Augustin Casanova et Joseph Ferrandi racontent l’arrestation, l’emprisonnement puis l’évasion des cheminots de Corte qui étaient détenus à la caserne Battesti à Ajaccio, en attendant leur transfert dans le camp d’internement de Saint-Sulpice (Tarn). *
1) Témoignage d’Auguste Casanova : Planquer les Résistants.
Le 16 mars 1943, notre camarade Moïse Ferrandi* me fait savoir qu’il voulait me voir d’urgence, lui-même habitant Poggio de Venaco et moi à Riventosa. A notre rendez-vous, entre les deux villages, il m’apprend que des camarades de Corte ont été arrêtés la veille. Nous décidons donc qu’il passe dans la clandestinité avec liaison par la famille Contini qui habitait en hiver au lieu dit « Amaghju » (commune de Riventosa), sur la route de Corte à Aléria, à 13 km de Corte. Le mot de passe était : »à la chèvre de l’oncle Etienne ».
Le 21 mars, un responsable du Front National, Pierre Simonpietri, dit « Papa », de Bastia, était arrivé chez nous et il devait partir le lendemain vers Ajaccio afin d’organiser l’évasion de nos amis cortenais emprisonnés. Vers 19 heures, voilà qu’on frappe au portail. J’avais indiqué à Pierre que la maison comportait deux sorties et qu’en cas de besoin il pourrait partir par une porte qui donnait vers la campagne. Ma mère va ouvrir et par un trou qu’il y avait dans la porte de la pièce où nous étions j’aperçois un individu dont la mine n’était pas rassurante ; il était vêtu d’un manteau gris et coiffé d’un chapeau de même couleur. J’ai pensé à un Italien en civil. L’homme dit : « Vous êtes la mère d’Augustin ? ». Là, j’ai reconnu la voix de Joseph Ferrandi. Dehors, Jacques Antoine Giacobbi et Mathieu Marcelli l’attendaient. Joseph Cristiani, lui, avait préféré rejoindre Corté. On les a fait entrer pour se restaurer. Ils iront ensuite se reposer dans la maison des Contini qui était à Amaghju et dont François, l’aîné de la famille, se trouvait à Riventosa, ce jour-là, au ravitaillement.
Vers deux heures du matin, mon frère Marco et François les ont conduits à la bergerie qui n’était pas loin d’Amaghju.
* Moïse Ferrandi, cousin germain de Joseph Ferrandi, a participé à la réunion historique de Porri. Il avait des responsabilités au niveau de l’arrondissement de Corte
2) Témoignage de Joseph Ferrandi : « Notre évasion des prisons d’Ajaccio »
Le 15 mars 1943, vers 20 heures 05, les camarades du Front National, tous membres du PCF, nous sommes arrêtés par ordre du gouvernement de Vichy pour être internés dans le camp de Saint-Sulpice, dans le Tarn. Ces cinq camarades étaient Cristiani Joseph, Giacobbi Jacques Antoine, Marcelli Mathieu, Giudicelli Paul, Ferrandi Joseph.
Dès notre arrivée à la prison de Corte, le brigadier Massiani, originaire de Moltifao, téléphonait à la sous-préfecture de Corte pour lui confirmer que les arrestations s’étaient effectuées sans problème. Aussitôt après de coup de fil, Massiani nous remettait à chacun une ordonnance préfectorale ; laquelle mentionnait que nous étions accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat et destinés à être internés au camp de Saint-Sulpice, dans le Tarn. Le lendemain 16 mars, dans l’après-midi, c’était le départ pour les prisons d’Ajaccio, en attendant le courrier [un bateau]qui allait nous amener sur le continent pour y être internés.
Les casernes Battesti dans lesquelles nous avons été emprisonnés n’était pas équipées pour servir les repas. Le préfet, provisoirement puisque nous étions en attente de courrier , nous fit prendre nos repas au restaurant « Bœuf à la mode », sur le cours Napoléon. Cela a pu nous permettre d’entrer en relation avec la Résistance d’Ajaccio, grâce à notre ami Ignace Bertonchini ; lequel avertit nos camarades pour qu’ils organisent notre évasion. Les camarades qui ont participé à notre évasion sont : Nonce Benielli, Jacques Tavera, Nicolas Bocognano, Costa Noël, Le Dr Franchini Noël et son frère, Madeleine Pinelli [la soeur de Jacques Tavera], Sampiero Colombani, Ignace Bertonchini, Poggioli le postier, Raoul Benigni et François Mancini.
Donc, le 18 mars 1943, alors que nous étions tous installés au comptoir du restaurant en train de « déguster » le café, Jacques Tavera entre dans le restaurant, me frôle au passage et se dirige aux toilettes. J’ai quelques secondes de réflexion, puis sans demander l’autorisation de me rendre aux toilettes, je décide d’y aller tout seul. Jacques Tavera me remit une scie à métaux et deux pistolets que je mets dans ma ceinture. Il me déclare ensuite que vers 6 heures du matin, des camarades seront à la sortie, près de la caserne Battesti, pour nous guider en lieu sûr. Comme nous avions eu l’autorisation des gardiens de prison d’être tous dans la même cellule, l’évasion était facilitée, en sciant un seul barreau. Donc, à moins d’un accident nous étions sûrs de réussir. Vers deux heures du matin, nous décidions de commencer à scier le barreau mais comme la lucarne était située presque au plafond, il nous fallait soutenir celui qui sciait le barreau.
