Né le 04/12/1903 à Campo (Corse du Sud) et décédé le 14/07/2002 à Ajaccio (Corse du Sud)
Pierre Bianchi est le résistant qui, par ses affinités politiques et son souci de rassemblement des mouvements de résistance, a permis le contact entre les deux missions venues de l’extérieur, l’une constituée à Alger après le débarquement des alliés anglo-saxons le 8 novembre 1942, la mission « Pearl Harbour », et l’autre, la mission Action Corse R2, sous, l’égide de Londres à laquelle il a adhéré officiellement dès octobre 1942.
Pierre Bianchi est né dans un petit village de 400 habitants recensés en 1903, à 42 km du centre d’Ajaccio. Après ses études, il est propriétaire exploitant agricole et commerçant en vente de charbon avec son associé, Simon Casanova, qui en a la concession. Il exerce à Coti-Chiavari. Par ailleurs, il a, très jeune, des convictions socialistes, et prend sa carte d’adhésion à la section SFIO d’Ajaccio en octobre 1926, soit dix ans avant l’avènement au pouvoir du Front Populaire, le 4 juin 1936.
La France occupée, la Corse est en zone dite libre. Un ami de Bianchi, Archange Raimondi, entrepreneur de travaux publics et propriétaire de cinémas (dont le cinéma Laetitia sur le cours Napoléon) lui fait part, vers fin 1941-début 1942, de son intention de constituer un réseau de résistance dans la région d’Ajaccio. Il prévoit une répartition des membres sur différents secteurs de cette zone. Bianchi lui propose spontanément ses services.
L’adhésion au réseau R2 de Fred Scamaroni
Un émissaire, Georges Colin, de son vrai nom Gaston Tabian, futur « Compagnon de la Libération », vient leur proposer un schéma d’organisation d’un réseau et la venue prochaine d’un envoyé de Londres, un certain François-Edmond Severi, en fait Fred Scamaroni. Le message d’arrivée diffusé sera « Gaston a mangé le saucisson à Ajaccio », et la réponse sera « son ami ira manger la coppa ». Bianchi fait partie officiellement des FFL, le 10 octobre 1942, au réseau Action R2 Corse, en tant qu’agent P1. Il devient responsable du secteur sud, d’Ajaccio à Propriano, où il est chargé de relever tous les renseignements sur toutes les implantations des troupes italiennes et de leur armement. Il prend le nom de code de « Pierre », voire « Stone » par la suite, en référence à son prénom en anglais. Ses relevés sont très précis et bien cachés en lieu sûr.
Lors de l’occupation des troupes italiennes, le 11 novembre 1942, Il a quarante ans. Il est déjà opérationnel, rompu à ces missions clandestines ; très rigoureux et prudent dans ses contacts et déplacements. Sous les ordres de Raimondi, lui-même devenu, de fait, second de l’envoyé de Londres, Bianchi, chef de secteur, a dans son groupe notamment Paul Pardi, et Nicolas Antona. Paul Pardi est chargé de cacher le maximum d’armes au domicile familial, 42 cours Napoléon. Nicolas Antona, très connu des Ajacciens, est chargé de l’obtention de renseignements qu’il recueille d’autant plus facilement que son métier de convoyeur sur cars Casanova lui permet de circuler assez librement. Raimondi, pour sa part, recrute dans son très proche entourage professionnel et amical ajaccien.
L’arrivée de l’envoyé de Londres, Fred Scamaroni, chef de la mission Sea Urchin, est prévue pour le 2er janvier, mais le sous-marin anglais HMS Tribune ne peut accoster près de la côte de Lava (Appietto, nord d’Ajaccio), à cause du mauvais temps, et continue sur la côte sud de la France. Bianchi et Raimondi ne savent plus comment récupérer les agents. Une seconde tentative est opérée le 5 janvier mais la nuit est claire. 30 à 50 Allemands sont postés à la Parata (Iles Sanguinaires) avec une automitrailleuse et balayent le rivage avec un projecteur. Les Allemands sont postés à La Parata (Iles Sanguinaires) et balayent, le rivage, avec leurs projecteurs ; toute la nuit, ils sont 30 à 50 avec une automitrailleuse.
