En cet été 1943, les évènements se son précipités. Mussolini est destitué le 25 juillet, on apprend la capitulation italienne le 8 septembre au soir qui déclenche aussitôt l’insurrection corse ordonnée par la Résistance . Le général Magli qui commande l’armée d’occupation « finit le travail » ; il se hâte de faire juger et condamner les patriotes détenus : qui la prison, qui la déportation, et pour d’autres la mort. Pierre Griffi est exécuté le 18 août, Michel Bozzi, Pierre Luiggi et Jean Nicoli le 30 août.
On sait la fin prochaine du régime fasciste. L’alter ego de Magli qui siège à Nice condamne avec moins de sévérité et les condamnations à mort font toutes l’objet de recours en grâce à Rome. Recours accepté. En Corse, Magli s’est obstiné : dernière exécutions le 30 août.
La Corse n’oublie pas, elle s’obstine aussi dans le souvenir parce que : » Qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime si ce n’est l’obstination du témoignage. » fait observer Albert Camus. C’est pourquoi les cérémonies se succèdent chaque fin d’été en Corse pour rendre hommage aux martyrs et commémorer l’anniversaire de l’insurrection libératrice. Après la lecture d’un poème d’Aragon par les deux lauréates du Concours National de la Résistance et la Déportation. Malika Beaurin a prononcé l »allocution pour commémorer l’anniversaire du 9 septembre.
Allocution de Malika Beaurin, membre du bureau de l’ANACR 2A.
Aujourd’hui nous célébrons l’anniversaire de l’insurrection contre l’occupant, le 09 septembre 1943, cette insurrection qui a mené la Corse à sa libération totale le 04 octobre.
Le 08 septembre 1943, en cette fin d’après-midi d’été, la chaleur pèse comme une chape de plomb sur la ville d’Ajaccio silencieuse… Soudain, des cris ! La radio vient d’annoncer la capitulation italienne et la nouvelle se répand dans toute l’île comme une trainée de poudre ! Les Ajacciens se précipitent sur le Cours Napoléon afin de commenter l’évènement entre amis et voisins, certains brandissent déjà des drapeaux tricolores et chantent « l’Ajaccienne », « la Marseillaise » et parfois « l’Internationale » ! Les mêmes scènes se répètent dans toutes les villes corses.
Le Cours Napoléon retrouve en un instant son animation joyeuse après de longs mois de colère contenue, de silence et de méfiance ! Au même moment, se déroule clandestinement une réunion entre les résistants du Comité d’arrondissement et ceux du Comité cantonal d’Ajaccio, dans l’arrière boutique de l’électricien Jean Bessières sur le Cours Napoléon. Soudain Pierre Pagès, un partisan, beau-frère de Danièle Casanova, entre dans la boutique et annonce aux participants la capitulation italienne.
Certes, on savait depuis la destitution de Mussolini le 25 juillet, que l’Italie ne tarderait pas à capituler, l’évènement avait été préparé, les consignes données aux comités locaux mais il fallait vite réagir face à cette situation nouvelle pour, maintenant, affronter l’occupant allemand. Ce 08 septembre à 19H30, des groupes de patriotes sont rassemblés devant la mairie et marchent en direction de la préfecture, bien déterminés à y pénétrer et en prendre possession. Mais ce ne sera pas ce soir. En attendant, devant les grilles de la préfecture, Maurice Choury (alias Annibal), un des responsables du Front National de lutte pour la libération de la France, appelle à un rassemblement massif pour accompagner le lendemain la délégation qui prendra le contrôle de la préfecture. Seul membre du Comité départemental présent à Ajaccio, Maurice Choury a rédigé, pendant la nuit du 08 au 09 septembre, dans la chambre de Robert Giocanti; l’ordre d’attaque qui sera transmis à tous les cantons, et les arrêtés préfectoraux proclamant le rattachement de la Corse à la France Libre.
A dix heures, à la tête de la délégation, Maurice Choury expose au préfet de Vichy qu’il est démis de ses fonctions et que c’est dorénavant un Conseil de préfecture, dirigé par la Résistance, qui lui sera substitué. La foule se presse sur « le Cours ». Les résistants, juchés sur le toit d’une ambulance municipale équipée d’un haut parleur, annoncent à la population les projets immédiats pour l’avenir.
