Quelle fut la contribution des troupes italiennes aux combats libérateurs de septembre-octobre 1943 ? Le sujet est controversé. Invités au colloque de l’ANACR 2B, le 27 mai 2016, Francis POMPONI et Antoine POLETTI ont traité le sujet en utilisant les travaux d’historiens italiens et quelques archives corses inédites.
UNE CONTRIBUTION ITALIENNE CONTROVERSÉE
Le 9 septembre 2013 à Ajaccio, on commémorait le 70ème anniversaire du début de l’insurrection. La cérémonie s’est déroulée en présence de Kader Arif, secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants et à la Mémoire. Etait présent aussi le consul d’Italie à Marseille, M. Paolo di Nicolo, représentant l’ambassade d’Italie, qui a déposé une gerbe au monument aux morts. Les médias n’ont pas relaté le fait. Il est passé inaperçu ; d’autant que Kader Arif dans son discours n’a pas fait état de la présence du consul, tout comme il ignorera les soldats italiens dans son hommage à tous ceux qui ont contribué à la libération de l’île. Mario Papi, au nom de l’ANACR de Corse-du-Sud osera qu’ « Il serait injuste d’oublier les éléments de troupes italiennes ralliées aux forces de libération pour bouter hors de Corse l’occupant allemand« . Pourtant, dans les négociations avec l’ambassade d’Italie le secrétariat de Kader Arif, dans un courriel du 2 septembre1Courriel du 02.09.2013 en provenance du cabinet du Ministère de la Défense, signé par M. Guillaume Mascarin, conseiller en charge des relations avec le parlement et les élus. Témoignage recueilli par les auteurs., avait accepté ce dépôt de gerbe qu’il considérait comme « un geste inédit qui marque l’implication des forces italiennes dans la libération du territoire ». Un geste inédit mais loin de ce qu’espérait l’ambassade italienne qui avait demandé qu’un peloton de la Marine italienne rende les honneurs lors de la cérémonie. Demande refusée.
Pas plus que Kader Arif le 9 septembre, François Hollande, le président de la République, le 4 octobre 2013, venu commémorer l’anniversaire de la libération de l’île, ne fera jamais état dans ses discours de la contribution de l’armée italienne.2François Mitterrand en septembre 1993, lors du 50ème anniversaire a ignoré aussi la contribution de soldats italiens à la libération de la Corse. En septembre 2003, aucun représentant de l’État n’avait fait le déplacement. A l’origine de cette bouderie, le double vote des Corses, majoritairement contre, lors des référendums proposés par le gouvernement Chirac (Sarkozy Ministre de l’intérieur) : celui pour une réforme constitutionnelle pour la Corse (processus de Matignon initié par Lionel Jospin) et celui concernant le traité de Maastricht Sur la Place Saint-Nicolas, en ce 4 octobre 2013, Léo Micheli, un des principaux dirigeants de la Résistance insulaire, saluera lui, « l’engagement, en dépit des atermoiements de leur hiérarchie, des unités italiennes qui ont lutté contre l’hitlérisme, se battant ainsi pour notre liberté et pour la leur, car en se battant contre l’hitlérisme et quelques unités italiennes elles-mêmes, les combattants italiens, véritables patriotes italiens, étaient dignes de leur patrie : l’Italie ». Un hommage qui faisait écho à ces tracts, rédigés en italien, diffusés par le Front national à Bastia en direction des troupes de l’Esercito, dès le 9 septembre 1943: « […]° Soyez aux côtés des Corses, au chant de La Marseillaise et de l’hymne de Garibaldi. Manifestez votre joie à l’occasion de la fin du massacre, votre haine contre le bourreau Hitler et ses valets. Ne vous faites pas désarmer, gardez votre fusil ou bien remettez-le aux camarades corses. Mort aux criminels de l’OVRA ; mort aux carabiniers assassins. Vive la liberté et la fraternité entre les peuples. »3J.L. Panicacci. « L’occupation italienne en Corse ». Pp 314, 315. (ADHC 3J 3/2 cité par Sylvain Gregori. Op. cit. p. 1274, Annexe 107).. Et dans un second tract : « Italiens ! soyez avec nous en cette heure de joie. Que le sang latin qui coule dans nos veines soit le lien sacré entre les Corses et les Italiens. NOUS VOUS AVONS ADMIRES cette nuit lorsque vous avez battu les Allemands, en dignes fils de vos pères héroïques qui les avaient battus en 1918. Comme à l’époque, soyez à nos côtés. POUR LA PAIX, POUR LA LIBERTÉ, POUR LA FRATERNITÉ LATINE ».4Ibid. p. 315. (ADHC 3J 3/2 cité par Sylvain Gregori. Op. cit. p. 1275, Annexe 108)
De cette fraternisation, de cette coopération, le Comité Français de Libération Nationale à Alger n’en voulait pas en 1943. Le C.F.L.N. déclare qu’il ne reconnaît pas l’armistice franco-italien de 1940, qu’il n’a pas été associé aux armistices long et court de l’automne 1943, conclus entre les Alliés et le gouvernement Badoglio ; par conséquent, à ses yeux, l’état de guerre subsiste entre la France et l’Italie.
