Premier chef de la mission Pearl Harbour créée par les services spéciaux de la Défense Nationale, le commandant de Saule est chargé d’encadrer trois jeunes résistants corses volontaires, pour l’organisation sur la Corse de la prise de renseignements, création et coordination de réseaux de résistance, prise de contact avec les résistants locaux, transfert d’armes en vue d’un débarquement pour soutenir la résistance corse.

De son vrai nom Robert de Schrevel, de nationalité belge, il est le fils de Jules Léon Schrevel, (1855-1930) médecin (Président de la commission médicale de Bruges), et de Valérie Thuysbaert (1888-1960), nièce du maire de la ville de Lokeren. Il est l’aîné de huit enfants dans une famille aisée, catholique traditionnelle mais il fréquente les cercles libéraux dont sont issus nombre de ses amis. Après des études de droit et de sciences politiques, il s’établit en tant qu’avocat à Bruges jusqu’à 1914.

Du déclenchement de la Première à la Seconde Guerre mondiale

Le 31 juillet 1914, pour se prémunir de la violation de la neutralité de la Belgique par l’Allemagne, la mobilisation générale est proclamée par le roi Albert 1er. Robert de Schrevel est ainsi affecté au 4ème régiment à l’âge de 25 ans. Probablement du fait de sa profession d’avocat, Il est désigné pour défendre les soldats accusés devant le conseil de guerre.  Il est ensuite engagé dans les très durs combats victorieux contre les bunkers allemands. Il bénéficie à cette occasion de sa première expérience d’espionnage en étant nommé officier de renseignement sur l’ennemi. Le 13 août 1918, il est blessé mais participe néanmoins avec une partie des troupes françaises aux combats dans la forêt de Nouthulst qui aboutirent à la victoire historique de la crête des Flandres. Il réussit à ramener derrière les lignes un officier français blessé. Il est décoré de la croix de guerre française.

La paix retrouvée, il devient officier de réserve jusqu’à être commandant de réserve en 1928. De Schrevel se marie le 15 mai 1920 à Bruges avec Marie-Paule Vander Meersch (1888-1970), fille de notaire à Tielt (région flamande). En 1929, il devient juge de tribunal de 1ère instance. Cependant en 1937, Il doit mettre fin à sa carrière de magistrat à la suite d’une condamnation pour irrégularités financières.

Etant donné ses brillants états de services de guerre, une mesure infamante lui est évitée. Le 15 janvier 1938, Il s’exile en France à Paris, pays avec lequel il avait combattu et manifesté très tôt ses sentiments anti germaniques. Il s’engage dans la légion étrangère en 1939. Le Ministère de la Défense Nationale lui confère le nom de « de Saule ».

Son entrée progressive dans les services d’espionnage français

A la déclaration de guerre, il redemande de pouvoir combattre dans l’armée belge et sans réponse, il répond à la demande française. Fin 1939 son dossier est remarqué par un officier du bureau des renseignements militaires français, Rodolphe Loescher. il est affecté à La Haye (Pays-Bas), comme attaché de la force aérienne au sein de la légation française au moment de la déclaration de guerre de la France et de l’Angleterre à l’Allemagne. Il a pour mission d’obtenir des renseignements auprès d’un réseau de belgo-hollandais sur les champs d’aviation allemands en Belgique et aux Pays-Bas.

Fin 1940, après la capitulation des Pays-Bas face à l’Allemagne, Il doit revenir en France, dans le Jura, à Poligny, 7 rue de l’hôpital, à 30 km au sud de la ligne de démarcation. Il est rapidement promu directeur de l’antenne du SR Air*. Il a établi de nombreux contacts auprès des officiers de police français. Il intervient aussi pour le passage des voyageurs belges ou hollandais pour l’Angleterre. Il descend même plusieurs fois à Perpignan pour permettre le passage d’évadés dont notamment le ministre belge Auguste Schrijver et l’aviateur belge Dominique Potier qui sera par la suite à la tête du réseau Possum, réseau d’évasion des aviateurs.

En 1941, le SR Air qui comprend plusieurs postes en zone libre (Vichy, Limoges, Lyon, Marseille, Toulouse), est en liaison radio avec le service de renseignement britannique M16. Un gouvernement de résistance belge s’est constitué à Londres. De Saule est ainsi un des rares belges à avoir obtenu des responsabilités au sein des services secrets français. En septembre 42, le commandement SR Air (Général Ronin) comme celui du SR guerre (Colonel Rivet) sont confrontés à une décision de Darlan et Laval d’accepter la proposition allemande d’une coopération des services de renseignement français et allemand. Ils n’y répondent pas. Cependant les alliés débarquent en AFN le 8 novembre 1942, et tout le service SR Air est obligé de gagner Alger par deux avions d’Air France. L’arrivée des troupes allemandes en zone libre compromet le travail de renseignement sur l’ennemi nazi et la conduite de personnes vers les territoires alliés. Dès lors, Roger de Saule se retrouve, à 53 ans, à Alger, dans les services d’espionnage dont il est devenu un spécialiste éprouvé.