Maurice Choury prononce un discours au nom du Comité départemental de la Corse : « Patriotes Corses, Ce jour que vous attendiez depuis quatre longues années, cette heure bénie de la résurrection de la patrie a sonné… Enfin on peut, sans risquer l’arrestation, le camp de concentration, voire même le peloton d’exécution, chanter la Marseillaise derrière le drapeau tricolore, enfin les patriotes peuvent crier à la face du ciel leur amour de la patrie…».
A midi, le Comité départemental du Front National pénètre dans la préfecture. D’heure en heure, de minute en minute, les réalisations pratiques s’accumulent…Preuve qu’un pouvoir qui a l’appui du peuple peut agir vite et fort. A 08 heures du soir, la place des Palmiers est noire de monde, le conseil municipal vichyste est dissous et aussitôt remplacé par un conseil municipal constitué de patriotes désignés par acclamation, Renée Pagès, épouse de Pierre Pagès et sœur de Danièle Casanova en fait partie. Les organisations antipatriotiques sont dissoutes, les traitres sous les verrous, les prisonniers politiques sont libérés et les groupes de combat du Front National, assurent l’ordre public.
Les patriotes rédigent leur journal. Le rétablissement de la ration normale de pain est décidé pour le 15 septembre. Comme par enchantement le marché noir a disparu. L’insurrection a triomphé. Le Comité départemental du Front National de lutte pour la libération de la France est institué en conseil de préfecture. La foule se rend ensuite au monument aux morts et, recueillie, prête serment : « Devant nos morts de la guerre 1914-1918, devant nos héros et nos martyrs de la Résistance, nous faisons le serment solennel de faire de notre patrie une France libre, propre et heureuse« .
Tout est prêt pour accueillir le débarquement des Alliés, car, si l’Italie a mis bas les armes, la guerre, elle, continue. En Corse d’abord, il faudra affronter l’armée allemande, forte de quelques milliers d’hommes présents depuis plusieurs mois auxquels s’ajoutent 30.000 soldats qui vont transiter de Sardaigne en Italie en passant par la plaine orientale.
La Corse venait d’écrire une belle page de son histoire. Pourtant, après cette belle page d’histoire que l’on croyait être une conclusion, d’autres pages ont été tournées, et sont encore tournées dans le monde entier. Ce qui a suivi n’a pas été à la hauteur des espérances et des sacrifices consentis. D’autres guerres, d’autres génocides, d’autres actes barbares ont ensanglanté notre planète ! La folie meurtrière des hommes ne sera donc jamais assouvie ? Combien de victimes au Moyen Orient, en Afrique, en Asie ? Aujourd’hui, sur notre sol, c’est le terrorisme qui tue. Il tue partout : à New-York, Paris, Madrid, Munich, Nice, Manchester, Londres, Barcelone, Cambrils, Ouagadougou; au Nigéria, en Sibérie ! Et presque chaque jour la liste s’allonge et avec elle, celle des victimes innocentes.
L’indignation et la condamnation de tels actes doivent être totales, sans la moindre réserve : il ne peut y avoir la moindre justification idéologique, politique ou religieuse. L’objectif majeur de ces ennemis de la démocratie est de provoquer la terreur, la défiance et la haine entre différentes communautés. Malgré quelques manifestations de racisme, leur objectif à échoué. Et on constate que la population, dans sa majorité, continue de fréquenter les salles de spectacle, les concerts et les stades, un peu comme un pied de nez aux terroristes ! Il faut vaincre les exécutants, leurs commanditaires et leurs inspirateurs, les mettre hors d’états de nuire dans le respect de nos valeurs démocratiques. « Si complète que puisse être un jour la victoire des armées, rien n’empêchera la menace de renaître plus redoutable que jamais, si le parti de la libération ne parvient pas à construire un ordre tel que la liberté, la sécurité et la dignité de chacun y soit exaltées et garanties, au point de paraître plus désirables que les avantages offerts par son effacement ». Ces paroles datent du 25 novembre 1941 et ont été prononcées par le Général De Gaulle, au Collège d’Oxford. Elles restent pour nous, aujourd’hui encore, un avertissement.