Le C.F.L.N. refuse de reconnaître le gouvernement Badoglio, car il ne peut admettre que l’Italie reste dirigée par les mêmes hommes qui ont conduit l’agression de 1940. Il accuse le Royaume du Sud (encore dirigé par le roi Emmanuel II) d’être entre les mains de fascistes mal repentis et proteste contre la volonté des Alliés de confirmer son pouvoir; Le CFLN est « contre le statut de co-belligérance accordé à l’Italie, et contre les efforts pour faire rentrer l’Italie dans la guerre. »5Pierre Guillen. Les Français et la co-belligérance italienne. 1943-1945. Cahiers de la Méditerranée n° 52. Pp 1-8. Consultable sur le site internet de la revue Persée. Selon le Général Gambiez, le commissaire aux affaires étrangères, René Massigli, commissaire aux affaires étrangères du C.F.L.N., a mis en garde le général Giraud, dès le 17 septembre, pour qu’il fasse « en sorte que Rome ne puisse pas un jour, faire état de l’aide apportée par l’armée italienne dans la reconquête d’un département français ». Une note rédigée dans le même sens est adressée au commissaire à l’Intérieur afin que des instructions soient données au préfet. »6La Libération de la Corse. Général Gambiez. Ed Hachette. p. 273.
De ce qui précède, on comprend que la contribution des troupes italiennes à la libération de l’île est un sujet controversé. D’où l’intérêt d’y voir plus clair, en essayant d’offrir une grille de lecture qui ne cède pas au ressentiment exprimé par les résistants qui avaient eu à pâtir de l’occupation italienne, et après, durant les combats libérateurs, d’une aide trop mesurée de l’Esercito ; une grille de lecture qui ne cède pas non plus à l’irénisme, misant sur l’oubli et laissant à penser que la libération de la Corse devrait tout au Regio Esercito – on trouve ça sur internet. « …pas tout » écrit le général Magli qui commandait les troupes italiennes en Corse mais « une indiscutable contribution » ; Magli qui rappelait en 1949 dans ses mémoires tous les engagements de ses troupes sur le terrain et concluait qu’elles avaient « …empêché les Allemands d’occuper l’île et semer la terreur et la mort dans sa population ; elles ont chassé les Allemands de l’île en totale collaboration avec les patriotes et les unités régulières françaises ; elles ont créé, en Corse la grande base de lancement pour l’aviation anglo-américaine, utilisée à fond dans le développement successif des opérations en Italie 7La Corse dans la Seconde Guerre mondiale. Ed. Albiana. P. 194. Et Magli de rappeler les 637 morts italiens en Corse8Gian Carlo Tusceri dans son livre « La battaglia che non fu mai » P 218, rapporte que selon l’Office historique de la Marine italienne le bilan des pertes en Corse serait le suivant : Italiens : 2.954 morts et blessés. Allemands : 4.000 morts ou blessés. La différence s’explique vraisemblablement selon que l’on considère les morts à terre et sur mer (G.C. Tusceri) ou à terre seulement. Le général Gambiez évalue à 245 le nombre de morts et 557 les blessés (« La libération de la Corse ». Ed. Hachette. p. 299. Un nombre bien inférieur : 245, selon le général Gambiez. En tous cas, quelque soit le nombre retenu, les pertes italiennes sont supérieures à celles des morts de l’armée française et les Résistants réunis durant les combats de septembre octobre 1943. Un lourd tribut de l’Esercito qui n’a pas empêché le général Giraud de déplorer le peu d’empressement des troupes italiennes à combattre les Allemands. Le général De Gaulle, lui aussi, lors de son séjour en Corse en octobre 1943 avait déploré la passivité des troupes italiennes lors d’une conférence de presse. Le « Journal de la Corse » du 11 octobre 1943 rapporte que « En terminant, on demanda au général si les Italiens avaient beaucoup aidé les patriotes dans leur lutte contre les Allemands ou encore s’ils les avaient gênés. A ces deux questions, il répondit par la négative. » Mais nonobstant la différence d’évaluation des pertes italiennes par les états majors, ce qui importe en définitive, c’est de savoir quel a été le comportement des troupes italiennes du 8 septembre au soir, à l’annonce de leur capitulation, jusqu’au 4 octobre ?
TRACTATIONS POUR LA SIGNATURE DE L’ARMISTICE , DUPLICITÉ ET SUSPICION
Quel fut le comportement des troupes sur le terrain ? Quels ordres recevaient-t-elles du commandement en Corse ? Ce dernier les recevaient du commandement suprême de l’armée et du gouvernement italien qui avaient négocié les conditions de la capitulation avec les Alliés. Mais quelles conditions au juste ? Quelles clauses ? pour quelle réelle application ensuite ? par des hiérarques qui ne sont pas — qui par sympathie pour fascisme, qui par crainte de représailles allemandes — résolus à affronter l’ancien et puissant allié d’hier. Peur d’autant plus justifiée que depuis la destitution de Mussolini, le 25 juillet, les Allemands ont considérablement renforcé leur présence partout pour pallier la défection italienne qu’ils savent imminente ; d’autant aussi que l’Allemagne tient la dragée haute aux Alliés dans le sud de l’Italie et compte bien les contenir au sud de Rome, en deçà de la Ligne Gustav. Rome que le gouvernement, paniqué, a fui en grand désordre à l’annonce de la capitulation annoncée par la radio alliée, le soir du 8 septembre.
