Durant deux jours, mercredi 21 mars à Ajaccio et jeudi 23 mars à Bastia, la fondation du Mémorial de la Shoah va essayer de recueillir des archives privées (documents, photos, objets, etc.) détenues par des familles de Juifs qui résident en Corse. Le supplément hebdomadaire de Corse-Matin, Settimana du 23 février, pour faire connaître cette initiative lui consacre deux pages et une interview de Iannis Roder, historien du Mémorial …
…l’occasion de présenter la Fondation qui depuis sa création (après-guerre, elle s’appelait autrement), fait un travail remarquable pour que ne soit pas oubliée la Shoah, pour dire comment cela fut possible et mettre en garde contre les poisons de l’antisémitisme, du racisme et de la xénophobie. On peut lire dans l’hebdomadaire Settimana un bref rappel historique de la présence des Juifs en Corse depuis l’antiquité. C’est bien ! mais dommage que l’auteur de l’article, Jean-Marc Raffaelli, prenne quelques libertés avec l’histoire
A propos des « Juifs de Paoli »
L’auteur écrit : « La plus grande vague d’immigration juive intervient sous Pasquale Paoli qui fait venir en Corse entre 5 000 et 10 000 Juifs du nord de l’Italie pour revitaliser l’île après quatre siècles d’occupation génoise, leur accordant un statut de citoyens à part entière avec les mêmes droits que les Corses ». L’historien Antoine-Marie Graziani dans le Settimana du 10 février dernier ramène leur nombre « … à quelques Juifs en Corse, que Paoli est allé chercher à Livourne par [l’intermédiaire de] Antonio Rivarola, consul de Piémont-Sardaigne. Paoli souhaitait des gens susceptibles de s’installer dans un port, en l’occurrence celui de l’Ile-Rousse tout juste construit, avec des capacités de commercer, de manipuler de l’argent ».
Entre 5 000 et 10 000 arrivés en Corse ? alors que Livourne comptaient 2 500 Juifs au début du XVIIIème siècle et le double à la fin, si on en croit Lionel Lévy (1) qui nous apprend que la cité de Livourne, depuis la 2ème moitié du 16ème siècle, avait accueilli une petite colonie de Juifs ayant fuit le Portugal. Ils y prospérèrent. Ils y jouissaient de droits inédits : nationalité toscane, liberté de culte, droits civiques, exercice de toutes les activités, non-assignation à résider dans un ghetto, auto-gouvernement, etc. Pasquale Paoli pour les faire venir en Corse ne pouvait pas faire moins.
Et si la Corse avait accueilli autant de Juifs qu’on le dit, comment expliquer qu’il n’en reste pas trace dans le paysage (Cimetière, synagogue, etc.).
S’agissant de la protection des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale
Jean-Marc Raffaelli écrit : que durant l’occupation fasciste, « …les habitants se mobilisèrent pour aider les Juifs à se cacher. » Tous ? Non, et c’est dans le même n° de Settimana, et dans une interview réalisée par J.-M. Raffaelli, que l’interviewé, Iannis Roder, explique que « Les Juifs français présents en Corse n’étaient pas menacés ». Seuls l’étaient les étrangers. « il y avait, c’est vrai, de nombreuses familles juives dans les villages, mais étaient-elles étrangères ? fait remarquer Iannis Roder. […] « … des familles ont été cachées, de nombreux témoignages sont avérés, mais il faut préciser de quelle nationalités elles étaient. […] Et Iannis Roder aurait pu citer plusieurs témoignages et documents qui contredisent ce mantra des « Corses tous unis pour protéger les juifs » et implicitement justifiant la Corse reconnue « Ile juste » par Yad Vashem. Parmi ceux-ci, le témoignage que Jacob Ninio recueilli par Sixte Ugolini, le président de l’ANACR 2B :
« Il n'y a pas eu de Juifs déportés hors de Corse, [Il y en eut un] mais notre existence était tout de même très difficile. Nous vivions dans l'angoisse et la peur. Bien que beaucoup d'insulaires aient été solidaires avec nous, je ne vous cache pas qu'il y a eu plusieurs dizaines de lettres de dénonciation adressées aux autorités. Je tiens à dire tout haut et fort que la population locale, c'est-à-dire tous les villageois et toutes les villageoises d'Asco ont été sympathiques avec nous. Heureusement qu'ils étaient là. Ils nous ont beaucoup aidés matériellement et moralement. Ils nous apportaient des vivres ».
