« Quand nous serons en paix, ils (Les martyrs de la Résistance) seront bien vengés » a dit le poète. En cette fin d’été 2014, alors que plusieurs conflits embrasent des pays du pourtour méditerranéen et au-delà, en Europe et Afrique, il était opportun que pour la commémoration de la mort de Michel Bozzi et Jean Nicoli, soit rappelé le message de paix formé par le Général De Gaulle à Ajaccio le 8 octobre 1943. Et qu’il soit fait appel à œuvrer pour que ce rêve se réalise.
Le 30 août 1943 mourrait sous les balles fascistes du peloton d’exécution, Jean Nicoli qui sera, après guerre, une des figures emblématiques de la Résistance insulaire. Ce 30 août, le même sort était réservé au radio Luiggi et à l’adjudant-chef Michel Bozzi.
De Jean Nicoli, après sa mort, nous sont restés les témoignages élogieux de ses camarades et les lettres adressées, à quelques heures de son exécution, à ses enfants et à ses codétenus de la cellule voisine. A ces derniers il écrit, à 22 heures : « Nous montrerons au procureur du roi qu’il y a des Corses qui sont encore dignes de leurs aïeux et qui sauront mourir en dignes fils de Cyrnos (…). Nous mourrons heureux pour la cause que nous avons servie (…). Nous mourrons en Corse français et le procureur du roi l’entendra de ses oreilles. »
A ses enfants, il confie ses dernières pensées et recommandations ; plusieurs lettres, la dernière à 3 heures du matin : « Tout à l’heure je partirai. Si vous saviez comme je suis calme, je dirais presque heureux de mourir pour la Corse, pour le Parti. Ne pleurez pas. souriez-moi. Soyez fiers de votre papa, il sait que vous pouvez l’être. La tête de maure et la fleur rouge, c’est le seul deuil que je vous demande.(…) ». A 7 heures 30 il était fusillé et son corps outrageusement mutilé.
Quelques jours après l’exécution des condamnés, on apprenait le 8 septembre au soir, la capitulation italienne qu’on savait inéluctable depuis que Mussolini avait été destitué, fin juillet, par le Conseil fasciste. A quelques jours près, Nicoli et Bozzi auraient eu la vie sauve. Mais c’était sans compter sur l’acharnement du général commandant les forces armées italiennes en Corse, pressé de « finir le travail » avant de rejoindre l’Italie.
En cette fin août, il y a plus de deux mois que Michel Bozzi et Jean Nicoli sont en prison, et avec eux 23 autres patriotes, dont Jérôme Santarelli arrêté avec lui. Alors pourquoi cette réunion du tribunal à quelques jours d’une capitulation qu’on sait imminente ? Le tribunal se réunit et prononce les condamnations le 28 août. Elles sont exécutées sans tarder, moins de 48 heures après.
Pourquoi cette précipitation du commandement militaire italien en Corse ? à l’opposé de ce qui se passe partout dans le sud-est de la France où les tribunaux militaires italiens ont ralenti leur activité, et les condamnations à mort prononcées faisant systématiquement l’objet de recours en grâce, toutes acceptées ; tant et si bien que sur le continent il n’y a plus d’exécutions durant les dernières semaines qui précèdent la capitulation. Mais il en va autrement en Corse. Après Pierre Griffi, le 18 août, c’est au tour de Luiggi, Michel Bozzi et Jean Nicoli. le 30 août. Il s’en est donc fallu de peu – un général zélé et vindicatif – pour que les condamnés échappent à leur funeste destin.
Mais on ne refait pas l’histoire avec des « Si », c’est bien connu. Pas plus qu’on ne construit l’avenir si la mémoire est grevée par le ressentiment. Laissons donc ces questions pour les historiens. « Il faut, disait déjà le 8 octobre 1943 à Ajaccio, le général de Gaulle, ne pas se figer dans une attitude de rancœur ». Il nous faut « …tâcher de porter nos pensées au-delà des douleurs, des colères du présent, et regardant au loin vers l’avenir, […] nous voulons crier notre espoir, disait-il, de voir la mer latine redevenir un lien au lieu d’être un champ de bataille. Un jour viendra, où la paix, une paix sincère rapprochera depuis le Bosphore jusqu’aux Colonnes d’Hercule des peuples à qui mille raisons aussi vieilles que l’Histoire commandent de se grouper afin de se compléter.
Constatons aujourd’hui, soixante et onze ans plus tard, que le rêve est inaccompli. En de nombreux pays, autour de la Méditerranée ou ailleurs, a résonné et résonne épisodiquement le bruit des armes. Dans ces conflits, les populations civiles payent un lourd tribut, comme en Syrie, au Kurdistan, en Ukraine, en Afrique noire ou à Gaza. Dans ce dernier conflit qui oppose Palestiniens et Israéliens depuis plus d’un demi-siècle , les politiques de force qui ont prévalu jusque là n’ont toujours fait que préparer le conflit suivant. En même temps qu’elles sèment la mort et les destructions, elles attisent les haines et favorisent la montée des extrémismes ; et ce faisant, elles déstabilisent la région et mettent en péril la paix mondiale.
La France doit faire entendre sa voix pour faire respecter les décisions de l’ONU afin de satisfaire l’aspiration des peuples à vivre en paix dans des Etats aux frontières reconnues et stables. C’est ainsi, pensons-nous, qu’on reste fidèle au message de la Résistance. Le rêve de paix en Méditerranée formé il y a 71 ans par le Général de Gaulle à Ajaccio est inaccompli. Mais gardons l’espoir qu’il se réalise parce que nous croyons comme le philosophe Paul Ricœur qu’il faut « rouvrir le passé, raviver en lui des potentialités inaccomplies, empêchées, voire massacrées. (…) Le passé demeure vivant dans la mémoire grâce aux flèches du futur qui n’ont pas été tirées ou dont la trajectoire a été interrompue ». Il faut restituer au passé toutes les possibilités qui n’ont pas abouti. Ces évènements non accomplis constituent aussi un élément de la mémoire, une réserve de sens.
Entretenir la flamme de la Résistance, c’est continuer à nourrir cette increvable espérance née au plus profond du désastre de 1940, face au discours dominant d’alors sur l’inéluctable, le renoncement et la résignation. Le souvenir de la Résistance vient nous rappeler la récurrence de ce discours et le devoir pour chaque génération d’en triompher.
Antoine POLETTI