Le désarroi, s’est emparé de l’ensemble de l’armée italienne. Pourtant, en Corse et en Sardaigne le rapport des forces était en faveur des Italiens : respectivement moins de 10.000 soldats allemands en Corse et 30.000 en Sardaigne pour respectivement 80.000 et 132.000 soldats italiens. Certes des Italiens moins bien armés qu’eux mais ils pouvaient espérer aussi l’aide de la population pour faire nombre. Rien n’y fit : au lieu d’empêcher les Allemands de passer en Corse comme il en avait l’ordre, et en dépit de la volonté de combattre les Allemands de quelques officiers et de la Résistance locale, le général Basso, qui commande l’armée en Sardaigne, reste l’arme aux pieds. Basso laissera l’armée allemande passer les bouches de Bonifacio à son rythme, en ayant eu tout loisir de faire des provisions avant d’embarquer à Santa Térésa. Le général Magli, en Corse, laisse lui aussi la voie libre pour le repli des Allemands quand bien même lui aussi avait reçu l’ordre, selon les clauses de l’armistice, de ne pas les laisser passer de Sardaigne en Corse. Il aurait même dû empêcher ceux de Corse de quitter l’île pour le continent italien. Il n’en fera rien.
Les manœuvres dilatoires du commandement, son comportement humiliant pour les Italiens eux-mêmes, inspirèrent d’amères réflexions à Antonio Tedde, officier du Regio Esercito en Sardaigne, qui sera après guerre historien et journaliste à la Nueva Sardegna : dommage, déplore Tedde, que Basso n’ait pas saisi, en Sardaigne, « … l’unique occasion offerte à l’Italie d’obtenir une éclatante victoire sur les Allemands avec des conséquences qu’on ne peut, à posteriori, pas évaluer mais qui auraient influé négativement sur la résistance allemande dans la péninsule (Il y aurait eu 35.000 combattants en moins), et positivement dans nos rapports avec les Alliés, obtenant une toute autre considération, et un autre traitement de leur part, tant pour le cours ultérieur de la guerre que lors des traités de paix »9A. Tedde. Un ufficiale scomodo. Dall’armistizio alla guerra di liberazione (1943-1945).Ed. Franco Angeli. P 64.
C’est en considérant toutes ces données qu’on peut comprendre ce qui est advenu en Corse de cette VIIème armée italienne et porter appréciation sur son comportement. L’acte de capitulation – les Alliés l’appellent « armistice »10A la conférence d’Anfa (Casablanca),en janvier 1943, Roosevelt avait exigé une capitulation sans condition et non une condition honorable selon le vœu de Churchill– de l’Italie est signé le 3 septembre mais ne sera rendu public que le 8 au soir pour laisser le temps aux hiérarques italiens de préparer leur retrait de la guerre et se préparer du mieux qu’ils pourraient pour faire face à des représailles inévitables de son allié de la veille ; en Italie surtout où ils ont renforcé leur présence depuis la destitution de Mussolini le 25 juillet. Les Italiens auraient pu, auraient dû anticiper une capitulation prochaine. Mais l’état-major n’y était pas résolu.
Cet armistice dit Il Corto armistizio ne traite que des aspects militaires à effets immédiats et réserve pour plus tard -ce sera le 29 septembre dans un Lungo armistizio-, les conditions de caractère politique, économique et financier auxquelles l’Italie devra se conformer. Le temps pour les Italiens de faire la preuve de leur engagement au côté des Alliés. Autrement dit, à partir du 8 septembre s’ouvre une période probatoire. « Les Italiens, écrit Churchill, doivent gagner leur examen de passage… » et « …s’ils se comportent bien nous pourrons négocier sur tout« 11Cité par Elena Aga Rossi. Doc PDF p. 68. C’est ce même langage que tient le 10 septembre Eisenhower à Badoglio, le chef du gouvernement italien : « Tout le futur et l’honneur de l’Italie dépendent du rôle que joueront maintenant les forces armées [italiennes]12Id. p.69« .
En fait, les Anglo-américains avaient peu d’espoir d’un réel engagement. Leurs interlocuteurs avaient été trop liés au fascisme pour être franchement convaincus d’un renversement d’alliance. Les négociations en avaient apporté la preuve. Elles « furent conduites dès le début avec beaucoup d’incertitudes et dans un climat de réciproque suspicion« , écrit l’historienne Elena Aga Rossi »13 id p. 70 ; suspicion entre Alliés et Italiens et suspicion aussi au sein de commandement militaire et du gouvernement italien. Les tergiversations continueront même après la signature puisque le Conseil fasciste, réunit en présence du roi, adopte à la majorité la proposition de Carboni : dénoncer l’armistice et continuer la guerre aux côtés des Allemands. Heureusement, écrit Aga Rossi » c’est Marchesi qui ramène tout le monde à la raison« 14 id p. 58. On comprend le refus de Eisenhower de surseoir au-delà du 8 septembre l’annonce de la capitulation signée cinq jours plus tôt. Les Alliés s’impatientent, l’affaire n’a que trop duré.
Constatons cependant, à la décharge des Italiens, que les Anglo-américains n’ont pas jeté toutes leurs forces dans cette bataille d’Italie et cela a fait douter l’État-major italiens sur les réelles intentions des Alliés ; ils les soupçonnaient, à peu de frais pour eux, de les faire entrer en guerre contre l’Allemagne, au risque de se trouver trop seuls à affronter l’ancien, redoutable et vindicatif ex-allié de l’Axe. Ils n’avaient pas tout à fait tort : le front italien n’était pas prioritaire pour les Anglo-Américains. Leur priorité, et ce malgré les réticences de Churchill, allaient à l’ouverture du front en Manche ; le front méditerranéen n’était pas leur priorité. En définitive, on s’en rendra compte plus tard, les Alliés avaient surévalué la capacité et la volonté des Italiens de combattre les Allemands et sous-évalué celles des Allemands à leur résister. Ce climat de suspicion dans lequel se sont déroulées les négociations, la valse-hésitation qui a présidé à la signature de l’armistice, même si c’est brièvement évoqué, ça méritait le détour pour mieux comprendre sa mise en application chaotique par une armée déliquescente. En marchant sur les brisées de l’Allemagne, quelques jours après sa victoire éclair en juin 40, l’Italie n’avait pas fait une entrée glorieuse dans la guerre – « un coup de poignard dans le dos » selon la France -. Elle en sort pitoyablement.