Un autre document, -pour ne choisir qu’un des plus probants – brise le miroir gratifiant d’un soi-disant consensus philosémite de la population corse. C’est un article du Bulletin diocésain 24 août 1941, signé Joseph Ferracci, et dont on ne trouve pas trace d’une réprobation, nulle part, jusqu’à plus ample informé. Et ce qui ne rend que plus méritoires l’entrée en Résistance des hommes du clergé comme l’abbé Zattara, l’abbé QuilichiniL(2). Reste que pour Ferracci la persécution des Juifs est jugée « providentielle ».
"Expulsés des pays qui ont à se plaindre de leur néfaste ingérence dans les affaires publiques, ils s’en iront dans des pays où ils ne sont pas connus et qui ne connaissent pas encore Notre Seigneur Jésus-Christ. Mais là, ils ne pourront pas cacher leur étrange et navrante histoire. Ils prépareront ainsi la voie aux missionnaires catholiques qui viendront prêcher l’ Evangile […]. Peut-être que la persécution actuelle est venue parce qu’ils commençaient à trop s’identifier avec les peuples au milieu desquels ils vivaient et qu’ils étaient en train de perdre leur originalité ; alors Dieu a permis qu’ils fussent ramenés durement à leur destinée : « Erunt vagi… » Ils iront vivre sous d’autres cieux, là où dieu juge que leur présence est nécessaire pour rendre témoignage à son fils qu’ils ont crucifié.
…Sur cette antienne de « La Corse, île Juste »
Revenant sur cette antienne de « La Corse, île Juste », Iannis Roder rappelle la réponse négative de Yad Vashem, et exempte Serge Karsfeld de toute responsabilité dans le soutien à cette revendication. Serge Karsfeld quand il était venu assister, le 4 juillet 2013, à l’Assemblée de Corse à la projection du film d’André et Clémentine Campana, « La Corse, île des Justes », avait déclaré que la Corse [était] une île, non pas des Justes mais de Justes ». Un peu alambiqué mais en aucun cas, « Ile Juste » (3). Et Serge Karsfeld révèle que si il y a bien une demande qui est à l’examen par Yad Vashem, c’est pour le préfet de Corse de l’époque, Paul Balley, pétainiste mais philosémite selon Serge Karsfeld qui avance pour preuve le non-recensement en Corse des Juifs demandé par le régime de Vichy pour tous les départements.
Plus loin dans le temps, ça remonte à 2007, et ça concerne non pas Serge mais on fils Arno Karsfeld, candidat aux élections législatives du 12ème arrondissement de Paris, Corse-Matin du 16 juin 2007 relate la présence du candidat A. Karsfeld à une réunion de Corses de Paris qui avaient pétitionné pour que la Corse soit reconnue « Ile juste ». Son adversaire, Sandrine Mazelier était pour. Quant à Arno Karsfeld qui disait s’exprimer à titre personnel, le compte-rendu de la journaliste ne fait pas état d’une réponse précise à cette demande. Jusqu’à plus ample informé on s’en tiendra à l’article de Corse-Matin.
Alors, louons Settimana parce qu’il contribue à l’entreprise de recherche de la Fondation du Mémorial de la Shoah mais déplorons que l’hebdomadaire continue d’entretenir ces légendes narcissiques. Ça ne sert pas l’histoire ni la Corse. Ceci étant, espérons que le journal soit lu par ceux qui détiennent des documents qui pourront enrichir le fonds documentaire de Mémorial. Tous comptes faits, Settimana aura fait oeuvre utile.
Antoine POLETTI
(1) Source wikipedia : http://www.bibliomonde.com/livre/communaute-juive-livourne-la-834.html.
Consultation le 11.03.2018 à 19 h. : présentation du livre de Lionel Levy « La communauté juive de Livourne »
(2) L’ Église eut aussi ses martyrs de la Résistance : L’abbé Bytonski et le père Brener, francscain.
(3) (Site Corse Net Infos consulté le 11.03.2018 à 16 h.30 : https://www.corsenetinfos.corsica/Serge-Klarsfeld-La-Corse-est-une-ile-de-Justes_a4040.html)