Né(e) à Cardiff (Pays de Galle, ), le 06 Avril 1904 – Décédé(e) à Lichfield (Angleterre, ), le 8 août 1945
Comment Jacques de Guélis, chef de la section F (France) du S.O.E (1) en poste à Alger, a-t-il été amené à s’intéresser de près à la Résistance en Corse ? La réponse est évidente : recrutement, formation et choix des hommes pour les missions secrètes, armement de la Résistance insulaire par parachutages ou sous-marins, tout cela ne pouvait se faire sans l’aval, voire la contribution du S.O.E. auquel le général Henri Martin, le général Giraud et Paulin Colonna d’Istria étaient abouchés. Jacques de Guélis séjournera même dans l’île une dizaine de jours durant les combats libérateurs.
Paradoxalement, l’insurrection corse qui devait tant à la coopération entre la section F du S.O.E. et Giraud sera reprochée à ce dernier par le général de Gaulle (qui ne manquera pourtant pas publiquement de la louer), atteignant par ricochet le S.O.E. et son chef, Jacques de Guélis. Mais la carrière de Jacques de Guélis, commencée bien avant la Corse, continue, sur d’autres fronts. Elle s’achève, le 16 mai 1945 en Allemagne où un « accident », provoqué par un véhicule conduit par un chauffeur allemand. Grièvement blessé, il mourra le 7 août suivant.
Jacques de Guélis est issu d’une famille noble ruinée par la Révolution. La maison familiale, « Vilatte », est située dans le village de Herry, dans le Cher. Raoul Vaillant de Guélis, son père, au début du XXème siècle, émigre au Pays de Galle pour y travailler à l’exportation de charbon. Il épouse, en 1904, à Cardiff, Marie Stéphanie Barbier, la fille d’un professeur de français de l’université. De cette union naîtront deux enfants : Jacques de Guélis, en 1907, et Jacqueline, en 1912. Survient la guerre en 1914. Marie en est affectée par la mort de son époux, en 1916. Elle doit dorénavant assumer seule la charge du foyer ; avec toutefois le concours de la famille Barbier ; une famille très unie et restée attachée à la France.
Jacques de Guélis fait ses études à Cardiff puis à Magdalen College (Oxford). Il fait son service militaire en France puis, une fois libéré, travaille dans la publicité à Londres et Paris. En 1938, il épouse Beryl Richardson. Jacques qui a la double nationalité, vit à Londres mais passe régulièrement ses vacances dans la propriété familiale, à Sancerre, dans le Cher.
La guerre déclarée, en septembre 1939, Jacques de Guélis rejoint son unité à Orléans (2) mais c’est dans l’armée britannique que sa carrière militaire continue : il est affecté auprès d’une unité britannique, la 234 Field Company of Royal Engineers, en qualité d’officier de liaison, au début d’octobre 1939. Il fait aussi fonction d’interprète au Q.G. du Lord Gort, le chef des BEF (Forces Expéditionnaires Britanniques), donnant accessoirement des cours de français aux hommes de la 234 Field Company.
Fin mai 1940, il est en France et dans la confusion qui suit la déroute des Alliés, il peut néanmoins échapper au piège de Dunkerque et rejoint l’Angleterre le 1er ou le 2 juin. Il n’y reste que quelques jours ; le 12 juin, il est à Cherbourg. Après la chute de la France, il fait retraite avec l’armée française vers le Sud-Ouest. Démobilisé à Toulouse après l’armistice, il ne rejoint Marseille au mois de décembre 1940 sans qu’on sache vraiment son itinéraire ; peut-être a-t-il fait un détour par l’Indre pour y rencontrer Jacques Renouvin et le colonel Plat ? Dans la cité phocéenne, il attend une opportunité pour fuir la France. Selon toute vraisemblance, après de vaines tentatives d’évasion par bateau, il tente sa chance par la route durant l’hiver 1941-1942. Il franchit la frontière franco-espagnole et après un séjour au camp de Miranda del Ebro, l’ambassade britannique obtient sa libération. Il arrive à Glasgow au mois de mars 1942 par bateau.
Son expérience militaire, sa connaissance de la France, du français et des Français en fait un agent idéal pour les services secrets de la Grande Bretagne chargés de la France. Il est recruté par le S.O.E., la section F plus précisément, celle avec laquelle le général de Gaulle entretiendra des relations exécrables parce qu’elle travaille en toute indépendance des services de renseignement français ; De Gaulle lui préférant la Section RF qui coopère avec le B.C.R.A. de la France Libre.
Jacques de Guélis forme et encadre les agents destinés à la France. Il sera même envoyé en mission en France occupée. La nuit du 6 août 1941, au prix de quelques contusions, il touche le sol de France dans les environs de Châteauroux. De là, il parcourt la zone dite « libre » où il séjournera un mois. Il y rencontre les anciens députés Pierre Bloch et Max Hymans, ainsi que des Résistants dans le but de recruter des agents et organiser les parachutages. Sa mission terminée, il est exfiltré, dans la nuit du 4 au 5 septembre, non loin de Châteauroux, par un avion type Lysander, échappant de peu à la gendarmerie française… et à la chasse des avions allemands. L’avion se pose sur l’aéroport de Tangmere, trainant avec lui un fil électrique arraché lors d’un décollage qui faillit échouer.