TERGIVERSATIONS ET CONFUSION AU SOMMET. CHAOS ET DÉBANDADE SUR LE TERRAIN.
« L’absence d’ordres au moment de l’armistice et dans les heures qui ont suivi ainsi que l’abandon de la capitale par le gouvernement et le commandement suprême, ne pouvait que déboucher sur le chaos et la débandade générale, constate Elena Aga Rossi. Les Italiens misaient sur une retraite allemande afin de ne pas avoir à les affronter. Ils n’eurent jamais l’intention de passer à l’action contre les Allemands, pas même là où les forces militaires l’auraient permis15 id p. 65. Sans cette neutralité, voire cette complaisance qui dictera la ligne de conduite de Basso, « …les commandants et amiraux auraient pu mener le combat [contre les Allemands] en Sardaigne pour sauver l’honneur des combattants et leur dignité » écrit l’historien Gian Carlo Tusceri. « Au surplus, les 30.000 Allemands de la 90ème Panzer auraient été bloqués en Sardaigne et on ne les auraient pas trouvés en Corse, puis sur le continent italien [entre autre à Cassino]. »16« Gian Carlo Tusci. La batagglia che non fu mai. p. 70
Et que pouvait-on espérer de Magli ? Pas grand-chose, selon Antonio Tedde. « La période du 25 juillet au 8 septembre avait été trop brève pour désintoxiquer certaines personnes qui avaient cru aveuglément dans le fascisme ou s’en considéraient comme débiteur. Magli, au commandement suprême, est resté trop longtemps au contact direct avec Mussolini, jouissant de son estime et de sa confiance, pour ne pas en subir la fascination »17. Tedde Op cit. p 74. Magli a exercé en effet en Corse son commandement avec zèle. Comme l’a montré Jean-Louis Panicacci (L’occupation italienne du Sud-Est. Ed. Presses Universitaires de Rennes) la politique répressive contre les Résistants s’est exercée jusqu’aux derniers jours d’août, alors que le général Vercellino pour la IVème armée du Sud-Est avait « levé le pied » depuis la destitution de Mussolini, le 25 juillet.
Les clauses de l’armistice :
* Cessation immédiate de toute activité hostile envers les Nations Unies de la part des forces armées italiennes
* l’Italie fera chaque effort pour soustraire aux Allemands tous les moyens qui pourraient être utilisés contre les Nations Unies.
*Toutes les forces armées italiennes, quel que soit le lieu où elles se trouvent actuellement engagées, seront rappelées sur le territoire italien.
Rejoindre rapidement l’Italie : l’ordre sera plus facile à exécuter par la IVème armée stationnée dans le sud-est de la France. « Dans la journée du 10 septembre, écrit l’historien Jean-Louis Panicacci, il ne restait plus beaucoup de soldats italiens en territoire français ». Le 12 septembre, le général Vercellino, à Nice, n’a plus de contact avec l’état-major. Il préfère dissoudre la IVème armée qu’il commandait dans la sud-est de la France. Aux troupes qui n’ont pas pu passer la frontière, les Allemands qui les font prisonniers offrent le choix : soit la République Sociale Italienne de Mussolini réfugiée à Salò, soit la prison en Allemagne. La très grande majorité, 40.000 hommes environ, préfèrent l’internement en Allemagne.
Pour la VIIème armée de Magli en Corse, l’insularité rend impossible un retrait immédiat en Italie. Cette clause de l’armistice est inapplicable en Corse. Mais l’autre clause « …soustraire aux Allemands tous les moyens qui pourraient être utilisés contre les Nations Unies. », Magli, y est tenu, tout comme Basso, son homologue en Sardaigne. Et d’ailleurs, leur situation résultant de l’insularité a fait l’objet de dispositions particulières de la part des états-majors ; Magli et Basso ont reçu les 4 et 5 septembre Le Memoria 44 qui donne l’ordre de se préparer à un renversement d’alliance. »18A. Tedde. Op cit P. 61. Le 8 au soir, Magli semble vouloir s’y conformer; « Aussitôt la nouvelle de la capitulation connue, écrit Gian Carlo Tusceri, « Magli autorise les batteries à ouvrir le feu sur les unités allemandes qui tenteraient de sortir par le port de Bastia. En outre, Magli avait chargé l’amiral Catalano de stationner hors du port, se mettant ainsi à l’abri, à titre de précaution, des tirs des batteries côtières contrôlées par les allemands. [Il s’était assuré] le concours des unités Aliséo, Cormorano et Ape afin de capturer le Allemands qui auraient tenté de sortir par force ».19Gian Carlo Tusceri. « Ci sono guerre che si vinceno e guerre che si perdono ». In Etudes corses. Colloque international de Bastia 11 et 12 octobre 2003. P.216
Cette ferme détermination, conforme à l’armistice, ne fera pas long feu. Au lieu de s’attaquer aux Allemands, les deux commandants italiens, en Sardaigne et en Corse, vont se réfugier dans une coupable neutralité. Dès le 8 au soir, Paul Colonna d’Istria, un des responsables du Front national, Paul Colonna d’Istria, somme Magli de lui faire savoir « avant minuit et sans phrases […] : avec nous, contre nous ou neutre ? » La réponse arrive avant le terme fixé : « Avec vous ». Mais Magli n’en fera rien pendant plusieurs jours. Après l’affrontement provoqué par les Allemands sur le port de Bastia dans la nuit du 8 au 9, la paix revenue, Von Sunger und Etterlin, commandant les troupes allemandes, rencontre Magli, lui aussi. Au cours de l’entrevue, rapporte Von Sunger, Magli « … accepta, à ma grande surprise, de faire servir ses batteries côtières par des commandos allemands. Il fut d’accord pour rassembler ses troupes au centre de l’île et pour s’abstenir de tout acte d’hostilité.« 20La Corse dans la Seconde Guerre mondiale. Ed. Albiana. P. 188
