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Archives : éditoriaux « Tous bandits d’honneur »

15 octobre 2011
Edité une première fois au début des années cinquante, le livre « Tous bandits d’honneur » de Maurice Choury n’était plus disponible malgré deux autres rééditions qui ont suivi. A l’initiative de l’ANACR 2A et avec le concours financier de la Collectivité Territoriale de Corse, une nouvelle édition est livrée au public, augmentée d’un index alphabétique et de documents remis par Isaline Amalric-Choury et Hyacinthe Choury, ses enfants. Certes l’historiographie et la recherche ont beaucoup progressé en cinquante ans et éclairent d’un jour nouveau certains faits et jugements que contient le livre mais comme l’écrivait déjà Le Général Fernand Gambiez en postface de la 3ème édition : « Ce livre a gardé toute sa valeur de témoignage intègre. Mieux que les autres ouvrages sur le sujet, il a restitué l’atmosphère de cette période ». Nous publions ci-après la préface de cette nouvelle édition écrite par Paul Silvani, auteur lui-même de « Et la Corse fut libérée » et coordonateur de l’ouvrage collectif « La Corse dans la seconde guerre mondiale »

 

Lorsque François Mitterrand, président de la République, se rend en Corse pour commémorer solennellement le cinquantième anniversaire de la Libération de l’île, notamment entouré du Premier ministre Edouard Balladur et des ministres d’Etat Charles Pasqua (Intérieur et aménagement du territoire) et François Léotard (Défense nationale), il prononce à Ajaccio, le 9 septembre 1993, devant une foule particulièrement dense son premier discours, retransmis en direct par France-3. «La journée du 9 septembre 1943 restera une grande date dans l’histoire de notre pays, déclare d’entrée le chef de l’Etat, car c’est ce jour que fut donné le signal de la libération de la première terre métropolitaine, et d’une libération qui fut l’œuvre des seules Forces françaises, l’œuvre des résistants corses auxquels se sont joints quelques jours plus tard le bataillon de choc du général Gambiez, des troupes marocaines puis des unités venues d’Algérie. C’est ici, à Ajaccio, que tout a commencé, c’est ici que le 10 septembre le soleil se levait pour la première fois sur une ville française libérée ». Mitterrand, qui connaît bien son histoire de France et du monde, évoque le contexte d’indécision des états-majors, l’incertitude sur les intentions de l’ennemi, et rappelle : «c’est la détermination des résistants corses qui a forcé le destin et entrainé avec elle toute la France combattante». Il précise : «c’est ce que nous devons à la détermination d’une poignée d’hommes et de femmes, décidés à ne pas attendre l’événement mais à le faire, leçon qui durera autant que l’histoire des hommes». Avant lui s’était exprimé Arthur Giovoni, qui fut le chef de la Résistance unifiée et, aux premières élections de l’après-guerre, député-maire d’Ajaccio. Une poignée d’hommes et de femmes… Qui étaient-ils, sinon des patriotes sûrs de la légitimité de leur combat pour la liberté et contre les fascismes, qui devaient, pour certains, aller jusqu’au sacrifice de leur vie ? Au nombre de ces patriotes, un homme que rien, au départ, ne prédestinait à jouer le rôle qui fut le sien : le journaliste Maurice Choury, et plus tard historien reconnu, auteur de ce livre, auquel ses enfants et l’ANACR 2A ont tenu à rendre ce suprême hommage que constitue cette quatrième édition.
Maurice Choury était né en 1912. En 1933, fondamentalement hostile à Mussolini et à Hitler, qui vient de prendre le pouvoir à Berlin, il adhère au Parti communiste. Dès 1934, il est le rédacteur en chef de « L’Avant-Garde », journal des jeunes communistes et, en 1936, il défile à Paris avec le Front populaire. A ses côtés, une jeune corse, Vincentella Perini, qui entrera dans l’histoire sous le nom de Danielle Casanova. Ils sympathisent. Maurice fait la connaissance d’Emma, l’une des sœurs de Danielle. Il l’épouse. Elle lui donnera quatre enfants, Marie-Leina, Isaline, André-Daniel et Hyacinthe.Mobilisé en 1939, il est en 1940 fait prisonnier par les Allemands, qui le libèrent quelques mois plus tard en sa qualité d’infirmier. A son retour à Paris, il entre dans la Résistance aux côtés de Danielle. En 1942, il gagne la Corse, berceau de sa belle-famille, et s’engage sans attendre dans les rangs des patriotes. Comme il entend soustraire les siens aux recherches des Italiens, il prend le maquis, tandis que son épouse Emma, qui sera brutalisée par ceux-ci, s’installe dans la région de Vico. Maurice Choury se distingue rapidement aux yeux de ses amis. Au printemps 1943, quand « Bébé » Benielli devient responsable de l’arrondissement de Corte, il le remplace dans celui d’Ajaccio en attendant de se voir également nommé à la tête de celui de Sartène. Dans sa préface, Arthur Giovoni souligne la prise de conscience populaire et l’adhésion au Front national des autres organisations de Résistance après la disparition tragique et héroïque de Fred Scamaroni. Le FN devient ainsi, exemple unique en France, le catalyseur de la Résistance, toutes opinions politiques confondues. Pour tous ces éléments dissemblables, explique-t-il, un seul objectif : « chasser l’envahisseur, ce que l’on a fait avec le Front national libérateur ». Il y fallait, écrit-il, «de l’audace, du savoir-faire et la compétence politique d’hommes comme Maurice Choury». Il avait ces trois qualités fondamentales, auxquelles s’ajoutait évidemment le courage, car il en fallait sous l’occupation dans une île totalement quadrillée : 85 000 italiens, 15 000 allemands, soit 100 000 hommes pour une population de 215 000 habitants, c’est-à-dire un occupant pour deux, la plus forte proportion dans les pays sous la botte
