Effets militaires et politiques de la libération.
La Corse une fois libérée deviendra un porte-avions (USS Corsica) insubmersible ancré dans le golfe de Gênes ; une aubaine maintenant offerte par l’insurrection aux Alliés qui avaient mal apprécié l’utilité stratégique de l’île. Mais ce n’est pas là le seul effet militaire de l’insurrection victorieuse : en effet, 22 classes d’âge seront enrôlées. On trouvera des Corses sur tous les théâtres d’opération : des confins du Sahara, aux rives du Niemen, des îles du Pacifique aux plages de Normandie, en passant par Cassino et les Côtes de Provence. Et comment mesurer l’effet politique, hors de Corse, à l’annonce 1) Qu’ « un premier morceau de la France (était) libéré ». 2) Que seuls des Français en étaient les acteurs et 3) Que la Résistance intérieure y avait joué un rôle majeur, notamment en déclenchant l’ordre d’insurrection ?
Alors, exemplaire ce qu’a fait la Corse ? Alger n’a pas apprécié d’avoir été mis devant le fait (d’insurrection) accompli. Pourtant, le général De Gaulle viendra, le lendemain de la libération, après le général Giraud, exalter le fait d’armes et le fait politique. Mais il s’empresse aussitôt de nommer un préfet pour remplacer celui de Vichy et vite signifier aux dirigeants du Front National que la légitimité qu’ils avaient acquise pendant l’occupation avait cessé dorénavant avec la République restaurée. Il aura d’autant moins de mal à faire admettre cela que les non-communistes du Front National, ont pris leur distance d’avec leurs anciens compagnons d’armes communistes.
Gérer la pénurie et la reconstruction avec de faibles moyens
Son pouvoir rétabli, le préfet Luizet doit s’atteler à deux tâches
- Gérer la pénurie (et lutter contre le marché noir) pour la population civile.
- Commencer à reconstruire ce que les combats ont détruit : prioritairement Bastia qui a été ravagé par les bombardements et les ponts de la route de la plaine orientale. La voie de chemin de fer qui mène de Casamozza à Porto-Vecchio, elle, ne sera jamais reconstruite.
Il dispose pour cela de moyens limités. La Corse est encore bien isolée avec seulement deux navires qui peuvent être affectés chaque mois à son ravitaillement. Les moyens en main d’ oeuvre aussi font défaut puisque 22 classes d’âges sont parties combattre hors de l’île. En outre, quelques 3.000 civils italiens ont quitté eux aussi la Corse parce qu’ils ne s’y sentent persona non grata. La seule compensation à cette hémorragie de main d’oeuvre sera la présence pendant encore quelques mois de quelques 5.000 militaires italiens retenus en Corse pour l’exécution de travaux publics ou pour enquête sur les dommages causés par les troupes d’occupation.
Ruptures et continuité
Autre préoccupation du préfet : vite mettre en sécurité, en les transférant en Algérie, quelques personnalités qui avaient tout lieu de craindre les représailles des Résistants. D’autres collaborateurs moins connus et très peu nombreux n’y échapperont pas.
L’épuration a commencé. 2/3 des maires sur les 362 que compte la Corse sont destitués. Les tribunaux se mettent en place et jugent. De toutes les condamnations à mort prononcées, beaucoup le sont par contumace et d’autres ne seront pas exécutées et plus tard commuées. En revanche les trois condamnations à mort prononcées par le Tribunal militaire seront exécutées. Il y aura des décisions surprenantes : l’acquittement du Maire d’Ajaccio, Dominique Paoli et de Jean Makys, le journaliste de « La dépêche corse ». Mais il est vrai qu’une autre guerre a commencé :
« la guerre froide » qui divise la Résistance et incline les tribunaux à la mansuétude pour les collaborateurs. Les lois d’amnistie de 1951 et 1953 se chargeront du reste. Et combien, comme Papon, continueront à faire carrière sans jamais être inquiétés ?
Ii y a bien quelques polémiques à propos de ces jugements mais ça n’y changera rien. La faible population de l’île qui fait que « tout le monde se connaît » a peut-être eu raison de ceux qui réclamaient plus de sévérité. Et puis, il est vrai qu’au lendemain de la guerre les Corses avaient déjà la tête ailleurs : ils se réjouissent du retour des prisonniers et déportés et sont préoccupés par l’avenir économique de l’île qui n’encourage pas à y demeurer. Le déclin continue, les nouvelles forces politiques issues de la guerre n’inverseront pas les tendances lourdes qui prévaudront encore pendant de nombreuses années. Heureusement, les grandes réformes économiques et sociales (nationalisations, sécurité sociales, retraites, réforme du droit du travail, etc.) du programme du Conseil National de la Résistance modifieront en profondeur la situation des Corses, comme celle de tous les Français.