Ce 9 septembre au matin, Magli reçoit le Colonel Cagnoni qui vient lui soumettre les offres de la Résistance corse pour lutter ensemble contre les Allemands. Refus catégorique ! En dépit des promesses qu’il a faites à Paul Colonna d’Istria, Magli se réfugie dans cette impossible position de « Spectateur armé du conflit » qui n’est que duplicité. Il s’inquiète auprès de Basso des troupes allemandes qui ont commencé à franchir les bouches de Bonifacio depuis le 10 septembre et il presse son homologue de les en empêcher. Magli, pour sa part, n’avait pas l’intention d’attaquer les Allemands stationnés en Corse. Encore moins ceux que lui envoyait Basso de Sardaigne. Basso et Magli refusent le combat. Mais que pouvait-on attendre d’ « un commandement exercé par de pauvres êtres ravagés par la peur d’affronter la bataille ? » écrit Antonio Tedde21A. Tedde.Op. cit. P 69
Le 11 septembre, Magli reçoit, tout comme Basso, un rappel pressant du Mémoria 44 de l’état-major, signé Roatta, le chef suprême des armées : « …il est urgent de mettre en œuvre avec beaucoup de décision et d’énergie le Memoria 44, en expulsant rapidement les commandements et unités allemandes qui se trouvent en Sardaigne et en Corse. Dans ce but, il est nécessaire d’empêcher le passage de la 90ème panzer d’une île à l’autre. En Corse se servir du concours de la population civile ». Magli réagit à cette injonction en demandant à son homologue Basso en Sardaigne d’empêcher le passage des troupes allemandes en Corse qui a commencé la veille. Basso reste sourd aux appels de Magli. Alors, Magli adapte sa conduite sur celle de Basso « on ne sait si c’est à contrecœur [mais] il ordonne, écrit A. Tedde, à ses troupes de laisser libre le passage sur la route de Bonifacio à Bastia et de s’éloigner sur un rayon de plusieurs km de manière que les Allemands puissent en Corse aussi se mouvoir à leur aise22Un ufficiale scomodo. Dall’armistizio alla guerra di liberazione (1943-1945). p 63. Le 12 septembre arrive un autre rappel de l’état-major: « les Allemands doivent être considérés comme des ennemis et en tant que tels attaqués et détruits sans la moindre hésitation » et l’état-major compte sur l’énergie des troupes pour « regagner le temps perdu »…23G.C. Tusci. La bataglia che non fu mai p. 163
La neutralité de Magli n’est plus tenable, d’autant que le Allemands retiennent prisonniers quelque 700 soldats italiens dans la région de Bonifacio et Porto-Vecchio, et qu’ils entendent se rendre maître du port de Bastia. Avec les renforts arrivés de Sardaigne, ce qu’ils n’avaient pas réussi le 8 septembre, ils y parviendront cette fois, déloger les Italiens de la ville et s’installer sur les hauteurs de la ville. Ils affrontent donc les troupes italiennes. Et Magli sait par ailleurs que les troupes françaises ont commencé à débarquer Ajaccio, ce qui ruine définitivement son espoir d’une tranquille évacuation allemande avec sa bénédiction.
Le « spectateur armé », retiré sur l’Aventin, peut-il rester plus longtemps l’arme au pied ? Ne pas s’engager, garder les deux fers au feu, comme le fait le gouvernement en ces premiers jours d’armistice, ne peut qu’ engendrer la confusion sur le terrain. De cette duplicité procèdent donc des ordres confus. Aux ordres de Roatta pour un engagement clair et sans faille contre les Allemands (Mémoria 44 et les notes suivantes), l’amiral Sansonetti, chef de l’état-major de la marine, apporte un bémol. Il a trouvé un échappatoire sensé donner bonne conscience à chacun : « Ciascuno e libero nella propria coscienza di giudicare come crede« . Chacun est libre en sa conscience de juger comme il l’entend. Il y a des exemples dans l’histoire de l’Italie où de fervents patriotes ont considéré le bien du pays dans des vues opposées, les uns et les autres dans une parfaite bonne foi« . Autrement dit, faites comme il vous plaira.
Mais à supposer que les ordres aient été clairs, ces troupes auraient-elles obéi ? Pas sûr ! Selon le commandant du sous-marin Casabianca, L’Herminier, « …on peut assurer [que]: 50 % ne veulent se battre sous aucun prétexte ; 30 % sont indifférents, sauf à l’idée de rentrer chez eux ; 20 % veulent bien se battre contre les Allemands à nos côtés, à conditions de nous voir arriver en nombre. »24L’Herminier. « Casabianca ». Ed. France-Empire p. 289. En définitive, il n’est résulté pour eux que désarroi, chaos, débandade et sauve-qui-peut. Tutti a casa ! Le témoignage Giovanni Milanetti arrivé à Bastia le 8 au matin sur L’Humanitas donne une idée du sentiment de déréliction qui a pu s’emparer d’un jeune soldat de 18 ans.
