La première fois qu’il aborde les côtes corses en décembre 1942, c’est clandestinement, et sans personne pour les attendre. Après, avec les communications par radio, la réception par les Résistants sera moins hasardeuse mais toujours risquée. Quelques exemples.
A Topiti et Revinda, premiers contacts.
Le 13 décembre, en début de nuit, le sous-marin Casabianca est au large des côtes corses, prêt à déposer les quatre hommes de la mission : De Saule, le chef, Laurent Preziosi, Toussaint Griffi et Pierre Griffi. Un agent de l’OSS, Brown, sera lui aussi déposé sur le rivage mais pas pour y rester. Le 14 décembre, à 0 h. 30, avec de frêles embarcations (youyou), commencent la navette entre le sous-marin et la côte distante de trois cents mètre environ. Les agents de Pearl Harbour sont convoyés avec l’aide d’hommes de l’équipage. Le Casabianca replonge pour revenir le 15 décembre à 23 h. Les trois sous-mariniers désignés vont déposer le matériel sur le rivage mais ne peuvent pas revenir à bord ; à cause d’une mer formée, leur youyou s’est ensablé. Un agents secret américain, Brown, parvient à nager jusqu’au sous-marin et informe l’équipage de l’incident. Les sous-mariniers restés à terre Lassere, Lionnais et Vigot sont pris en charge par les résistants du Front National de la Résistance. Ils pourront aider ainsi aux prochains débarquements du sous-marin. Ils ne pourront re-embarquer que le 10 mars à Canelle (Au sud de Solenzara, surCôte orientale).
Georges Preziosi
Premier objectif des hommes de la mission Pearl Harbour débarqués : atteindre le hameau de Revinda et trouver un refuge pour installer le poste. Pierre Griffi (dit Denis) reste à la plage. Les autres s’enfoncent dans le maquis, s’orientant à l’estime, et franchissant avant le petit jour la route nationale près du pont de Fornello, où une vieille bergère leur indique le chemin de Revinda. De Saule boite bas. Laurent Preziosi et Toussaint Griffi prennent les devants. On grimpe à flanc de colline, dans une contrée dont l’aurore dévoile la sauvage beauté. Maquis chétif, herbe rare, horizon barré par de gigantesques chaos rocheux. Il semble que toute vie soit retirée de ce coin de terre. Non, voici les empreintes fraîches d’une harde de sangliers, et voici même un « cristianu » (un chrétien, un humain). Sur le sentier qui mène à Revinda, un curé chemine à dos de mulet. Preziosi et Griffi se tapissent, l’observent au passage et chuchotent :
– Si on l’abordait ?
– Hum ! c’est peut-être un vichyste…tu sais, les curés et Pétain, ça marche ensemble.
– Pas celui-là. Regarde-le. C’est un paysan en soutane. Il l’a même retroussée, le gaillard ! Je le verrais mieux en braconnier qu’en curé. C’est la providence qui nous l’envoie !
– Bah, on ne connaît personne dans le secteur. Alors, celui-là ou un autre… Le curé de Cargèse sursaute en voyant surgir du maquis deux têtes totalement inconnues.
Abordé sans trop de précautions, il est quelque peu sceptique :
– Qui me prouve que vous dites vrai ? Votre histoire de sous-marin me paraît fantastique. La région est infestée d’Italiens…
– Et ça, vous en connaissez beaucoup par ici ? réplique Preziosi en exhibant sa mitraillette ?
L’abbé Mattei est convaincu. Il prend les deux hommes sous sa protection. Pour un peu, il leur donnerait sur-le-champ sa bénédiction. Le commandant De Saule rejoint le groupe. On monte à Revinda où l’on fête Saint Lucie. Le curé fournit un guide, Dominique Antonini, et des mulets. On récupère le radio Pierre Griffi (Denis) demeuré avec sa lourde valise près du point de débarquement et on progresse à travers monts, vers Marignane, où les frères Nesa et leur oncle Antoine alertent le curé du village. L’abbé Ceccaldi part aussitôt à la recherche d’une «planque» pour le poste émetteur radio. Par Cristinacce et Calacuccia, on gagne Corte où les émissions commencent dès le 19 décembre au domicile d’un Alsacien nommé Lhoersch.