En novembre 1942, à la suite des débarquements en Afrique du Nord, Jacques de Guélis est affecté à la tête de la section F, à Alger qui prendra le nom de code « Massingham », le chef du S.O.E., section F. Il est en contact avec le général Henry Martin qui commandera les troupes françaises en Corse et avec Paulin Colonna d’Istria, un proche de Giraud, qui sera envoyé en Corse au printemps 1943 (mission Pearl Harbour).
Jacques de Guélis, qui à Alger a eu un rôle actif pour les missions des sous-marins et les parachutages, se rend en Corse durant les combats libérateurs. Sous le nom de code « Major Gillies, il est débarqué à Ajaccio avec la général Henry Martin par le contre-torpilleur « Fantasque », le 17 septembre. Il y retrouve Paulin Colonna d’Istria qui, épuisé, est hospitalisé. Après trois jours passés à Ajaccio, le groupe de Jacques de Guélis se rend en divers lieux de l’île. Lui-même, accompagne le général Henry Martin. Pendant une semaine au moins, de Guélis et ses camarades arpentent la région, assistant les Corses et envoyant des messages à Massingham à Alger qu’il rejoint fin septembre.
L’insurrection corse, victorieuse mais non voulue par Alger -y compris par Giraud, de Gaulle et les Anglo-Saxons, est cependant louée par eux tous. Mais en coulisse, De Gaulle qui reproche à Giraud de l’avoir armée des mois durant, en profite pour le discréditer auprès des Alliés. Et la disgrâce de Giraud, vaudra à Jacques de Guélis une mutation pour Londres dès la fin octobre.
Sa carrière continue cependant. Il est affecté au « Low Countries, France and Allied Directorate » le 19 décembre 1943 où il prépare le débarquement du D-Day. Mais en fait, c’est dans le Limousin, près du Mont Gargan et non loin du village de Sussac, qu’il sera parachuté avec un groupe – la mission « Tilleul » -, du 7 au 8 juillet 1944. Il y est accueilli par Bob Maloubier du S.O.E qu’il avait connu à Alger et qui est devenu un des chefs de la Résistance locale. à la mi-août 1944, il participe au siège d’Egletons où les Allemands se sont retranchés.
Le Limousin libéré et après un passage à Paris, Jacques de Guélis est rappelé à Londres pour une dernière mission. Il est affecté à la « Section X » (des Allemands). Le 28 décembre 1944, il est à Bruxelles où il demeure jusqu’au 22 mars 1945. Sa mission : trouver les moyens de raccourcir la guerre. Le 29 mars, il est affecté dans une nouvelle unité, très secrète, – le Special Allied Airborne Reconnaissance Force – qui organise et forme des groupes de trois personnes qui, une fois parachutés près des camps de concentration, devront essayer de retrouver les agents du S.O.E. encore vivants pour les sauver de la vindicte des Allemands en déroute.
En réalité, Jacques de Guélis est parachuté en Allemagne le 8 mai après la capitulation allemande. En service commandé, il est victime le 16 mai d’un accident provoqué par une voiture conduite par un soldat allemand travaillant au camp de Flossenbürg, près de la frontière tchèque. Accident vraiment ou acte délibéré de la part d’un « soldat perdu » ? Le doute est permis. Blessé grièvement, Jacques de Guélis mourra le 7 août 1945 à Lichfield au Royaume Uni.
Ce qu’il a fait pour la Corse lui vaudra deux Croix de Guerre et les éloges des généraux Giraud et Martin.
Henri Giraud : "A été à distance un des principaux artisans de la libération de la Corse,(3) A acheminé sur ce pays les armes, le matériel, qui ont permis aux patriotes de bouter l'ennemi hors de leur territoire. Est venu avec le Corps expéditionnaire Français, prendre une part effective aux ultimes combats. a bien mérité de la France" (Citation pour la Croix de Guerre) Henry Martin : "Le souvenir qu'il laisse à tous ceux qui l'ont vu à l'œuvre reste celui d'une nature généreuse, d'un homme remarquablement complet et d'un camarade singulièrement courageux." Paulin Colonna d'Istria, dans une dédicace à son cousin, le capitaine Barbier, évoque son "grand ami, son camarade de combat".
Pour les services rendus au Royaume Uni il sera fait membre de l’Ordre de l’Empire britannique et recevra la Military Cross. Son chef, le colonel Buckmaster, responsable du S.O.E. section F, en a fait l’éloge posthume en mars 1946.
Colonel Buckmaster : "(...) un ancien de la Résistance nous a quittés, en laissant dans nos cœurs reconnaissants le souvenir inoubliable d'un très grand homme. (...) Jacques fut un homme qui inspirait la confiance, qui encourageait les douteux, et qui donnait l'exemple aux courageux... il fut essentiellement simple, de cette simplicité charmante et peu ordinaire qui déteste les vains mots et les tournures de phrases sans fond. (...).
Delphine ISAAMAN
(1) Special Operation Executive. Service secret créé à l’initiative de Churchill dès 1940. La section RF coopèrera avec le général De Gaulle. La section F , appelée aujourd’hui « Buckmaster », du nom de celui qui en avait la responsabilité, agira toujours en toute indépendance ce qui explique sa détestation par le chef de la France Libre. A Alger, en novembre 1942, y est installée la section AMF affiliée à la section F. à laquelle appartient Jacques de Guélis.
(2) Il est si grand – 1,89 m – que l’armée française lui confectionne un uniforme sur mesure.
(3) Souligné par nous