QUEL ENGAGEMENT SUR LES THÉÂTRES D’OPÉRATIONS ?
Après avoir brossé le tableau de cette situation confuse créée par la duplicité du gouvernement Badoglio, et celle des états-majors en Sardaigne et en Corse, après en avoir cerné à grands traits les tenants et aboutissants politico-militaires, voyons maintenant les effets chaotiques que cela a produit sur le terrain. Les premières sources d’information sont les rapports, les témoignages ou autres écrits faits à chaud25Archives Maurice Choury et Paul Conte-Devolx (Militaire, démineur, attaché militaire pendant l’occupation, placé au standard téléphonique à la poste à Ajaccio pendant les combats libérateurs) puis les récits et analyses qui en ont été faits plus tard par les historiens et les acteurs de ces combats de la libération. D’autres sources d’information auraient été utiles, notamment celles fournies par les rapports de la gendarmerie (introuvables aux archives départementales d’Ajaccio) et celles que détiennent les armées protagonistes. Mais on dispose de suffisamment de documents pour être sûr de « ne pas faire d’un bout de vérité la vérité toute entière »26Pierre Laborie. « Le chagrin et le venin ». Ed. Bayard. P 34
« … une interprétation momentanée d’une parcelle de passé se voit élargie à la dimension d’une vision d’ensemble porteuse d’une cohérence séduisante. Elle devient prépondérante, à la fois parce que la nouveauté de son éclairage marque les esprits et parce qu’elle répond à des attentes plus ou moins formulées jusque là. Elle s’installe ensuite dans la durée avec le statut d’une vulgate qui fournit des certitudes, affirme porter un regard juste sur les évènements et en donner la bonne lecture«
Commençons par le sud de la Corse, plus précisément dans l’Alta Rocca (Levie, Ospedale, Usciolu, Zonza) lieu stratégique où les Allemands ont installé un P.C. à Quenza, avec 200 tonnes de munitions et 600.000 litres de carburant. De durs combats s’y déroulent du 9 au 17 septembre ; des combats au cours desquels seront tués 9 Résistants et 10 militaires italiens. Ces militaires sont des volontaires commandés par le lieutenant Bostaï, qui se sont mis à la disposition de la Résistance. « Ils nous ont rendu beaucoup des services avec la mitrailleuse« 27Une batterie italienne de 75 mm qui a détruit 5 camions selon Conte-Devolx. dira le colonel de Peretti, responsable du Front National à Levie. « J’avais même demandé que le lieutenant Bostaï reçoive une décoration de la France » parce que dit-il « …c’est une question de conscience ».[Mais]« . Le général Mollard m’a fait comprendre que ce n’était pas opportun » déplorait De Peretti28Témoignage audiovisuel sur le CD Rom « La Résistance en Corse ». Ed. AERI 2003. et Site internet www.resistance-corse.asso.fr. Distinction injustement refusée d’une part, mais d’autre part, félicitations imméritées de Giraud, quelques jours après les combats, au général Ticchioni qui commandait la compagnie d’infanterie alors qu’il avait donné l’ordre à ses troupes de fuir la zone des combats et se réfugier à Aullène.
Plus au nord, les Résistants et l’armée italienne avec leurs armes lourdes, affrontent les Allemands qui veulent remonter la vallée du Fium’Orbu. Les Italiens, partis de Corté sous les applaudissements de la foule, sont refoulés par les Allemands. Selon Comte-Devolx, un officier attaché militaire en Corse, ils perdent entre cent et deux cents hommes dans le défilé de l’Inzecca avant de se replier sur Vezzani où ils tiendront les routes de Rospigliani et Pietroso29A Pinzalone, Une plaque signale la mort de quatre résistants ayant participé aux combats : Martelli Paul, Martelli Antoine, Chiodi Bruno et Pieri Toussaint.
D’autres régions qui connurent de durs combats : la Castagniccia, la Casinca et Golo-Morosaglia. Dès la 9 septembre, rapporte le capitaine patriote Vincenti, les Résistants se réunissent avec les Italiens stationnés à Piedicroce pour décider d’un plan d’attaque des dépôts allemands de la région. Parmi les Italiens, le colonel des Chemises noires, Gianni Cagnoni, qui dit disposer d’une centaine d’hommes. Le 14 septembre, relate le capitaine Vincenti, « Les patriotes de La Porta et Ficaja, avec leurs fusils mitrailleurs, renforcés par 40 Italiens avec une mitrailleuse lourde, sous les ordres du Capitaine Sovala, prenaient position sur l’éperon de Palancitto. « La présence des Italiens est encore signalée dans le rapport du surlendemain : « Journée du 16.09. Arrivée à La Porta du bataillon d’anciennes chemises noires de Cagnoni. Deux Résistants vont les conduire de La Porta à Ponte Novu. »
Le 17 septembre, dans la région de Piedicroce, un millier d’Allemands, avec mortiers et lance-flammes, écrasent les Italiens -3 compagnies italiennes, selon Comte Devolx. Journées du 24 au 28 septembre, Italiens et résistants gardent ensemble le col de Prato. Les patriotes d’Omessa étaient présents à Prato. « Ces troupes, écrit le rapporteur du Front national d’Omessa, avaient livré, quelques jours auparavant combat à l’ennemi pour la prise de Piedicroce et avaient beaucoup souffert. Leur attitude paraissait courageuse. La présence des patriotes les réconfortait. »
Pour le canton de San Larenzo, selon le rapport d’Agostini : « Les rapports [avec les Italiens] ont été cordiaux. Les troupes italiennes, et spécialement les gradés, étaient très contents d’avoir des Francs-tireurs avec eux, surtout pour les patrouilles. »
Ce fut moins cordial dans le périmètre de Barchetta, selon le rapport, en date du 23 septembre, de Léonelli, le responsable militaire des patriotes de Campile. Leonelli se plaint de la valse hésitation des Italiens : le 9 septembre ils refusent l’offre de coopération avec la Résistance et se réfugient dans l’usine de Barchetta avec les Allemands. Deux jours plus tard, ils se ravisent. Ils quittent l’usine et demandent à prendre contact avec la Résistance pour collaborer avec elle. « Cette collaboration n’a pas donné les résultats qu’on pouvait en espérer écrit Leonelli, pour deux raisons principales :
1/ De part et d’autre, la confiance était limitée et les Italiens ne s’engageaient que très prudemment, trop prudemment même. Ils n’ont mis aucune arme à notre disposition.
