Madeleine Pinelli raconte
Madeleine Pinelli raconte son premier acte public de résistance au gouvernement de Pétain. c’était à la rentrée de l’automne 1940.
‘L’ordre a été donné à tous les maîtres d’école de procéder, chaque matin au lever des couleurs. Les maires ont donc planté le mât devant chaque école. L’un d’eux, dans un petit village, convoque la maîtresse (NDLR :en l’occurrence, Madeleine Pinelli.
Le maire : « Depuis que le mât est dressé à l’intentions des élèves vous n’avez jamais fait exécuter le lever des couleurs, or, les ordres sont les ordres et demain je vous ordonne d’être présente avec tous vos élèves à 8 heures. Tout le village sera là. La cérémonie se déroulera en présence des Anciens combattants ». Puis sur un ton cérémonieux : « Je vous ai convoquée à la mairie afin que vous compreniez que cet ordre est officiel». Madeleine Pinelli : « Je regrette de devoir vous désobéir, Monsieur le maire, mais à 8 heures je serai comme chaque jour dans ma classe ; les parents qui le désirent accompagneront leurs enfants. Quant à moi, je serai dans ma classe pour y recevoir ceux qui désireraient ne pas se rendre à la cérémonie ». Ainsi dit, ainsi fait.
Conciliabules, va-et-vient inhabituels, on balaie la place, on y dresse une scène, on y pique des dizaines et des dizaines de drapeaux sur le terre-plein fleuri. Demain sera un grand jour ! Les enfants n’écoutent pas les leçons. Dès la sortie, ils s’affairent, réclament leur part de besogne ; ils enfoncent des clous, traînent des planches, déploient des banderoles et observent sournoisement leur maîtresse silencieuse, lointaine, les regardant à peine alors qu’habituellement elle se prête à leurs jeux, prend part à leurs discussions.
« – Ne vous obstinez pas ou je me verrais dans l’obligation de signaler votre attitude à la gendarmerie » vient lui dire, avec quelque condescendance, le président de la section locale des Anciens combattants.
« – A votre aise Monsieur, faites votre devoir. Je fais le mien»
Et le lendemain la maîtresse attend ses élèves. Aucun ne se présente. Tous sont sur la place, «pris en mains» par les autorités locales, jetant un regard furtif, parfois haineux sur l’institutrice qui de son bureau observe la cérémonie. «Maréchal, nous voilà…», mais les voix sont discordantes, éthérées ; aucun de ces enfants n’a appris cette chanson. Alors viennent à leur secours les voix mâles, faites de tous ces hommes assemblés qui, au garde-à-vous saluent le drapeau. Pris au jeu, les enfants ont crié, chanté plus fort, et la maîtresse, derrière son bureau, sentait le défi, qu’innocents, ils lui lançaient à travers les mots, en forçant le ton qui se voulait plus martial, plus convaincants encore.