Bianchi et Raymondi ne savent plus, où et quand, l’arrivée se fera. Ce n’est que par la nuit sans lune du 6 au 7 janvier que le chef de mission Sea Urchin , Scamaroni, est débarqué avec deux agents du SOE, Jean Hellier, dit Henri ou Rossini, et Jykell, dit Meynard, un Anglais spécialiste du sabotage, dans la baie de Cupabia (Serra di Ferro) ; plus précisément, entre Capo Nero et Cala di Giglio sur une petite plage de sable fin dite du Scogliu Biancu. Il est à 30 km d’Ajaccio. Il a un vélo pliant, de faux papiers sous le nom de Joseph Grimaldi, représentant de commerce, de l’argent, des armes, et du matériel dont notamment trois valises radio. Il cache toutes ses affaires et notamment une valise de fonds secrets dans un massif épais de buissons. Alors que les 2 agents du SOE partent de leur côté à pied, Il se rend à vélo chez Raimondi, six impasse Davin, prononce le mot de passe : « je viens de la part de Monsieur Tainturier, et Raimondi de répondre, « Ah oui Mr Tainturier de Toulouse ! ». Il y séjourne plusieurs jours sans sortir.
L’activité au sein du réseau R2
Entre-temps, un chauffeur de Raimondi vient chercher Bianchi qui fait la connaissance de Fred Scamaroni. Comme Bianchi bénéficie d’un permis de circuler préfectoral grâce à son statut professionnel, il est convenu d’utiliser sa camionnette pour récupérer le matériel à la cache. Bianchi s’y rend avec Hellier, Nicolas Antona et Paul Pardi ; tous les 4, en tenue de simple pécheur. Ils doivent marcher à pied avant d’atteindre le matériel enfoui dans les épais buissons. Ils s’aperçoivent que tout a été remué. Hellier déclare qu’il manque une valise, celle contenant les fonds de guerre dans une cassette scellée, soit environ 600.000 €.
Nicolas Antona, convoyeur du service de cars Casanova Coti-Ajaccio, se renseigne et apprend rapidement qu’un jeune berger de 17 ans a changé subitement de niveau de vie, qu’il se pavane, très bien habillé, et paie avec des billets de banque tout neufs. Il entre en contact à Coti-Chiavari avec le père de ce dernier qui lui avoue que son fils l’a découverte en posant des lacets pour capturer des merles. Ils parviendront plus tard à récupérer une partie des fonds.
Bianchi, dans la mesure du possible, essaie de bien cloisonner son groupe. Raimondi, de son côté, cache des armes dans son cinéma, et en janvier-février, a constitué un réseau ajaccien, avec pour la logistique, son projectionniste Vignocchi (hébergement et transport), l’aide-opérateur de ce dernier, Joseph Chiappe, et pour la partie, rédaction et organisation politique, le journaliste Fernand Poli et quatre autres personnes pour des contacts divers.
Hellier a pour son action, Auguste Viau, son éventuel remplaçant en cas d’arrestation pour l’aider à transmettre les messages radio, Mario Bost pour le fournir en accumulateurs de son poste radio, Bernard Ceccaldi, croupier, recruté par Hellier dans un bar contre rémunération, parfois aidé par André Berti, menuisier, pour transporter les valises radio d’une maison à un autre et 6 autres personnes pour prêter leur demeure pour l’envoi des messages.
