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Pages d'histoire La Résistance au hameau des Martini

29 novembre 2019

L’interview d’André Sorba et Jacques Sorba

Questions à… André et Jacques Sorba. Interview réalisée par Andrée Vespérini, du bureau de l’ANACR 2A. Elle a été publiée dans le n° 4 d’octobre 2000 du bulletin de l’ANACR 2A de Petreto-Bicchisano, « GénérationS des Amis ». On doit la présentation d’André et Jacques Sorba au travail des élèves de la classe de Mlle Vincenzi, réalisé pour le coucours de la Résistance et de la Déportation (année 2002-2003)

Présentation des intereviewés

André Sorba : Quatrième fils d’une famille de neuf enfants, André Sorba est né en 1916, dans la vallée du Baracci. Ses parents, des républicains issus d’un milieu modeste, gagnent leur vie grâce au travail de la terre. Devenu grand, le jeune André ne voit pas un réel avenir dans le métier d’agriculteur. Ayant obtenu en 1928 son certificat d’études, il se rend à Sartène pour y préparer l’école normale mais il est recalé. Déterminé à partir de Corse, il fait son service militaire et rentre dans l’artillerie. A l’annonce de la signature de l’armistice, André est renvoyé en Corse. De retour, l’enfant du pays est contraint d’apprendre le travail de la terre et de suivre le même chemin que ses ancêtres.

Jacques Sorba est né en 1926, il est le septième enfant de la famille. Tout comme son frère aîné, il veut quitter son île natale pour mener une vie autre que celle de ses parents. Il part donc en 1936 chez son frère François à Tunis où il obtient son certificat d’études en 1939. De retour en Corse en 1940 pour y poursuivre ses études, il comprend que sa famille a du mal à survivre, son travail manque à la ferme. A la demande de sa mère il est contraint d’abandonner ses études et de reprendre l’affaire familiale.

L’interview

Andrée Vespérini : Comment, dans le Valinco, le hameau des Martini devint-il un haut lieu de la Résistance ? Pouvez-vous évoquer l’engagement de votre famille ?

Jacques Sorba : Le hameau des Martini, sur la commune de Fozzano, dans la haute vallée de Baracci, près de la forêt de Valle Mala, était en 1941 un endroit difficile d’accès. Aucune route ne le desservait, mais pour qui connaissait la montagne et la forêt, de nombreux sentiers menaient de Petreto-Bichisano aux Martini. La configuration du hameau donc, sa situation géographique au carrefour des cantons d’Olmeto, Serra-di-Scopamena et Petreto-Bicchisano et bien sûr l’engagement et la solidarité des populations ont effectivement fait des Martini un refuge très sûr pour les maquisards. Aux Martini, berceau de ma famille, cinq d’entre nous, mon oncle ziu Francescu Martini, notre ainé, mes frères, Joseph, André, Martin et moi-même avons participé à la résistance. De leur côté, mes parents, ziu Petru et zia Antunietta ont, durant toute l’occupation, partagé nos maigres ressources avec tous ceux qui étaient au maquis. Tout naturellement, ils accueillirent chez eux à « San Chirghu », François Peretti dit Pierrot Scatena, qui faisait du renseignement dans le Valinco et avait été condamné à mort par contumace par le tribunal militaire italien.

André Sorba : Les enfants eux-mêmes avaient été mis à contribution : notre jeune frère Dominique, âgé de 14 ans, avait pour mission de signaler tout ce qui lui apparaissait suspect dans la vallée. Il avertissait les Martini en sonnant du cor marin depuis le lieu-dit « A bocca di u castiducciu » près de « San Chirghu ». A Burgo, Joseph Cesari, âgé de 12 ans, faisait mine d’appeler les chiens le matin pour signaler aux maquisards qui occupaient un abri près de chez lui, que le champ était libre. Pour ce qui est de l’engagement et de la solidarité des populations évoqués par Jacques, nous pouvons témoigner de bien des dévouements. Je citerai à titre d’exemple, non loin des Martini, le hameau de Piattamonu, où vivait la famille Secondi, qui participa au ravitaillement des maquis d’Olmeto, Petreto-Bicchisano et Casalabriva.

Andrée Vespérini : Sur la façade de votre maison, aux Martini, est apposée une plaque (voir photo ci-dessus) rappelant le rôle joué par la population de la haute vallée de Baracci durant la résistance. En quoi cette maison a-t-elle été un lieu de résistance ?

Jacques Sorba : Dans le plus grand secret, notre maison abritait un radio, Pierre (Joseph) Luigi, qui émettait chaque soir en direction d’Alger. Pour camoufler l’antenne, nous avions ramené de la forêt de Valle Mala, un pin que nous avions planté sur la place, tout près de la maison. Nous nous rendions régulièrement, le soir, chez la famille Cartier, au hameau de Figaniedda, (Santa Maria) transportant les batteries à dos de mulet afin de les recharger. Nous mettions cet instant à profit pour écouter radio Londres ; ce que nous faisions également chez Paul Giovachini à Sainte Marie Figaniedda.

André Sorba : C’est aussi dans cette maison des Martini, chez ziu Francescu que se réunissaient Jean Nicoli, Jules Mondoloni, Dominique Bighelli, Charles Giacomini, Dominique Luchini dit Ribeddu et les responsables de Sartène, Joseph Tramoni, Toussaint Mary, Antoine Benedetti, Noël Galeazzi…

Andrée Vespérini : Quels évènements ont motivé votre engagement dans la Résistance ?

