Au début de l’occupation, tracts et papillons sont manuscrits ou tapés à la machine par des adhérents du Front national, employés dans les administrations publiques et les bureaux d’entreprises privées. Bien vite, ces procédés deviennent insuffisants.
Le Front national met à contribution l’appareil d’impression du Parti communiste1Trois noyaux d’impression fonctionnent à Bastia sous la direction de Noël Fontana. la dernière imprimerie ne servira qu’une fois, pour lancer l’ordre d’insurrection, le 8 septembre au soir.. Puis, le besoin d’une presse de vérité exigeant des tirages de plus en plus importants, le Front national crée son propre appareil d’impression clandestine.
Le Patriote [Le journal du Front National] est d’abord tiré à Tavera dans une cave près de la maison de Jacques Tavera et sa soeur Madeleine Pinelli, sur une « Gestetner » enlevée en plein jour à la poste d’Ajaccio par le groupe de Nicolas Bocognano. Mais Le Patriote doit être un vrai journal imprimé. Les ouvriers typographes, membres du groupe Front national de Bastia, reçoivent mission de sortir chaque jour une petite poignée de caractères. Le 26 décembre 1943, Emile Reboli et Robert Pedini, communiste italien dont le père est détenu dans les geôles mussoliniennes, réussissent une opération sur l’Imprimerie Nouvelle, propriété du consulat d’Italie, dont ils sortent de nombreuses caisses de caractères. Le butin, transféré à Sorbo-Ocognano puis chez Jean-Baptiste Battesti, garde-champêtre à Porri, est finalement installé dans une grotte de la région par Damien Vittori. Pedini ne quittera cette imprimerie clandestine qu’à la Libération.
À Ajaccio, on tire une autre édition du Patriote sur une « Ronéo » réparée… par un gendarme ! On crée même une nouvelle imprimerie grâce au dévouement d’un petit apprenti de La Dépêche, Robert Foglia, qui tire les tracts dans sa cave sur une « forme » en bois… En mai 1943, Raimondi, réfugié au maquis, met à notre disposition un important matériel entreposé dans un hangar du quartier des Salines à Ajaccio. Avec Pierre Pagès, Joseph Morganti et le concours d’un camionneur réputé pour son patriotisme, nous allons prendre livraison du précieux dépôt. Par malheur, le hangar est situé hors de la ville : il faut au retour franchir le barrage italien. Devant le trésor, nous ouvrons des yeux émerveillés. II s’agit de petites rotatives électriques de marque américaine toutes neuves et de lourdes caisses métalliques pleines de caractères n’ayant jamais servi. On va pouvoir inonder la Corse de journaux clandestins ! Comment camoufler notre chargement sur le plateau découvert du charreton ? Le camionneur nous tire d’embarras : «Mettons ça en vrac, sans bâche. Ils n’auront pas le temps de s’apercevoir de ce que c’est.» Et nous voilà partis. Arrivés à dix mètres de la barrière, notre camionneur, avec un sang-froid magnifique, adresse un salut jovial aux hommes de garde comme il l’avait fait à l’aller et, comme à l’aller, la barrière se lève… Nous déchargeons le butin dans le dépôt de lièges de Joseph Morganti, chemin de Candia, puis la nuit venue nous le transférons chez un jardinier sarde de Finosello.
Impossible de trier ces milliers de caractères dans la cabane à outils ! Nouveau transport, cette fois chez Mlle Salvadori, au Forcone. Les boîtes vidées, nous nous trouvons devant une impressionnante pyramide de plomb. Nous n’arriverons jamais à reclasser les caractères par familles. Tant pis, pour une fois nous transgresserons les règles de l’action clandestine ! Une douzaine de patriotes sont employés au triage. Mais leurs allées et venues attirent l’attention d’un informateur de l’ennemi. Un matin, à l’aube, l’immeuble est cerné. Les agents de l’O.V.R.A. essaient d’enfoncer la porte du logement où, fort heureusement, nous ne sommes pas encore venus nous mettre au travail. La voisine affolée sort sur le palier. Les policiers lui crient:
— Il y a des « bandits » dans cet appartement !
— Pensez-vous, c’est le logement de la directrice des cours secondaires de jeunes filles. Une dame bien tranquille… Du reste, elle est en vacances au village.
Un dernier coup d’épaule dans la porte, qui résiste et ces messieurs de l’O.V.R.A. s’en vont en grommelant.
Le matériel récupéré le lendemain fera l’objet d’une décision « héroïque ». Après avoir brassé la masse de caractères, nous la séparons en quatre tas égaux : un pour chaque Comité d’arrondissement. Ils feront le triage au maquis. Et nous aurons ainsi quatre nouvelles imprimeries clandestines.
Tous les journaux tirés à la grotte [de Porri] sont acheminés sur Bastia sous la forme d’innocents colis aux prisonniers. À Bastia et Ajaccio, les paquets de matériel de propagande sont remis aux cheminots du Front national dont l’organisation impeccable permettra, pendant toute l’occupation, une répartition rapide et sûre à tous les villages qui jalonnent la ligne, relais vers l’intérieur. Dans le Sud, dépourvu de chemin de fer, les ressources d’une imagination toujours en éveil sont mises à contribution pour le transport et la diffusion de la presse. Le Patriote arrivera un jour à Frasseto et Quasquara parmi les langes qui emmaillotent le nouveau-né de notre ami Martin Borgomano […]
Quel est le contennu de ces journaux de la Résistance ? Le Patriote donne les informations exactes sur les succès de la contre-offensive soviétique, sur l’avance de Montgomery en Afrique du Nord. Il exalte les luttes séculaires de la Corse pour la liberté, appelle la population à aider les patriotes du maquis, à protéger nos agents de liaison, à surveiller tous les agissements de l’ennemi, à organiser contre ses déprédations, ses réquisitions, ses arrestations, une résistance de masse. En même temps, Le Patriote sème la panique dans le petit clan des collaborateurs en les clouant au pilori.
Maurice Choury.
« Tous bandits d’honneur ». Ed. Alain Piazzola 2011. Pp 49, 50, 51
(1) Trois noyaux d’impression fonctionnent à Bastia sous la direction de Noël Fontana. la dernière imprimerie ne servira qu’une fois, pour lancer l’ordre d’insurrection, le 8 septembre au soir.
LIEN : La Grotte de Porri
LIEN : Témoignage de Léo Micheli