Ajaccio a célébré dans une atmosphère d’unité et d’enthousiasme patriotique la date glorieuse du 7 mai1Un premier armistice a été signé le 7 mai à Reims, suivi d’un autre à Berlin, le lendemain. Une manifestation monstre à laquelle la quasi-totalité de la population a pris part, s’est déroulée à travers la ville. M. le préfet, Mgr l’évêque, le général gouverneur, les députés A. Giovoni, et H. Maillot, M. le maire et les conseillers marchaient en tête du cortège. La musique municipale prêtait son concours. La cérémonie de l’envoi des couleurs a eu lieu au milieu de l’émotion générale. Deux compagnies rendaient les honneurs. Un hommage solennel a été rendu aux morts et la minute de silence traditionnelle observée avec un impressionnant recueillement. Un discours d’une haute tenue patriotique a été prononcé par M. le préfet […]. Pendant que se déroulaient toutes ces manifestations, l’air retentissait des salves et des avions argentés sillonnaient le ciel ajaccien. Les navires sur rade avaient hissé le grand pavois. Ajaccio, terre de liberté, a célébré dignement la libération du monde.
On l’avait compris, la présence des députés Arthur Giovoni et d’Henri Maillot à cette cérémonie lève toute confusion possible : c’est la cérémonie du 8 mai 1945 dont il s’agit ci-dessus et non celle du mai 2022. Le journal est celui du Front national (de la Résistance), Le Patriote, pas celui du quotidien régional.
Le temps a fait son œuvre et enfonce l’évènement dans le temps. Mais pas plus que le souvenir glorieux et douloureux c’est vrai de Ponte-Novu. Alors, comment expliquer que la commémoration de l’armistice – la fin d’un cataclysme mondial commémoré sur la planète, 2 000 morts en Corse – occupe moins que celle de la bataille de Ponte-Novu en 1769, il y a 253 ans ? Au fil du temps, pour Corse-Matin, le souvenir de la défaite contre les troupes françaises de Louis XV prend le pas sur l’armistice du 8 mai 1945, la victoire des Alliés contre les nazis. On l’avait déjà déploré.
Quant à la chaîne FR3 Corse, Via Stella, elle n’a pas fait mieux que Corse-Matin dans le traitement de cette concurrence mémorielle entre les deux évènements « 8 mai à Berlin <vs> 8 mai à Ponte-Novu ». Dans le JT de 19 heures, elle a accordé une minute pour le premier, deux minutes pour le second : un officiant de la cérémonie de Ponte-Nuvo de nous expliquer que la Corse n’est présente en Corse que depuis 253 ans. Il enjambe allègrement les siècles de 1769 à aujourd’hui en omettant l’adhésion de la Corse à la Révolution française 2Lettre de Pascal Paoli à l’abbé Giovanetti. 13 mars 1802. « Louons le ciel … libertés et bonnes lois, cela notre pays l’a obtenu avec la France grâce à l’un de nos compatriotes [Napoléon]. Dans le système présent de la politique européenne nous n’aurions pu jouir de ce bien en formant un État.» et la farouche volonté des Corses de rester Français (Le serment de Bastia). Pour lui, la greffe française n’aurait jamais pris : aux Français, les ancêtres Gaulois ; à nous Corses, l’ancêtre de Bonifacio, la dame enfouie dans le calcaire depuis 10 000 ans av. J-C. (6,5 à 7 000 en réalité), une Corse pur jus. Une vision fossilisée de l’histoire qui prêterait à sourire.
Plus sérieux a été l’incident survenu lors de la cérémonie du 8 mai à Porto-Vecchio, un détournement de la cérémonie par un élu de la municipalité nationaliste : il a tout simplement substitué son discours – on imagine lequel – à celui officiel du gouvernement. Au grand dam des anciens combattants et de tous ceux qui étaient présents et dont Georges Mela s’est fait le porte-parole. Un émoi dont Corse-Matin a rendu compte dans sa chronique locale.
A.P.