Maurice Choury. « Tous bandits d’honneur ». Ed. Piazzola. p. 41
Sur la plage d’Arona : 5 et 6 février 1943
Le 1er jour de février 1943, à 20 h., le commandant L’Herminier le sous-marin appareille, d’abord en direction des Côtes de Provence pour y déposer, le 4 février, sur la plage de Cavalaire, trois agents avec valise et matériel radio. De là, le sous-marin repart en direction de la Corse et arrive devant la plage d’Arone. Le commandant sollicite deux sous-mariniers pour accompagner jusqu’au rivage, deux autres nouveaux agents : l’adjudant-chef Michel Bozzi, et le radio Jean Chopitel dit Tintin). Robert Cardot, et un autre mécanicien, le quartier-maître Paul Asso, sont choisis parmi les volontaires par l’officier ingénieur, Lucien Kermeur, et prennent place le 5 février sur un youyou pour y déposer les deux agents. Hélas, une fois encore, le youyou s’ensable. Du sous-marin, l’équipage ne voyant pas de signal de retour par lampe torche au bout de 2 h., conclut que leurs deux matelots sont restés avec les agents.
Le 6 février, Robert Cardot et Paul Asso qui n’ont pu regagner le bord retrouvent, avec les résistants venus réceptionner les armes, les trois autres sous-mariniers restés à terre le 14 décembre. Tous regagnent, la maisonnette-refuge « A Martinella » où les armes ont été stockées. L’un d’entre eux malencontreusement cogne la crosse de sa mitraillette contre une caisse d’armes. Une rafale passe au-dessus de sa tête et de celle d’Asso. Robert Cardot va suivre, comme ses quatre autres comparses, une vie clandestine, d’un mois, caché avec les autres à Marignana dans la bergerie U Solognu de la famille Nesa, ce qui l’éloigne, malgré lui, de cette vie sous la mer. Ils n’ont ni faux papiers, ni cartes d’alimentation pour accompagner les agents.
Le témoignage de Charles Nesa et de Nicolas Alfonsi sur le site lesresistances.france3.fr
A Canella, le 10 mars 1943.
Après avoir touché la côte corse par l’ouest, à Topiti et Arone, le sous-marin Casabianca a pour mission, en ce mois de mars 1943, de se rendre dans l’anse de Canella à 7 km au sud de Solenzara, pour embarquer deux hommes de la mission Pearl Harbour, Laurent Preziosi et Toussaint Griffi, et pour débarquer deux autres – le radio Joseph Jean Luigi et Jean-Etienne Lefèvre de « Organisation Combat ». Le « Casa » doit récupérer aussi cinq sous-mariniers : Asso, Cardot, Lionnais, Vigot et Lasserre restés involontairement à terre lors des précédents « touchers », à Topiti et Arone.
L’arrivée du Casabianca était prévue pour le 7 mars mais il n’est pas au rendez-vous. L’attente est longue, raconte Laurent Preziosi et Toussaint Griffi1Première mission en Corse occupée. T. Griffi et L. Preziosi. Ed. L’Harmattan. 1988. Page 178, pour tous ces hommes : les cinq sous-mariniers, les trois hommes de la mission Pearl Harbour -Laurent Preziosi, Toussaint Griffi et le commandant De Saule – et les Résistants chargés de l’accueil : François Carli, Jean Nicoli, André Giusti et Pierre Griffi. Ils sont pris en charge par Dominique Poli et logent dans un hôtel peu fréquenté. Il faut dire qu’à l’époque la malaria sévit dans ces plaines insalubres et dissuade même les troupes italiennes d’y séjourner.