Organisateur hors de pair, Choury travaille avec Jean Nicoli, André Giusti, Henri Maillot, Paulin Colonna d’Istria, Pierre Griffi, « Bébé » Benielli, Jérôme Santarelli, Pierre Pagès, François Vittori et naturellement Giovoni, sans compter d’autres camarades de combat, qui ont également beaucoup compté pour lui, tel le Sartenais Noël Galeazzi. Quelques semaines après le suicide de Fred Scamaroni dans sa cellule de la Citadelle d’Ajaccio, « le réseau FFI est désorganisé par l’arrestation de la plupart de ses adhérents, note Choury, et la Résistance corse en titre aussitôt les enseignements ». Le magistrat François Giacobbi, Archange Raimondi et leurs amis qui ont pu échapper aux rafles, rejoignent le Front national, qui devient ainsi, exemple unique en France, la seule organisation corse de Résistance. A cette époque, les patriotes tirent et diffusent les premiers journaux clandestins, dont «Le Patriote», qui paraîtra au grand jour le 10 septembre 1943 à Ajaccio, sous la direction de Maurice Choury et à Bastia, de Jean Conti.«Les communistes n’ont eu ni la priorité ni l’exclusivité de la Résistance, m’avait dit en 1993 Arthur Giovoni, qui m’avait accordé un long entretien à Paris, dans son petit appartement de l’avenue Philippe-Auguste. Jetés plus tôt que les autres dans la clandestinité, ils ont pu ensuite les initier. En dépit de leur petit nombre, ils ont cependant joué un grand rôle. Avant le débarquement italien (11 novembre 1942), la Résistance était une aspiration bien plus qu’une réalité. Je ne sais pas qui a commencé et d’ailleurs peu importe. Ce que je sais en revanche, c’est que les communistes se sont réunis partout dès ce jour et qu’ils ont ainsi constitué la colonne vertébrale des réseaux». Giovoni a toujours su faire preuve de modestie. Et Choury tout autant, qui a toujours fait la part belle à tous ses camarades de combat quelle qu’aient été leurs opinions politiques. Celles et ceux qui ont lu les premières éditions de « Tous bandits d’honneur » ou qui – plus nombreux encore, je l’espère – liront la présente ne manqueront pas d’en faire le constat. Après l’arrestation de Jean Nicoli, un rôle très important lui est confié. Il devient le responsable à l’armement, détermine avec les hommes des réseaux disséminés dans les villages les terrains de parachutages d’armes, qui deviennent réguliers à partir de la fin juin 1943, et coordonne les transports par sous-marins. Problème posé au Délégué : « un plateau ou une cuvette de 200 m. x 100 m. fait parfaitement l’affaire, mais il ne faut pas l’aménager trop loin des villages si l’on veut arriver à temps pour l’opération, car le message («personnel») transmis sur les ondes de Londres ou d’Alger annonce la visite des avions pour la nuit même». Suivant la région, le terrain porte un nom de mammifère, d’oiseau, de poisson, de reptile ou de fruit correspondant au «message personnel» choisi et communiqué à Alger par Annibal – c’est le pseudonyme de Choury – ou exprime les besoins des patriotes : «Envoyez bombes à retardement, explosifs, bombes antichars, pistolets sur Perche, chaussures, vivres, brassards tricolores avec tête de Maure partout». Infatigable Annibal!… 11500 hommes seront ainsi armés. Mais il voudrait aller encore plus vite. Le 27 juillet, au lendemain de la chute de Mussolini, il écrit aux responsables du Front national, il attire leur attention sur l’évolution de la situation, expliquant qu’à son avis il faut déclencher sans attendre l‘insurrection libératrice en s’assurant le concours des Italiens antifascistes. Les raisons sont pour lui évidentes ; les arrestations se multiplient (on en dénombrera au total 474), les Allemands arrivent, s’installent dans la région de Sartène et occupent les aérodromes de Ghisonaccia et Borgo. Il ne sera pas entendu en raison du veto d’Alger. Mais ce ne sera que partie remise, et couronnée de succès. C’est cette véritable épopée que conte Maurice Choury. Son talent d’écrivain, son art de savoir simplifier les choses, de restituer son sens à l’histoire et, souvent, à l’héroïsme valaient bien ces quelque 300 pages et le titre – glorieux – de « Tous bandits d’honneur ».
Paul Silvani

Le livre est en vente au prix de 15 € (12 €+ 3 € pour les frais d'envoi).
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