Les anniversaires décennaux sonnent comme les carillons de la mémoire fait remarquer l’historien Henri Rousso. En cette année 2010, c’est celui de «l’an 40», qui a résonné en France, en contradiction avec la boutade qui a couru depuis, selon laquelle «on s’en fiche comme de l’an 40», pour dire le peu d’intérêt qu’on porte à telle chose ou à tel évènement. «S’en ficher de l’an 40» ? Impossible tant le chaos de la défaite affecta tous les Français, par delà leurs divergences de vue sur les causes de ce cataclysme. Alors, volonté d’oublier le traumatisme vécu en traitant l’évènement par la dérision ?
A l’impossible indifférence ou à la malsaine attitude du refoulement que recèle cette boutade, préférons celle du dépassement qui s’instruit du passé et ce faisant s’en libère pour consacrer la mémoire aux tâches présentes. Saluons donc l’intérêt que les médias (1) ont porté à cet anniversaire pour donner à comprendre les causes de la défaite militaire du pays (2) et ses lourdes conséquences. Défaite militaire précédée des défaites diplomatiques subies par les démocraties qui ne se sont pas opposé, ou si peu, aux agressions et annexions répétées des régimes fascistes et nazis quand il était encore temps. Défaite militaire précédée de concessions, voire de compromissions idéologiques face au pouvoir de séduction de l’idéologie national-socialiste qui instillait la société française après la Première guerre mondiale. L’historien Zeev Sternhell a démontré amplement comment la «tradition universaliste et individuelle bien ancrée dans la Révolution française, rationaliste, démocratique, à facette libérale ou jacobine, qui a été depuis la fondation de la 3ème République et jusqu’à l’été 40 la tradition dominante», comment elle n’a pas résisté à cette autre tradition française «particulariste et organiciste qui s’exprime dans une variante locale de nationalisme biologique et racial, très proche de la tradition volkish en Allemagne.» (3). Avant lui, dès 1927, l’essayiste Julien Benda, avait dénoncé la non-résistance des élites du pays et pressenti la catastrophe dans un essai d’une précoce lucidité, intitulé «La trahison des clercs» (4). «Les hommes, écrit-il, dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées comme la justice et la raison, ont trahi cette fonction au profit d’intérêts pratiques.»
Voilà ce que fut la défaite et le défaitisme des tenants de la «Révolution nationale» qui menèrent certains ensuite à la collaboration avec l’ennemi. C’est le souvenir douloureux du pire. Mais il y a aussi la mémoire gratifiante du meilleur, celle qui nous élève et nous porte. Le souvenir de l’Angleterre seule face à Hitler, le souvenir de «L’appel du 18 juin», prophétique, lancé depuis Radio Londres par le général de Gaulle. Soixante dix ans après, cette «année 40», avec ses deux versants -Défaitisme et Collaboration d’une part, Résistance d’autre part-, méritait bien l’attention qu’y a portée le pays. Pour rendre hommage à ceux qui ont sauvé l’honneur. Mais pas seulement pour se souvenir. Pour prévenir aussi, pour nous instruire de ce que fut l’esprit de Résistance parce que …«Face au discours récurrent sur l’inéluctable, face à l’absence décrétée de toute alternative, la Résistance vient rappeler aux femmes et aux hommes la légitimité du refus et la liberté de penser et d’agir» (5). Rappel utile pour les citoyens d’aujourd’hui et de demain.
Antoine POLETTI
- France Culture mérite une mention spéciale pour y avoir consacré de nombreuses émissions avec des documents d’archives de qualité et de nombreux historiens.
- S’il ne fallait lire qu’un livre sur le sujet c’est celui de Marc Bloch « l’étrange défaite » (Folio Histoire) qu’il faut préférer.
- « Ni droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France » p.12 (Edition complexe)
- « La trahisons des clercs ». (Les cahiers rouges. Grasset)
- Extrait de l’avant-propos du « Dictionnaire historique de la Résistance » édité par R. Laffont. Collection bouquins P.IX)