Le quotidien Corse-Matin du 28 décembre dernier rend compte d’une des nombreuses manifestations de l’Associu di i parenti corsi (APC) -celle d’Ajaccio- pour célébrer le 8 décembre, la fête de l’Immaculée Conception, dite aussi « Festa di a Nazione » parce que durant les révolutions de Corse du 18ème siècle, les paolistes s’étaient placés sous sa protection.
Sur la photo on voit une vingtaine de personnes, et parmi elles beaucoup d’enfants, rassemblées sur la place où est dressé le buste de Pascal Paoli. Au pied du buste, les participants ont dévoilé une plaque où il est écrit : « A Corsica un hè mica un departamentu francesu ma una nazione vinta chi a da rinascia. (1). …Sans doute pas du goût du « Babbu di a patria » qui d’abord encensé par les révolutionnaires français (2) fît figure ensuite de contre-révolutionnaire pour la Convention, mais qui jamais ne devait renier son engagement dans la Révolution.(3). Va pour Paoli !
Admettons aussi qu’on puisse ne pas se sentir ou se penser Français pour des raisons diverses. Ce n’est pas sans importance mais ce n’est pas fondamental. Ce qui est fondamental en revanche, ce qui interpelle l’ANACR 2A , ce sont les raisons de cette hostilité à la France justifiées par l’APC parce qu’elles vont à l’encontre des valeurs de la Résistance. Ces raisons, le président de l’APC, qui est aussi membre du Conseil économique et social, les avait livrées dans une interview donnée à La Corse Votre Hebdo (4) début 2014. Il affirmait, avec des accents maurrassiens, que : « Nous [les Corses] devons rejeter le droit du sol français pour le droit du sang qui est notre conception historique de la communauté corse (…). En aucun cas le fait de poser les pieds sur le sol de Corse ne donne accès à tous les droits (…). Je définirais le peuple corse d’hier, d’aujourd’hui et demain ainsi : une communauté charnelle ayant une terre, une langue, une culture, son atavisme propre… ». [souligné par nous]. L’atavisme auquel il est fait référence accorde la primauté de l’inconscient sur la raison, le culte des forces profondes et mystérieuses qui nous font goûter « profondément le plaisir instinctif d’être dans un troupeau » comme disait Barrès (5).
On sait où a mené cette doctrine : la volksgeist en Allemagne, le culte du mythe de l’Imperium romain en Italie ; on sait où va puiser l’atavisme de l’extrême droite française : Jeanne d’Arc, Clovis et même Vercingétorix ; et dans l’actualité, c’est du Califat que Daesh dit tirer sa légitimité.
Plusieurs décennies après cet entre-deux-guerres, et venue de l’autre côté de la Méditerranée, contre cette doctrine, nous est faite cette mise en garde de l’essayiste tunisienne Hélé Beji : « La notion d’identité, écrit-elle, peut être irréelle et dangereuse quand elle croit se rapprocher d’un idéal originel qui serait son noyau de vérité (….). Aucune identité culturelle ne parviendra à récupérer la véritable patrie de l’homme qui est politique, seul lien authentique auquel je consens, par un pacte qui m’unit à mes semblables ». (6)
Avant guerre et pendant l’Occupation, en voulant rester Français, c’est à ces valeurs qu’une majorité de Corses étaient attachés. Tout en atteste, depuis le serment de Bastia prononcé en décembre 1938 jusqu’aux arrêtés préfectoraux du 9 septembre imposés au préfet pétainiste par les Résistants. Et pour donner tout son sens à leur victoire acquise quelques semaines plus tôt, le 30 novembre 1943, on a commémoré avec éclat en Corse l’anniversaire la fusion de la nation corse dans la nation française de 1789. Cette France de la Révolution dont Mussolini disait que « les fascistes en [étaient] l’antithèse » (7) ; dont Goebbels avait dit « qu’elle [la Révolution] serait rayée de l’histoire » (8) ; celle que l’idéologue nazi Rosenberg accusait d’avoir accumulé désastre sur désastre. » (9). Et comme en écho, on pouvait lire le 10 mai 1928 dans A Muvra, le revue autonomiste héritière de A Cispra que « …les Corses sont les plus grandes victimes de l’esprit de 89 ! L’assimilation et l’égalitarisme révolutionnaire nous ont valu des maisons en ruine, des villages déserts, la malaria et les nombreuses guerres que l’œil sanglant du jacobinisme a déchaîné sur le monde » (10). Pétain, moins tonique, ne disait pas autre chose quand il maugréait lors du 150ème anniversaire de la Révolution, en 1939, : « 150 années d’erreurs ! »
Cette idéologie des Anti-Lumières a été vaincue en 1945 ; vaincue militairement mais il fallait être naïf pour penser qu’on en avait fini avec elle ; elle est née avant même le 20ème siècle et elle lui a survécu. Le général De Gaulle avait prévenu dès l’automne 1941 : » (…) Si complète que puisse être un jour la victoire des armées, rien n’empêchera la menace de renaître plus redoutable si jamais si le parti de la libération au milieu de l’évolution imposée aux sociétés par le progrès mécanique moderne, ne parvient pas à construire un ordre tel que la liberté, la sécurité, la dignité de chacun y soient exaltées et garanties (…) » (11). Un avertissement !
A.P.
(1) La Corse n’est pas un département français mais une nation vaincue. Dans Corse-Matin du 28.12.2014
(2) Notamment le discours de Robespierre recevant Paoli et les députés corses au club des Jacobins : « La liberté ! […] Il fut un temps où nous allions l’opprimer dans l’un de ses derniers asiles ! Mais non ; ce crime fut celui du despotisme. Le peuple français l’a réparé. […] Vous avez défendu la liberté dans un temps où nous n’osions l’espérer encore. Vous avez souffert pour elle : vous triomphez avec elle et vôtre triomphe est le nôtre. Unissons-nous pour la conserver toujours. »
(3) « Elliot, le vice-roi de Corse pendant le royaume Anglo-Corse s’agace de cette fidélité à la France : « …Paoli me paraît avoir de fortes tendances à la démocratie. Si les Français avaient respecté son autorité et son influence, s’ils n’avaient pas menacé ses jours, je ne crois pas qu’il eût jamais reproché leurs principes. C’est un grand admirateur de leur courage et de leur énergie. Il ne tarit pas d’éloges à leur sujet, tout en désapprouvant leurs dernières atrocités. » Dans « La Révolution française en Corse ». Antoine Casanova et Ange Rovere. Ed. Privat. p. 256
(4) La Corse Votre Hebdo du 31.01 au 06.02.2014
(5) Maurice Barrès. Mes cahiers, Paris, Plon, 1927-1957. T.I p. 39 (Cité par Zeev Sternhell. Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France. Folio histoire. p. 915
(6) Hélé Béji. « L’imposture culturelle. Ed Stock 1997.
(7) Cité par Daniel Guérin dans « Fascisme et grand capital ». Ed. Libertalia. P. 316
(8) Ibid. p. 317
(9) Cité par Georges Politzer dans « La philosophie et les mythes. Ecrits 1 ». p. 352
(10) A Muvra. 10 mai 1928
(11) Discours prononcé à Oxford le 25.11.1941