, nous leur apprenons la Marseillaise. Vous allez voir ! » Et, en effet, au bourg suivant, l’homme du 18 juin était salué – faute de musique militaire ou d’orphéon civil – par une chorale de deux cents soldats italiens chantant l’hymne de Rouget de Lisle. Les Corses avaient repris leurs habitudes. La fascination séculaire qu’exerce sur eux l’appareil administratif faisait descendre de leurs montagnes ceux des villages, sous le faible prétexte d’une infime question à régler et ils attendaient, sans aucune impatience, pendant des heures, par groupes, à la porte des bureaux, qu’un sous-chef de division leur donne audience. Le soir, à la fermeture, leur requête accueillie ou non, ils repartaient, satisfaits de pouvoir faire connaître à leurs amis et à leurs ennemis qu’ils étaient « passés à la Préfecture ». Perdant à la fois utilité et prestige au fur et à mesure que la guerre s’éloignait et que la machine se rodait, le Comité départemental de Libération connaissait des séances acrimonieuses où éclatait la mauvaise foi des élus communistes désappointés. Au Préfet et à son second d’apaiser, d’arbitrer, de paraître intéressés. »
* François Coulet fut secrétaire général de police auprès du préfet Charles Luizet, tous deux venus d’Alger. Il sera quelques mois plus tard, après le débarquement de Normandie, nommé commissaire du gouvernement pour la région. Ce récit est tiré de ses mémoires : « Vertu des temps difficiles » (Plon).