2/ Les patriotes se sont rendus compte qu’en suivant les directives confuses du commandement italien, ils ne pouvaient que vainement s’opposer à la poussée allemande. Après le combat, la confiance des patriotes envers les Italiens a encore diminué et toute collaboration parait désormais compromise« . Plus qu’un manque de confiance, c’est de la défiance qu’exprime Paul Colonna d’Istria. « dans la zone occidentale, le reste de nos forces demeurait l’arme au pied, prêt à intervenir contre les Italiens dont la neutralité déclarée, mais équivoque, nous contraignait à une vigilance permanente »30La Corse dans la Seconde Guerre mondiale. Ed. Albiana. T. 1. P.107.
Bastia est un lieu stratégique. De durs combats y opposent Allemands et Italiens dès le 8 septembre au soir à l’issue desquels les Italiens gardent la maîtrise du port. Puis, retour en force des Allemands le 13 septembre; les Italiens contraints de laisser la place avec de lourdes pertes. Le capitaine de vaisseau Lepotier qui se trouve dans la région du Nebbio est tout aussi critique et méfiant que Colonna d’Istria. Lepotier reproche au commandement français de s’être illusionné et d’avoir été « trop confiant dans l’efficacité de l’aide italienne : « … l’appui sincère , mais insuffisant, de quelques officiers italiens, de quelques unes de leurs camionnettes et de leurs batteries d’artillerie, n’empêchera pas les Marocains de se faire tuer pour reprendre aux Allemands, les routes de Bastia, les cols de montagne que nos nouveaux alliés n’ont pas su défendre. Quatre S.S. et une voiture ont suffi à mettre en fuite le bataillon italien chargé de tenir le col de San Stefano. Le col de Teghjme, le plus précieux, puisqu’il commande la route directe de Calvi, vient d’être lui aussi abandonné sans combat »31La Résistance en Corse. Ed Jamot T II, p.89 […] Si mes souvenirs sont exacts, poursuit Lepotier, c’est le 1er octobre, en fin d’après-midi, sur la route, au-dessus de St-Florent, que j’ai rencontré un groupe de soldats italiens du génie, qui traînaient la jambe après avoir fui Bastia par la montagne. Ils étaient vêtus de costumes civils trop petits pour eux et porteurs de valises exagérément gonflées, dont il eut été indiscret de leur demander la provenance. Les règlements ne sont pas tendres pour les pillards32Id, p. 93. Lepotier a même vu « 105 Italiens placés sous commandement français qui commençaient de contrebattre les défenseurs du col, tandis que leur colonel pleurait, assis sur une caisse d’obus. »33Id p. 96
C’est un jugement bien différent qu’exprime le général Louchet qui commandait la 4ème Division Marocaine de Montagne, lui aussi presque sur les même lieux. Il adresse ses félicitations au général De Lorenzis qui commande la Division Friuli : » J’ai spécialement apprécié le concours efficace qui m’a été apporté sans réserve par les troupes de votre division, non seulement dans l’organisation des communications et des transports, mais encore dans leur participation directe au combat. Les unités que le Commandement italien avait tenu à mettre directement sous mes ordres, par un geste auquel j’ai été particulièrement sensible, se sont distinguées par leur courage et leur ardeur. Elles ont soutenu une lutte dure, dont témoignaient les pertes subies. […] Mon infanterie a rendu un hommage unanime à l’action précise et constante des batteries italiennes qui ont appuyé au plus près nos attaques, en dépit de la réaction ennemie. »
Dominique Salini, un des responsables du Front national de Bastia se trouve dans la région pendant les combats. Il saisit la conversation de deux Italiens : »- Se gli altri compagni lottano ancora, e che cosa facciamo » – Se credi questo, sei matto! »34« En ce temps là, Bastia ». D.et E Salini. p.191 répondit l’autre. Du côté de Miomo où il demeure, il voit errer des bandes de déserteurs italiens qui « échangeaient leurs armes contre des habits civils et se mêlaient ensuite à la population corse »35id. p.199. Son fils ramène chez lui, à Miomo, des soldats en perdition. -« Siamo la vergogna dell’ Universo« 36id. 195 s’attriste un sergent parmi eux.
ALORS, QUELLE CONTRIBUTION DES TROUPES ITALIENNES A LA LIBÉRATION DE LA CORSE ?