De son côté, Fred Scamaroni se charge d’établir des contacts avec les responsables de réseaux de résistance déjà constitués. Sa mission est délicate car il a très peu de contacts fiables à Ajaccio et ne connaît personne à Bastia. Il parvient à entrer en contact avec les responsables du Front National à Ajaccio pour leur annoncer qu’il a pour mission du Général de Gaulle de coordonner tous les réseaux de résistance, lesquels doivent se mettre sous ses ordres. Le Front National refuse de perdre son indépendance d’action.
La participation étroite au réseau « Pearl Harbour »
Par ailleurs, Pierre Bianchi rencontre, en janvier 1943, 2 des 4 premiers agents de la mission « Pearl Harbour » venue d’Alger par le sous-marin Casabianca : Laurent Preziosi, socialiste comme lui, et Toussaint Griffi, militaire gaulliste. Il est en mesure de leur fournir parfaitement tous ces renseignements et différentes implantations de l’ennemi dans la région sud. Il avait été recommandé auprès d’eux par un membre de sa section socialiste ; Noël Pinelli*, délégué pour la Corse aux différents congrès annuels de ce parti avant la guerre et résidant près de la Préfecture. Quelques jours auparavant, ce dernier les avait déjà mis en contact avec les responsables communistes du réseau ajaccien du Front National (notamment Jacques Tavera, Nonce Benielli, Arthur Giovoni et Jean Nicoli) et leur fournira, d’ailleurs, ensuite, d’autres contacts à Sartène.
Cette rencontre s’effectue à l’entrée du village de Coti-Chiavari. Les deux agents à vélo ayant été abordés sur leur trajet par un soldat italien, puis son officier, au lieu-dit « Mare e Sole », à l’embranchement de la route de Coti-Chiavari. Bianchi leur recommande, par prudence, de retourner par un autre itinéraire, celui passant par Pila-Canale. Quelques jours après, ils apprennent que le commandant du détachement italien avait dépêché, après leur contrôle, un groupe de soldats pour les arrêter. Très satisfait de leur rencontre, Ils mettent, dès lors, Bianchi, en contact avec leur chef de mission, de Saule, pour le faire connaître comme agent et lui faire préciser tous les renseignements.
Bianchi, lors de sa première rencontre avec Fred Scamaroni, lui fait part de tous les renseignements qu’il leur avait fournis sur son secteur à surveiller. Par la suite, malgré l’étanchéité des deux réseaux, le chef de mission, le Commandant de Saule rencontre Scamaroni toujours par l’intermédiaire de Bianchi pour faire sa connaissance. Le contact entre les deux hommes se fait sur la plage de la ville d’Ajaccio. Laurent Préziosi et Toussaint Griffi en sont témoins lorsque leur chef de mission leur a demandé de rester à l’écart de leurs discussions et s’est éloigné pour le rencontrer. Ces réseaux émanent de commandements différents, sans être adversaires, et le cloisonnement strict est sollicité (Laurent Préziosi et Toussaint Griffi n’ont pas été informés des termes exacts de cet échange.
Le relais ajaccien entre les deux réseaux de résistance.
D’ailleurs, c’est cette double appartenance qui permet ensuite à « Pierre » de négocier auprès de Fred Scamaroni le don d’une valise radio au chef de la mission « Pearl Harbour », le commandant de Saule dont un de ses agents radios (Chopitel) avait eu son poste radio détérioré lors d’un débarquement par le sous-marin Casabianca. En effet, lors du premier important débarquement d’armes, le 6 février 1943 (450 mitraillettes et 60.000 cartouches), deux nouveaux agents avaient débarqué du sous-marin Casabianca, Michel Bozzi et son radio Chopitel, dit Tintin, pour renforcer le renseignement dans la zone au sud d’Ajaccio. Bianchi, en contact avec eux dans la région de Coti-Chiavari, avait appris que leur valise radio était inutilisable, parce qu’en définitive gravement endommagée lors du débarquement. Cependant à cette période, les troupes d’occupation sont très importantes (80.000 italiens et déjà 10.000 allemands pour une population insulaire de 220.000 habitants).