Son recrutement pour la mission en Corse

Dans le cadre d’accord entre le général Giraud évadé et l’OSS américain, il se voit confier une mission sur la Corse par le général Ronin des SSDN*. Cette mission est considérée comme la 1ére mission commando en Europe occupée* : la mission secrète Pearl Harbour. La stratégie est de libérer l’Ile de l’occupant avec l’appui des forces de résistance insulaires, quels que soient les engagements politiques ou autre de chacun.  Pour prendre contact avec les premiers résistants sur l’Ile, les services spéciaux lui présentent cinq personnes qui vont participer à cette opération secrète :

* Trois jeunes résistants corses qui ont participé à la neutralisation des autorités de Vichy à Alger (Opération Torch) dans la nuit précédant le débarquement des Alliés le 8 novembre 42

  • Toussaint Griffi qui est le secrétaire particulier du colonel Jousse, l’artisan militaire de l’Opération Torch,
  • Pierre Griffi, son cousin germain, ex des brigades internationales, qui a effectué des contacts radios avec les alliés.
  • Laurent Preziosi du groupe D (Paul Ruff) de la résistance algéroise, militant socialiste, agissant sur le terrain dans la nuit du 8 novembre 42. En décembre certains membres de ce groupe seront un temps arrêtés par les autorités composées encore d’éléments vichyssois maintenus par les américains.

* Le Commandant L’Herminier est chargé de leur acheminement vers la Corse avec le sous-marin Casabianca. Il exige des hommes de la mission qu’ils en gardent le secret absolu, par mesure de sécurité en général et particulièrement à l’égard de Darlan dont il se méfie. Le lieu de leur débarquement sera décidé en cours de traversée.

* Le capitaine Frédéric Browm, agent de l’OSS, (l’organisation des services secrets américains). Il est très expérimenté en radio innovante et présente des qualités d’excellent nageur. Il doit accompagner les agents jusqu’à la côte corse pour vérifier leur débarquement sains et saufs, et le bon fonctionnement de la radio. Par contre, il ne doit pas prendre contact avec la population ; son accent américain et son physique risque d’éveiller les soupçons de l’occupant. Il doit donc repartir avec le sous-marin.

* Pour encadrer les trois jeunes corses. Roger de Saule, chef de mission, doit organiser sur place les contacts.

Son travail d’organisation de la clandestinité en Corse

Première mission en Corse occupée. Le 9 décembre 1942, le commando est transféré sur le sous-marin où les attend le Commandant L’Herminier et son équipage. Le départ est prévu pour le surlendemain mais la défection d’une personne nécessite un report au 13, pour limiter les risques.  A leur arrivée sur l’ile, entre Piana et Cargèse, De Saule devenu «Dudule» perd connaissance, selon le témoignage de ses compagnons, après une difficile remontée en haut de la baie de Topiti à Revinda. Etant donné son âge, il n’est plus habitué aux épreuves physiques. Il a plus de vingt ans de différence avec ses agents. Il décide de faire tenter au hasard le contact avec des villageois sur Piana. En premier lieu avec un abbé qui passe sur la route; c’est l’abbé Mattei, qui va les mettre en contact avec les personnes volontaires pour faire partie de leur réseau. Elles le renseignent sur l’organisation des troupes italiennes et de l’Ovra. Dudule en informe Alger par l’intermédiaire du radio Pierre Griffi.  Il fait preuve auprès de ses agents de ses fortes aptitudes à obtenir des renseignements. Un réseau de résistants se constitue rapidement. Il décide de rester dans la région de Piana et envoie toujours préalablement ses deux ou trois agents en éclaireurs sur les lieux les moins surveillés (maquis, chemins forestiers ou de bergers).

Le 19 décembre 42, Il se rend à Corte après les prises de contact préalables de Toussaint Griffi et Laurent Preziosi. Il doit s’assurer de la solidité du travail de recrutement et d’organisation du réseau cortenais. Le 23 décembre 42, il arrive par le train à Bastia où lui sont présentés par ses agents les principaux résistants auprès du maire de Bastia, Hyacinthe de Montera, démis de ses fonctions par les autorités de Vichy.  Pour les contacts ou l’organisation de réseaux de résistance sur les régions de St Florent (Pierre Casale), Calvi et Ile Rousse (les frères Dominique et Roch Spinosi), Sartène, le Commandant laisse toute latitude à ses agents qui ont bien suivi les consignes. Par mesure de sécurité, Il limite sa connaissance des résistants aux principaux responsables.

