L’armée américaine et la libération de la Corse. Une contribution oubliée ?
En septembre et octobre 2023 on commémorera le 80ème anniversaire des combats pour la libération de la Corse. On apprend par le journal Corse-Matin du 30 novembre que la réalisatrice Catherine Sorba saisira l’occasion de cette anniversaire décennal pour apporter « un indispensable éclairage » sur la contribution des Américains (U.S.A.) à la libération de l’île. On avait déjà beaucoup appris sur la présence des troupes américaines en Corse durant la Seconde Guerre mondiale lors de la parution de deux ouvrages écrits et abondamment illustrés par Dominique Taddei1USS Corsica et We Corsicans. Dominique Taddei. Editions Albiana. Parus respectivement en 2003 et 2016. Il était donc tout indiqué que Catherine Sorba sollicite son concours mais pour autant, on est perplexe face à la révélation qu’il fait au quotidien régional : « A l’évocation de l’année 1943, on parle surtout du Bataillon de Choc et des tabors marocains. On oublie trop souvent que les Américains sont arrivés à Ajaccio dans la nuit du 13 septembre [1943] en même temps que le Bataillon de Choc. 700 commandos américains se sont ensuite installés à Ile-Rousse […]. »
Selon Dominique Taddei, ces commandos auraient donc débarqué à Ajaccio le même jour que les premiers soldats venus d’Alger : 109 hommes du bataillon de choc convoyés par le sous-marin Casabianca commandé par Jean L’Herminier. Ce 13 septembre, en effet, à une heure du matin, il est avéré que les « chocs » français ont débarqué à Ajaccio devant une foule en liesse. Mais pas d’Américains ce même jour. Le général Gambiez2La Libération de la Corse. Général Gambiez. Hachette littérature. 1973. P. 189signale leur arrivée en septembre, sans préciser le jour : « en même temps que le major-général Peake arrive aussi sous les ordres du major Coone avec comme adjoint le capitaine James Pitteri, un petit commando de l’armée des Etats-Unis, formé d’Américains d’origine italienne spécialement entrainés pour l’attaque des avions au sol, des chars et des convois ». Selon le commandant Lepotier3Cap sur la Corse. Commandant Lepotier. Ed. France Empire. P. 315 (Annexe III), ce commando est arrivé six jours plus tard, le 19 septembre à 1 heure du matin, acheminé en Corse par deux contre-torpilleurs saisis aux Italiens et passés sous commandement américains : le Legionare et l’Oriani qui ont débarqué 400 hommes et 20 tonnes de matériel.
Les Alliés : tout pour le front italien.
Apprenant l’insurrection corse, le général Giraud sollicite l’aide des Américains pour soutenir les insurgés. Les Anglo-Américains très préoccupés par un débarquement difficile dans le sud de la botte italienne ont refusé catégoriquement. Il lui opposent que tous les efforts des Alliés doivent être concentrés pour le débarquement en Italie : « Tous les plans de transports, rapporte Giraud, ont été établis dans ce but. On ne peut modifier ces plans et distraire des bateaux pour une affaire non préparée qui risque de tourner au désastre » [….] « Les appréciations de certaines hautes autorités militaires anglaises et américaines sur le commandant en chef français sont dénuées d’aménité (sic). »4Cap sur la Corse. Commandant Lepotier. Ed. France Empire. P. 86. Certes, les raisons d’abord invoquées par le commandement allié n’étaient pas dénuées de fondement ; la navigation maritime, au large des côtes sardes et corses était risquée à cause d’une présence allemande forte de son aviation et de ses sous-marins. L’armée allemande avait donné la mesure de sa pugnacité en coulant le cuirassé italien Roma, le 9 septembre, au large de l’île d’Asinara, sur la côte ouest de la Sardaigne, entraînant la mort de 750 hommes – c’était pour se venger de la capitulation de son ex-allié rendue publique la veille. Il fallait donc craindre la menace allemande ; elle faisait courir le risque d’être coulé à tout navire de surface qui se hasarderait aux larges des côtes sardes et corses. Et au surplus, la tête de pont, Ajaccio, libérée le 9 septembre n’était pas sûre de l’être encore à l’arrivée des secours ; les Allemands sont toujours présents en Corse et en Sardaigne, et lourdement armés ; et on s’interroge sur le comportement de l’armée italienne, hier encore alliée aux Allemands.
Puis, les Alliés se ravisent.