André Sorba : Tout d’abord, le réflexe patriotique : la Corse occupée, c’était une raison suffisante pour entrer dans la Résistance. Mais il y eut également les rencontres avec les premiers résistants arrivés chez nous ; elles aussi furent déterminantes.

Jacques Sorba : Avant même l’arrivée des Italiens en novembre 42, Charles Giacomini et Dominique Bighelli, recherchés par la police de Vichy pour avoir distribué des tracts dans le village de Petreto-Bicchisno, s’étaient tout d’abord réfugiés aux Martini avant d’être cachés par Michel Césari au hameau de Burgo, un peu plus bas dans la vallée. Ils dormaient dans un abri « U pagliaghju » et chaque soir Michel Césari et moi même allions les rejoindre. Nous écoutions Dominique Bighelli évoquer les grèves de 1936, la marche sur Ajaccio qu’il avait animée (NDLR : voir le récit de Santu Mari). C’est lui, Dominique, qui nous a appris « l’Internationale ».

André Sorba : A peu près à la même période, Jules Mondoloni, militaire fait prisonnier en 1940, puis évadé, arrivait aux Martini chez notre oncle ziu Francescu Martinu. Ce dernier nous avait laissé entendre que Jules était quelqu’un d’important. Il devint effectivement par la suite l’un de nos chefs. Ces rencontres, je le répète, eurent avec le réflexe patriotique, un rôle décisif dans nos engagements respectifs.

Andrée Vespérini : Pouvez-vous relater quelques actions auxquelles vous avez participé, un acte de résistance qui vous a particulièrement marqué ?

André Sorba : Une des premières actions dont je garde le souvenir très vif -bien qu’assez amer- est l’expédition au fort de la Parata, non loin d’Ajaccio. Trouver des armes était alors une priorité. Nous avions appris l’existence d’un entrepôt d’armes à un endroit précis au pied du fort. La décision est prise de s’en emparer. Jean Nicoli, Jules Mondoloni et Dominique Luchini partent à pied à travers le maquis. Pour ce qui me concerne, je prends tout simplement le car à Propriano avec une valise dans laquelle j’avais glissé mon revolver. On se retrouve à Ajaccio une douzaine d’hommes. Nous partons vers la Parata. Le Fort était occupé par les troupes italiennes. C’était la nuit. Nous rampons en évitant les projecteurs qui balayaient sans arrêt les abords du Fort. Nous atteignons l’endroit précis du dépôt. A notre grande stupeur, il était vide.
Ce fut pour tous une terrible déception doublée d’une grande colère. Nous avions pris d’énormes risques et n’avions obtenu aucun résultat. Le sentiment que j’en tire est néanmoins celui de l’immense enthousiasme qui nous animait. Cela me fait penser à un autre épisode, à ce 1er mai 1943 où j’ai été chargé d’acheminer des tracts vers Sartène. Je me revois, traversant à pied la plaine du Rizzanèse, la musette remplie de tracts, au moment où je croise une patrouille italienne. Je mets d’abord instinctivement la main à mon revolver puis me ravise, adresse un salut au groupe de soldats et poursuis mon chemin tout en sifflotant… Encore une fois, je l’avais échappé belle ! Arrivé à Sartène, je remis le paquet de tracts à un membre de la famille Tafanelli chargé de la diffusion.

Jacques Sorba : L’action qui m’a particulièrement marqué, comme tous ceux, je pense, qui y ont participé, est sans aucun doute le premier parachutage d’armes sur le plateau de Siò, le 16 juin 1943. C’était à la fin de l’après-midi, nous finissions de moissonner au lieu-dit « Pianu Grossu » lorsque mon frère Martin, de retour de Sainte Marie de Figaniella où nous montions chaque soir écouter Radio Londres, nous annonça : « C’est pour ce soir ». Nous avons quitté précipitamment « Pianu Grossu » pour nous rendre à Siò, que nous avons atteint aux alentours de 22 heures. Notre groupe était composé de huit personnes : ziu Francescu Martinu, François Mondoloni qui était le responsable de l’opération, Michel Césari, François Peretti, Jacques Césari, mes deux frères, André et Martin, et moi-même. D’autres hommes des hameaux de la région allaient aussi se joindre à nous. Bientôt, l’avion fut au-dessus de nos têtes. François Mondoloni fit les signaux convenus et ce furent 13 parachutes et leurs containers qui vinrent percuter le sol. Quelques-uns se perdirent à jamais dans la vallée, mais nous récupérions des tonnes d’armes et de munitions. Inutile de préciser combien notre tâche fut rude pour les acheminer vers le lieu-dit « U Furcatu » dans la forêt de Valle Mala. Le surlendemain de cette opération réussie, le 18 juin, notre joie fut ternie par la terrible nouvelle de la mort de Jules Mondoloni, le frère de François, et André Giusti. Ils avaient succombé la veille, à Ajaccio, à »La Brasserie nouvelle » sur le cours Napoléon, le 17 juin, dans un affrontement avec les carabiniers italiens, et les agents de l’OVRA de triste mémoire.

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