Son action de résistance en Corse

A Ajaccio en janvier 1943, de Saule, avec Pierre Griffi, rejoint Toussaint Griffi et Laurent Preziosi qui ont établi les contacts avec les premiers responsables ajacciens de résistance : Arthur Giovoni, Nonce Bienelli, Jean Nicoli, tous responsables du Front National. Ces derniers avaient eu confirmation qu’il ne s’agissait nullement de se mettre aux ordres d’Alger mais d’agir en commun pour préparer un débarquement. Une véritable activité ajaccienne se met en place ponctuée par des réunions quasi quotidiennes à 100 m de la gare ferroviaire chez la famille Stefanaggi, la veuve d’un officier de 14-18 avec son fils Toussaint, et ses filles Lucette et Henriette.

Ensemble, ils échangent les informations et définissent leurs actions en corrélation avec les services de Giraud à Alger. Un nombre important de personnes a été recruté. De là, pour faciliter l’organisation de l’action avec la résistance et la collecte d’informations, Roger de Saule se fait embaucher comme serveur dans un café, cours Napoléon, sous une fausse identité : René Sampiedro (soit les mêmes initiales), entrepreneur né le 14/05/1890 à Alger, domicilié 12 rue Rongo à Alger. Il se fait aussi appeler René Tournier.

De Saule dit Sampiedro, dit Tournier ou Dudule, intervient pour régler plusieurs problèmes. Il doit trouver une solution pour remplacer la valise radio inutilisable des agents Michel Bozzi et Chopitel pour leur mission dans le sud de l’Ile. Ils sont arrivés par le Casabianca le 6 février en même temps que la première importante livraison d’armes dans la baie d’Arone, au sud de Piana. Il négocie une valise de remplacement auprès de Fred Scamaroni par l’intermédiaire de Pierre Bianchi, contact socialiste de Laurent Preziosi, devenu membre du réseau Pearl Harbour et qui travaille aussi dans le réseau R2 (gaulliste) C’est de Saule qui doit assumer en tant que chef de mission le refus des autorités d’Alger d’un projet de Jean Nicoli, ceci à la déception de tous les participants aux réunions chez les Stefanaggi ; le projet était le kidnapping d’un général italien à Petreto pour le transférer en AFN par le Casabianca. L’impact de cette action induirait une répression trop forte, compromettant l’organisation d’un débarquement.

A la fin février, Il signale que les SSDN* savent que l’Ovra a fini par avoir eu connaissance de l’existence de ses deux agents, sans toutefois connaître ni leur identité ni leur visage. Après les avoir convaincu d’exécuter cet ordre, leur départ est préparé avec l’aide de l’équipe militaire de Jean Nicoli et s’effectue le 10 mars à Favone, au sud de Solenzara, par le sous-marin Casabianca. Le 24 mars 1943, De Saule quitte la Corse à son tour, le 6 avril 1943, dix jours après ses deux agents, à bord du sous-marin anglais, le HMS Trident. Il quitte Pierre Griffi qui reste en Corse pour maintenir les contacts radio avec Alger et pour accueillir son remplaçant. De retour à Alger, il constate que ses agents ont déjà fait un exposé très détaillé à son remplaçant, le capitaine de gendarmerie, Paulin Colonna d’Istria chargé de la mission de coordination militaire de la résistance. Ils l’ont averti aussi qu’il n’est pas envisageable de ne pas s’appuyer sur le Front National bien que d’obédience communiste mais qui est le mouvement devenu le plus actif et efficace sur le terrain. De Saule sait que la mission a été bien remplie et dans un délai plus court que celui imparti.

Après la libération de la Corse

Les SSDN lui confieront une dernière mission dans le Sud-Ouest de la France avant la fin de la guerre, mission « Asparagus ». Après la guerre, il serait devenu avocat en Belgique. En février 1949, Il reviendra en Corse à Piana pour retrouver quelques membres du réseau Pearl Harbour et décorer notamment l’abbé Toussaint Mattei.  Il décède à l’âge de 86 ans à la clinique de St Ode/Tenneville en Belgique le 15 avril 1975. Son épouse décède 5 ans auparavant.

Georges PREZIOSI

Sources principales :
« Première mission en terre occupée ». Tousaint  Griffi et Laurent Preziosi. Ed. L’Harmattan.1988
« Donovan’s Devil ». Albert Lulushi. Ed. Arcade Publishing New York. 2016. Pp. 75-77)
*Document universitaire rédigé en néerlandais par Etienne Verhoeyen, historien, revue du CEGES.
La abréviations :
*SSDN ; services spéciaux de la Défense Nationale française
* SR Air (Service du renseignement militaire de l’armée de l’Air française)
*O.S.S. :  Office of Strategic Services, qui deviendra en 1946 la C.I.A.