La période probatoire dont parlait Churchill, qui s’ouvre le 8 septembre au soir, a-t-elle été concluante ? Pas vraiment juge Eisenhower : « La situation en Sardaigne et en Corse démontre vraiment le peu d’aide et l’inertie des Italiens. Ensemble, [les deux îles] disposaient de forces suffisantes pour jeter à la mer les Allemands. Au lieu de cela, apparemment ils n’ont rien fait, même si çà et là ils ont occupé un ou deux ports. Rien n’a été fait qu’il était possible de faire » écrit Eisenhower au général Marshall, chef d’état-major le 13 septembre. »37Cité par Gian Carlo Tusci. Ci son guerre che si vincono e guerre che si perdono. in Etudes corses n° 57. P. 86.
Antonio Tedde juge sévèrement le commandement italien des îles : « En Sardaigne et en Corse, on pouvait anéantir les Allemands si les commandements [italiens] au lieu de s’accorder avec eux, accédant à chacune de leur requête […] 85.000 Italiens en Corse acceptèrent toutes les conditions imposées par 5.000 Allemands, lesquels pouvaient être faits prisonniers du premier au dernier dans la matinée du 9 septembre si l’ordre en avait été donné. Mais les ordres d’attaquer ne vinrent pas. Ils vinrent seulement quand les Français débarquèrent en force sur l’île, mais entre temps les Allemands s’étaient transportés sur le continent au complet, pas dérangés […] La Sardaigne et la Corse ne furent pas libérées par les Italiens mais simplement évacués par la libre détermination des Allemands. Voilà la seule vérité. »[…] « … dire une parole de cordialité et de compréhension [pour ces généraux], écrit Tedde , ça ne nous a pas été possible, ainsi qu’il n’est pas possible de comprendre leurs actes sans les considérer comme une ultime tentative de se tenir en attente au cas où le fascisme aurait gagné la guerre ou aurait pu retourner à gouverner le pays. […] Que la gloire soit accordée aux soldats italiens qui sacrifièrent leur vie en terre sarde et corse dans l’accomplissement de leur devoir. Les trois généraux [Basso, Brivonesi et Magli] ont eu le réconfort du pardon des hommes et du rachat de toutes leurs erreurs, […] obtenus avec le sang du soldat italien qui a combattu, de Cassino aux Alpes. Pardon et compréhension de la part des hommes mais jugement historique négatif. » conclut Antonio Tedde38A. Tedde. Op. cit. p. 73
Le jugement a été prononcé, pour le général Basso, après presque deux ans de prison préventive. Il est arrêté en octobre 1944 et jugé le 28 juin 1946. Il est acquitté.39Page 108 du jugement d’acquittement : « Le comportement de Basso a produit de bénéfiques résultats qui ont eu des répercussions favorables sur toute la suite des actions guerrières italiennes. » (sic). Magli n’a jamais été inquiété. Il a même été même honoré. Comme en d’autres pays d’Europe on a eu hâte de tourner la page d’autant plus vite qu’une autre guerre -la guerre froide- a commencé. Mais la plaie ne s’est pas refermée. L’ histoire de cette période est un « objet chaud », un enjeu de mémoire en Italie. Les Corses doivent y porter attention.
Antoine POLETTI
Liens : Des Italiens ont aidé la Résistance.
Sources et bibliographie :
- « Corse, sa libération. Septembre 1943 ». Paul Conte-Devolx. Tapuscrit détenu par l’auteur. P. Conte-Devolx était attaché militaire auprès de la préfecture de Corse durant l’occupation. Les troupes françaises débarquées, il est en poste au standard téléphonique. Dans de tapuscrit, il a fait un résumé des quelques 500 communications dont il a eu connaissance durant les combats de la libération de l’île. Le tapuscrit non daté, avait été adressé au colonel Méjean à Salon de Provence le 15 juin 1987.
- Archives Maurice Choury.
- « En ce temps là, Bastia ». D.et E Salini. Imprimerie Siciliano.1978
- « La Résistance en Corse ». Ouvrage collectif. Ed. Famot (Genève) 1976.Tome 1. Capitaine Lepotier : « Des clandestins débarquent » pp. 81 à 113
- « Casabianca ». Commandant L’Herminier. Ed. France-Empire
- « Libération de la Corse ». Général Fernand Gambie. Ed. Hachette 1973.
- « La Corse à l’épreuve de la guerre ». Hélène Chaubin. Ed. Vendémiaire. 2012 et « Corse des années de guerre » du même auteur. Ed. Tirésias – AERI. 2005.
- « La Corse dans la Seconde Guerre mondiale. Ouvrage collectif. Ed. Albiana. 1996.
- « L’occupation italienne. Sud-est de la France juin 1940-septembre 1943 ». Jean-Louis Panicacci. PUF de Rennes. 2010.
- « Un ufficiale scomodo. Dall’armistizio alla guerra di liberazione (1943-1945) ». Antonio Tedde. Ed. Franco Angeli. Première édition en 2002.
- « La battaglia che non fu mai ». Gianarlo Tusceri. Préface de Francis Pomponi. Ed. Paolo Sorba. 2009. Du même auteur, dans Etudes Corses n° 57 (2003), « Ci sono guerre che si vinceno e guerre che si perdono… »
- « L’inganno reciproco. L’armistizio tra l’Italia e gli AngloAmericani del settembre 1943 ». Doc .Pdf. Publicazioni degli archivi di stato. Fonti XVI. 1993.