Tous les soirs et jusque tard dans la nuit, depuis le 8, ils scrutent en vain le large pour apercevoir le sous-marin. « Et chaque fois nous rentrons bredouille, écrivent Laurent Preziosi et Toussaint Griffi, Mais ces deux journées nous permettent de nous reposer et d’échanger nos vues sur l’avenir de la résistance. Dominique Poli nous communique les dernières nouvelles de Radio-Londres et Radio-Alger. […] André Giusti se montre prestidigitateur de grand talent par quelques tours de passe-passe qu’il exécute sous l’œil amusé de tous les spectateurs. Il suscite même l’émerveillement d’une vieille dame qui, attirée par les rires bruyants de toute l’assistance, est venue participer au spectacle. »
Le 10 mars, l’équipe sort à nouveau, la nuit venue, pour longer la côte, attentifs au moindre signe, au moindre bruit qui révèlerait la présence du Casabianca. C’est en fait par le bruit des moteurs diesels, reconnus par un sous-marinier, que les hommes à terre sont assurés que ce soir le Casabianca est bien là. Il apparaît dans une demi-obscurité, à deux milles de la côte. Il est bien au rendez-vous fixé, dans l’anse de Canelle mais la mer est trop agitée en ce lieu et mieux vaut aller un kilomètre plus au sud, dans l’anse de Favone, plus calme pour faire les transferts. Et encore heureux que les patriotes aient pu trouver le résistant Paul Cinquini, qui accepte de mettre à disposition une barque –une embarcation plus sûre- pour transborder tout le monde. « Nous aurions pu y débarquer aisément une grande quantité de munitions si la persistance inaccoutumée du vent d’Est ne nous avait pas considérablement gêné et si nous n’avions pas perdu notre youyou dans la tempête en baie de Bon Porté. Quant à nos lascars (les sous-mariniers revenus à bord), leur joie d’avoir rallié leur Casabianca est touchante »2Casabianca. Commandant l’Herminier. Ed. France-Empire. Page 194. Pour Luigi et Lefèvre, l’aventure en terre corse commence. Pour le Casabianca, ce sera le seul et unique « toucher » sur la côte est de l’île. C’est sur la côte ouest qu’il continuera d’opérer.
A.P.
A Saleccia, avec Dominique Vincetti, en août 1943. (Le récit de Maurice Choury)
« Colonna [Paulin Colonna d’Istria, dit Cesari] a fixé rendez-vous à L’Herminier pour le 31 juillet à 23 h. 30 au fond de l’anse de Gradella, une des nombreuses échancrures du golfe de Porto mais le feu des gardes-côtes interdit le débarquement. Le Casabianca se retire avec le kiosque perforé par une balle de mitrailleuse.
L’Herminier retourne à la plage de Saleccia où il a opéré au début du mois. Le 31 juillet à minuit, un commando de vingt-cinq hommes [du sous-marin] dissimule à terre 12 tonnes d’armes et de matériel. La nuit suivante, les 8 autres tonnes sont débarquées. Par radio, Colonna est mis au courant des emplacements des dépôts. En rentrant à Alger quelques jours plus tard, L’Herminier apprendra que tout le matériel est en bonnes mains
« Six des nôtres sont là, de ceux qui savent tout risquer écrit Maurice Choury3Tous bandits d’honneur. Maurice Choury. Ed Piazzola. 2011. p. 86 : Vincetti, Galletti, Colonna, Benedetti4Un des responsables militaires de la Balagne dit « Le tigre » Simi, Agostini. Il faut évacuer les armes sur Casta par un sentier unique. Il faut des hommes, des mulets. Voici le Front national des patriotes, voici le peuple de Corse à l’œuvre. Benedetti part en Balagne et ramène cinquante mulets qu’on disperse dans le maquis. Les paysans de Casta, une poignée d’hommes intrépides, guident les convois, offrent journellement une fournée de pain et un veau pour les équipes, dix décalitres d’avoine pour les mulets.
