Comment s’est écrite l’histoire de la Résistance en Corse depuis la fin de la guerre ? Les historiens Hélène Chaubin et Francis Pomponi font le point sur cette historiographie et esquissent les contours de nouvelles approches en cours …plus ou moins fécondes.
Des difficultés de la recherche dans les années de l’après-guerre.
Dans un article livré au journal de l’ANACR 2B « A Memoria »,n° 33, daté de juin 2014, publié dans notre rubrique « DOSSIERS », l’historienne Hélène CHAUBIN traite de l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale en Corse et revient sur son choix de faire de cette période contemporaine un objet de recherche, sa spécialité. Plus de quarante ans après, il vaudrait mieux dire, une de ses spécialités. C’était en 1967, en Corse où elle exerçait son métier de professeur. Et ce ne fut pas facile de vaincre les réticences pour faire admettre qu’un objet encore « chaud », presque l’actualité, puisse être un objet pour l’histoire ; que les archives de cette Seconde Guerre mondiale, couvertes en outre du voile jeté sur la collaboration par des lois d’amnisties, puissent être livrées au travail d’investigation des historiens. Même avec la caution du Comité d’histoire (national) de la Seconde Guerre mondiale créé à cet effet, on ne détenait pas pour autant le « sésame » qui donnait accès aux archives. Et encore fallait-il que celles-ci une fois ouvertes, elles soient exploitables ; que vous n’ayez pas à chercher une aiguille dans une botte de foin. Et c’était bien là l’autre difficulté à laquelle elle fut confrontée : « les documents étaient entassés dans un sous-sol de la préfecture, ils n’étaient pas classés, le préfet (Maurice Lambert) trouvait que cette recherche était prématurée. De toute manière, à l’exception de la presse, rien n’était communicable » se souvient Hélène Chaubin. Mais sa persévérance et celle de ses collègues du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, a eu raison de ces nombreux obstacles. « J’ai cependant persisté, écrit-elle, en dépit des amicales pressions de notre archiviste M. Lamotte. Mais j’ai du attendre plusieurs années un accès aux archives tant françaises qu’italiennes (…). Nous y faisions un travail de pionnier. (…) Nous pensions que si la guerre ne devenait pas rapidement un objet de recherche scientifique, ce serait le terrain de toutes les mythologies, de toutes les falsifications et que ce serait dangereux. C’est le sens d’un texte daté de 1946, qui a été proposé au concours d’entrée de l’école des Chartes : « la mémoire historienne et critique est étrangère à la mémoire enchanteresse de l’épique« . Nous avons réussi à faire admettre la notion d’ « Histoire du Temps Présent ». Une nouveauté dans le paysage historiographique. Le laboratoire du C.N.R.S. pour lequel je travaille encore a d’ailleurs pris ce nom. A l’époque du Comité d’histoire de la Seconde Guerre -avant 1980- , il y avait un autre avantage à commencer la recherche : nous pouvions rencontrer la plupart des acteurs de ce temps. Les méthodes de l’histoire orale n’étant pas encore définies, là aussi nous avons fait un travail pionnier ».
La recherche historique à l’épreuve des distorsions de la mémoire.
Un travail méritoire reconnu par un autre historien-référence de Seconde Guerre mondiale en Corse (entre autres spécialités), Francis Pomponi qui fait observer dans ce même numéro de A Memoria » (N° 33) qu’au fil des ans, « la mémoire fit de moins en moins autorité et les témoignages oraux furent maniés avec plus de circonspection qu’autrefois. (…) l’accès aux sources écrites permettant d’approfondir la connaissance de la période a été facilité et s’est élargi.(…) Il en est résulté une vision plus globale et moins focalisée sur l’acte résistant à proprement parler. La question a été revue suivant des approches nouvelles portant sur les différentes formes de résistances, sur les préoccupations matérielles des habitants de l’île ‘sous l’occupation’, sur les difficultés en matière de ravitaillement liées à l’éloignement et à l’insularité. L’autre face du miroir d’une Corse vichyste et collaborationniste, poursuit Francis Pomponi, a été prise en compte à sa juste mesure (…), le comportement de l’occupant a été vu de manière plus nuancée ; la place géostratégique de la Corse aux yeux des Alliés et de l’ennemi a permis de mieux éclairer l’ultime phase de la libération (…). Et l’historien souligne « la contribution majeure d’Hélène Chaubin à ce travail d’histoire en profondeur et sous des angles différents (…) ».
Mais Francis Pomponi, dans cet article n’aborde qu’incidemment l’historiographie. Le principal de son article, -en fait, le sujet qu’il avait traité lors du colloque de L’ANACR 2B à Bastia, le 3 octobre dernier- est bien dans l’intitulé « Mémoire et Histoire de la Résistance en Corse » et peut-être aurait-il pu écrire Mémoires au pluriel tant il y s’en est manifestées plusieurs depuis la Libération et s’en manifestent encore, portées par les acteurs de la vie sociale et politique. Et ce n’est pas près de finir parce que fait remarquer l’historien Henri Rousso : » Cette période est un vaste vivier de références symboliques où les forces politiques viennent puiser suivant les enjeux et les urgences de l’heure. La Seconde Guerre mondiale, tout comme la Révolution française, parce qu’elles restent des enjeux de mémoire à très haute charge symbolique font ainsi partie des évènements sujets à révision ou réévaluation ». Et en chercheur qu’il est, Francis Pomponi trace la frontière entre ce qui appartient à l’histoire et les mémoires qui en procèdent ; celle-ci certes en rapport avec celles-là, mais néanmoins séparées car « les deux genres n’ont pas la même finalité ». Et de conclure par un tableau synoptique de l’état de l’historiographie de la Résistance en Corse où il y distingue trois courants de pensée.
Le premier, et le plus porteur, principalement attaché à aux travaux d’Hélène Chaubin qui « a su répondre à des questionnements nouveaux sans céder à la mode du moment. Cette forme d’histoire bien balisée se prête à une exploitation didactique et pédagogique dans son contenu comme l’attestent dossiers, fiches médias documentaires ou expositions en jouant un rôle de passerelle avec l’utilisation mémorielle qui peut en être faite ».
Une deuxième ligne historiographique « qui procède d’une démarche plus anthropologique et qui cultive dans une option identitaire la mise à jour de caractères spécifiques du milieu local avec l’intention de mieux rendre compte des attitudes collectives. C’est une voie qui prend du champ par rapport aux approches jugées trop ‘traditionnelles’ et entachées de positivisme ».
Une troisième piste enfin, plus radicale que la précédente mais qui s’y apparente : celle d’une résistance identitaire tendant à accréditer l’idée que ce mouvement intérieur a plus été mû par la volonté de libérer la Corse que d’apporter sa contribution au mouvement général et national de libération de la libération de la France. Le tour en sera plus vite fait, écrit Francis Pomponi, car elle repose sur des bases ténues et relève d’une tentative d’instrumentalisation ponctuelle et téléologique qui a du mal à faire école. »
Du travail en perspective pour les historiens. Et pour l’ANACR 2A aussi, qui fait le choix d’exalter la mémoire fortifiante du meilleur sans jamais verser dans sa mythification ; la mémoire de la Résistance et de ses valeurs dont l’actualité montre de possibles dénaturations ou corruptions.
A.P.