Ainsi, vers la fin février 1943, tout s’enchaîne très vite du fait de la surveillance très étroite exercée par l’OVRA. Début mars, Toussaint Griffi et Laurent Preziosi apprennent qu’ils sont repérés par les autorités italiennes (qui ne connaissent, toutefois, ni leurs identités ni leurs visages). Sur ordre des services spéciaux de la Défense Nationale française de revenir à Alger, ils embarquent sur le sous-marin Casabianca le 10 mars 1943 avec l’appui militaire de Jean Nicoli du Front National et de son groupe de résistants. Leur chef de mission, De Saule, sera remplacé par Paulin Colonna d’Istria arrivé par le sous-marin Trident le 4 avril 1943 mais Pierre Griffi sera arrêté et fusillé le 18 août).
De son côté, le réseau R2 est victime de négligence, dénonciations et indiscrétions qui aboutissent à son démantèlement. Hellier est arrêté le 17 mars, vers 11h dans un bar de la place du marché (le doute historique subsiste sur sa responsabilité exacte*dans les arrestations). Après son interrogatoire, Fred Scamaroni est arrêté dans la nuit du 18 au 19 mars, chez Joseph Vignocchi, 1 boulevard Sylvestre Marcaggi. Il se suicide dans sa cellule vers 17h, le 19 mars, pour ne rien divulguer. Une dizaine de membres est, néanmoins, arrêtée cette nuit-là.
Par contre, l’Ovra n’a pas réussi, à savoir qui était, ce « Pierre », alias « Stone ». D’ailleurs, les archives italiennes du Tribunal militaire de guerre du VIIème corps d’armée (italienne) du 12 juillet 1943, attestent de la déclaration du juge à ce sujet. Bianchi a évité le contact hors de son secteur de réseau.
Dès que fut connue l’arrestation des membres précités, Raimondi réussit à fuir et se cacher dans le village de Tavera grâce à Jacques Tavera du Front National et sera condamné à mort par contumace par ce même Tribunal militaire italien du 12 juillet 1943. Il sera obligé de résider clandestinement dans ce village jusqu’à la Libération. Viau, Berti et Meynard ont pris aussi la fuite. Paul Pardi, condamné aussi à mort par contumace, réussit à embarquer sur le HMS Tribune à l’embouchure du Travo pour rejoindre Londres et retourner par avion en France où la Gestapo finit par l’arrêter et le faire transférer en camp de concentration en Silésie. Il y fut déclaré disparu puis déclaré mort en date du 19 mai 1944. Hellier, condamné à mort, sera fusillé le 14 juillet à 5h 30 du matin.
Après la libération totale de la Corse, le 4 octobre 1943, Bianchi part le 6 décembre jusqu’au 11 décembre de cette même année, par avion pour Alger où siège le Comité français de Libération Nationale (CFLN), mis en place depuis le 3 juin 1943, pour informer les Alliés des actions des missions, notamment au Directeur de sécurité militaire, Paul Paillole.
Après la guerre
En 1945, Pierre Bianchi est élu maire du village où il a vu le jour, Campo (commune actuellement intégré dans la communauté de commune de la Pieve de l’Ornano), ceci durant plusieurs mandats sur une liste socialiste. En 1993, Il apporte son témoignage lors du 50ème anniversaire de la libération de la Corse. Il décède à Ajaccio à l’âge de 99 ans pendant les vacances d’été, le jour de la fête nationale, le 14/07/2002. Ajaccio son lieu de résidence, à Barbicaja précisément, route des Sanguinaires, à côté des lieux où il est souvent intervenu pendant la Résistance.
Décorations connues : Croix de guerre 1939-1945, Combattant volontaire de la résistance, Carte FFL , Chevalier de la légion d’honneur
Georges Preziosi
(à partir du témoignage vidéo France 2 de Pierre Bianchi lors du 50ème anniversaire de la libération de la Corse en 1993, des