« C’est l’enthousiasme. Dans la journée, on vaque ostensiblement aux affaires, les vieux s’emploient auprès des Italiens à connaître les heures et les itinéraires des patrouilles, les enfants font le guet, et chaque nuit les armes passent dans le sentier à deux cents mètres de l’ennemi. Vincetti et Benedetti dirigent les convois. Colonna d’Istria et Simi surveillent la maisonnette, en bordure de la route, où se trouve le dépôt destiné à la Balagne, la Casinca et Bastia. Galetti s’occupe du dépôt de Calamicorno, dans la montagne, réservé au Nebbio. Agostini a la charge du ravitaillement. Du 10 au 20 août, le trafic est intensifié, et à cette date il n’y a plus de matériel sur le rivage.
Et maintenant, il faut le répartir. Il faut des camions, il faut passer sur cette route infestée d’Italiens, d’Allemands, de policiers et coupée de barrages où tout véhicule est arrêté, inspecté. Les risques sont énormes. Simi trouve les camions pour la Balagne. Leoncini, de Penta, doit en trouver pour la Casinca. C’est tout simple : il pénètre de nuit avec Joseph Rossi, de Cervione, dans l’usine de Folelli occupée par les Italiens et sort tranquillement le matin avec un camion. Il le charge à Casta en plein midi, alors que les Italiens sont à table, fait panne près du dépôt, repart à toute vitesse, sème en route à son insu les grignons qui camouflent les armes et arrive tout de même à bon port.
Le 20 [juillet] au soir, un autre camion arrive de Balagne avec Simi. Il est chargé dans la nuit, repart à l’aube avec Benedetti, retourne le soir même, est rechargé, repart avec Simi le 22 et atteint Regino sans accroc. Pendant ce temps, avec Pierre Orsoni. Jean Bagnoli Louis Vallecalle, etc., par des sentiers escarpés, le dépôt de Calamicorno s’écoule vers Lento et le Nebbio. »
LIEN : Le témoignage de Pierre Colombani sur lesresistances.france3.fr
La mort de Dominique Vincetti
Le 22 août, au soir, sur les 33 tonnes d’armes et de matériel débarqués par le Casabianca à la plage de Saleccia, il ne reste plus à Casta que le chargement d’un camion pour Bastia. Vincetti doit le conduire le lendemain. Plus de deux cents patriotes ont participé à l’opération. Tous méritent des éloges pour leur conduite. Mais pour détruire l’ouvrage d’une légion de héros, il suffit d’un seul scélérat. Un traître est apparu. Depuis, il a expié.
Les armes de la Balagne sont entreposées à Regino, dans une savonnerie et un vieux pressoir à olives. Les responsables des villages sont avertis pour la répartition. Simi, Sartori, Alfonsi et Brignetti déplacent le dépôt de la savonnerie trop exposé. A deux heures du matin, le village est enveloppé de carabiniers. Prévenus aussitôt, Simi et ses camarades se dégagent. Toutes les routes sont barrées. Sans perdre de temps, à pied, à travers le maquis, Simi court vers ses camarades restés aux environs de Casta. Trop tard: une nuée de carabiniers et de chemises noires s’est abattue sur la région. Le village de Casta est pris dans un véritable filet. Vincetti et Galletti sont surpris dans la maisonnette au bord de la route près du dernier dépôt, déjà presque vide.
Les deux hommes ouvrent le feu et tiennent l’ennemi en respect. Mais les munitions s’épuisent. Quelques cartouches encore. Nos camarades s’élancent. Vincetti s’écroule. Galletti passe, poursuivi par un feu d’enfer, et s’enfonce dans le maquis. Notre Vincetti n’est plus; il est mort comme nous savions qu’il mourrait, après avoir épuisé son lot de grenades et semé la mort dans les rangs ennemis. Casta est désert; il a subi la haine fasciste. Des maisons ont été défoncées bouleversées, incendiées. Vingt-trois habitants sont incarcérés; les autres ont pris le maquis. Casta: un village héroïque.
Maurince Choury. Tous bandits d’honneur. Ed. Piazzola. p. 95