Dès que nous avons commencé à scier le barreau, on faisait un bruit infernal. Nous pensions que nous ne pourrions jamais y arriver. De ce fait, nous avons cessé de scier un instant afin de voir si les gardiens n’étaient pas réveillés et comme rien ne se passait, nous avons continué. Mais lorsque le bas du barreau était [scié], lorsque nous avons attaqué le haut, Marcelli a cassé la scie à métaux. C’est la consternation, la dispute entre nous. Puis il a fallu se rendre à l’évidence et se résigner à la réalité et voir si on pouvait tordre le barreau. Cela n’a pas marché, alors, Marcelli et Giudicelli que nous soutenions, en poussant avec leur poids, ont réussi à dessouder le barreau. C’était la joie indescriptible, c’était la liberté retrouvée.
Il était exactement 3 heures du matin lorsque le barreau était sorti de son ornière. Que faire ? attendre 6 heures pour être pris en charge par Nicolas [Bocognano], Costa Noël ? Et si les gardiens s’avisaient de venir dans notre cellule pour une raison quelconque et s’apercevaient de l’état des lieux? C’est après ce raisonnement que nous décidions de nous évader et attendre plutôt dans le ravin, à l’extérieur, les camarades qui allaient nous conduire en lieu sûr.
La lune nous éclairaient comme en plein jour, les troupes d’occupation italiennes avaient occupé un bâtiment à côté. Giudicelli était resté dans la cellule parce que son père avait obtenu sa libération du préfet. Donc, Giacobbi, Marcelli, Cristiani et moi-même nous dévalons les murs de la prison et comme un malheur n’arrive jamais seul, au moment où Marcelli enjambe le portail métallique, il tombe et se blesse au mollet. Il a fallu le soigner sur place. Si les Italiens avaient monté la garde ils nous auraient abattus comme des lapins. Enfin, malgré ce double incident, nous réussissons à atteindre le ravin, puis sans attendre, nous arrivons au 42 cours Napoléon, chez Poggioli des PTT ; lequel nous conduisait chez Nonce Benielli. Et là se trouvaient également Raoul Benigni et Noël Franchini. C’est dans la soirée du 19 mars, vers 19 heures, que Nicolas Bocognano et Noël Costa devaient nous guider pour sortir de la ville., jusqu’à Mezzavia. Là, François Mancini nous a pris en charge. Nous avons dormi dans une grange et le lendemain matin, de très bonne heure, car il y avait pas d’Italiens sur notre chemin, nous nous rendions sur la voie ferrée pour emprunter un train spécial de marchandises conduit par Ignace Bertonchini, qui nous amènera jusqu’à Tavera, chez Madeleine Pinelli.
Le lendemain soir, vers minuit, un train de marchandises partait d’Ucciani en direction de Corte. Il était conduit par François Mariani et Jean Casanova**qui arrêtèrent le train en pleine voie pour nous permettre de nous rendre jusqu’à Venaco. Le chef de gare de Venaco, Cardosi, nous réconforta et le lendemain, 21 mars, vers 20 heures, je me rendais chez mon cousin Moïse Ferrandi à Poggio-Riventosa mais il était absent car il était au maquis. De ce fait, son épouse, Marie, me conseilla d’aller à Riventosa chez Augustin Casanova dont toute la famille était dans la Résistance. C’est chez eux que je rencontrais Simonpietri [Pierre] de Bastia dit « Papa ».
Imaginez la joie de ces retrouvailles quelques jours après notre arrestation. Nous retrouver dans les lieux-mêmes où nous militions pour organiser la Résistance ! Indescriptible !. Jamais je n’oublierai ces souvenirs fraternels et affectueux et tout particulièrement de la part de la famille d’Augustin Casanova, laquelle nous a soutenus et nourris en attendant une meilleure situation.
Fait à Marseille le 9 juin 1984. Joseph Ferrandi
* Ces deux témoignages ont été publiés par la Petit Bastiais à une date non précisée. Les remarques en bas de pages concernant le récit de J. Ferrandi ont été adressées au journal par Augustin Casanova après la parution du journal.
** Le chef de gare d’Ajaccio en ce temps là, M. Ponteri, a affirmé à Augustin Casanova qu’il n’a pas connu de cheminot du nom de Casanova Jean. En revanche Mme Mariani, l’épouse de Mariani François, a affirmé à Augustin Casanova que son époux, était dans le train qui a transporté les évadés depuis Tavera jusqu’à Venaco. Il lui en a fait le récit aussitôt après les faits.