La prudence commandait d’envoyer d’abord un sous-marin. Ce fut le sous-marin Casabianca, arrivé le 13 septembre à une heure du matin. Opération réussie. Ce premier contact assuré, l’état-major français ose alors un transport par des navires de surface mais à l’allure rapide. Il dépêche alors deux contre-torpilleurs, le Fantasque et le Terrible, qui naviguant à 38 nœuds, environ 60 km/h, avec 500 hommes à bord, accomplissent un vrai raid, aller-retour, des côtes algériennes vers la Corse. Opération réussie. Et avant même les Américains, le 19 septembre, arrivent trois autres navires de surface français. Dans ce laps de temps, les Français acheminent, depuis l’Algérie, 1.200 hommes, 125 tonnes de munitions et 7 tonnes de farine. Bravant le danger, et sans l’ aide des Alliés, les Français avaient réussi à établir la liaison entre la Résistance intérieure et la France Libre. Ces premiers jours d’incertitude passés, la situation a bien changé : la Résistance, avec parfois le concours mesuré d’unités italiennes, a accompli des prouesses, notamment dans l’Alta Rocca d’où elle a chassé les Allemands au prix de durs combats. A Ajaccio, la tête de pont est plutôt consolidée. Alors, l’état-major allié, jusque là réticent, se ravise et envoie à son tour deux contre-torpilleurs saisis aux Italiens vaincus : Legionare et Oriani, avec à son bord le commando James Pitteri. Au total 400 hommes selon Lepotier5Cap sur la Corse. Commandant Lepotier. Ed. France Empire. p. 315 auxquels s’ajouteront quelques hommes de l’OSS – combien ? – parachutés à Sagone.
Que sont devenus les Américains arrivés en Corse ?
Pourquoi ne trouve-t-on pas ou si peu de traces du commando américain pendant les combats de la libération ? Rien ou si peu dans les ouvrages, articles et documents parmi les plus connus6Principales sources bibliographiques : Outre deux ouvrages déjà cités : « La Corse à l’épreuve de la guerre ». Hélène Chaubin. Ed. Vendémiaire. « Corse des années de guerre ». Hélène Chaubin. Ed. Vendémiaire. « D’Alger en Corse, comme correspondant de guerre ». Léo Palacio. La Corse dans la Seconde Guerre mondiale. Ouvrage collectif. Ed. Albiana. P. 172. « Mémoires du général Von Senger und Etterlin ». Ibid, ci-avant. P. 187. « Flottilles secrètes en Méditerranée ». Sir Brooks Richards. Ed. MDV. Pas de traces non plus dans les rapports écrits ou téléphonés reçus au standard téléphonique d’Ajaccio7A la réception il y a Maurice Choury, un des responsables du Front national, et Paul Conte-Devolx, un attaché militaire qui avait constitué un petit réseau de Résistance. Les rapports émanent des dirigeants locaux du F.N. et les gendarmeries, parfois aussi par la receveuse ou le receveur des postes, ou encore l’instituteur et l’institutrice du village. C’est vrai que l’intégration des hommes du commando dans les unités combattantes françaises, a rendu leur présence moins visible. Seul est mentionné par les historiens le commando James Pitteri (31 hommes). Et il y a bien eu trois morts américains lors des combats à Barchetta8Le lieutenant Gordon a été décoré de la Légion d’honneur avec palmes, Grosso et Maselli la Bronze Star Medal (médaille de l’Étoile de bronze) qui est une décoration des armées des États-Unis. Elle est la quatrième plus haute distinction pour bravoure, héroïsme et mérite. Leurs noms ne figurent pas sur le monument aux morts.— un oubli à réparer. A titre de comparaison : les troupes françaises de l’opération Vésuve (6.000 hommes engagés) ont eu 75 morts et 12 disparus, les Résistants 110 homme tués et les Italiens ont déploré 242 morts selon le Gl Gambiez9La participation, même mesurée, de l’armée italienne (estimée à 20 % des 80 000 hommes présents) est souvent mésestimée. Selon le général Magli, 637 d’entre eux seraient morts durant les combats de la libération.
Quelle était la mission des Américains ? Une mission militaire, avec principalement l’opportunité d’installer une base arrière pour les combats en Italie. Mais plus encore une mission politique puisqu’ils envoient un commando de l’OSS (devenu la CIA après guerre), le Bureau de renseignements du gouvernement américain. Préoccupations politiques des Américains : 1/ Prévenir toute velléité hégémonique des communistes pour l’après-guerre, 2/ Instituer l’AMGOT, un gouvernement militaire d’occupation par les Anglo-Américains, le même qui a été réservé aux vaincus de la guerre (comme l’Italie par exemple). Les dollars avaient déjà commencé de circuler en Corse. Et 3/ Saisir cette opportunité de la libération de la Corse pour tenter de rétablir la légitimité du général Giraud, mise à mal depuis la création du Conseil National de la Résistance qui ne reconnaissait que celle du général de Gaulle. On espère en savoir plus après ces recherches que nous promettent la réalisatrice et Dominique Taddei à qui vont peut-être s’ouvrir des archives ignorées, ou insuffisamment exploitées jusque-là. Wait en see.
A.Poletti