Aussitôt réglé le sort du syllogisme « Pas de Juif déporté de Corse », donc « La Corse, île juste », surgit un autre raccourci (Corse-Matin 31 mai 2010) tout aussi contestable : « Les Corses sont gaullistes dès 1940 » parce que les Corses étaient italophobes, donc anglophiles, donc gaullistes. Encore un d’excès d’honneur immérité. Qu’on nous rende justice en nous laissant « l’honneur » (et la fortune) d’avoir été « le premier morceau libéré de la France », selon les propres termes du Général de Gaulle. Qu’on dise que cette libération a été consécutive à une insurrection des partisans précédant de quelques jours l’arrivée de l’armée, fait plutôt rare dans tout le pays pour être mentionné. Ca suffirait à la légitime fierté des résistants corses d’avoir ouvert la voie en France.
Le fait qu’aucun Juif n’ait été déporté de Corse durant « Les années noires » ne suffit pas à revendiquer le titre « d’Ile Juste ». Le fait méritait tout simplement d’être signalé… jusqu’à ce qu’un historien perspicace, Louis Luciani, trouve, aux Archives départementales de la Corse-du-Sud, la preuve du contraire : un Juif allemand, Ignace Schreter, qui s’était réfugié en Corse, a été arrêté le 30 septembre 1942, avant même l’arrivée de l’armée italienne d’occupation, le 11 novembre 1942. Schreter a ensuite été déporté et au camp de Sobibor où il a péri. (Corse-Matin 31.05.2010)
C’est dire, que ce n’est pas sous la pression de l’occupant que cet homme a été arrêté mais bien sous la responsabilité de la préfecture de Corse. Pas celle du préfet Balley . Non, mais celle de son secrétaire général, un certain «André M.» qui a vraisemblablement profité de l’absence momentanée de Balley pour assouvir sa haine contre le judéo-bolchevique-étranger (quintessence du proscrit) épargné jusqu’à cette fatidique absence du préfet Balley qui protégeait les Juifs. Au grand dam des Doriotistes du P.P.F., Paul Balley était pétainiste mais pas antisémite. Ce fut heureux pour les Juifs en Corse.
«La Corse île juste » ira donc rejoindre les vieilles lunes. Pour autant, on n’en a pas fini avec les simplismes. Ces raccourcis qui font peu cas de la vérité avaient fait déduire à certains que «pas de déportation» donc «La Corse, Ile Juste». Voilà ce simplisme à peine balayé qu’en surgit un autre sous le titre d’un article publié par le Corse-Matin du 31.05.2010 : «Les Corses sont gaullistes dès 1940». On nous explique dans cet article (non signé) que les Corses craignant l’annexion de l’île par Mussolini étaient italophobes donc anglophiles, donc gaullistes. Les Corses se seraient «ralliés à sa cause [Celle de De Gaulle] plutôt qu’à celle du maréchal Pétain». Voire !
En 1940, la grande majorité des habitants de l’île exprime sa confiance à Pétain (voir page d’histoire) ; un pétainisme actif pour les plus enjoués et un pétainisme passif, non dénué d’ambivalence parfois, fait remarquer Ange-Marie Filippi-Codaccioni (voir page d’histoire) : Pétain perçu comme le bouclier qui protège la France et De Gaulle comme l’épée qui la libèrera. Le maire d’Ajaccio, Dominique Paoli, est à classer parmi les enjoués. Après que de Gaulle ait été condamné à mort par Vichy, dans un communiqué en date du 19 août 1940, il met en garde contre les « Voix d’Outre-manche [qui] viennent chaque jour nous engager à nous désolidariser de l’oeuvre entreprise par le gouvernement […]. Ecouter ces voix et s’en faire l’écho c’est trahir sa vraie patrie ». Il dénonce « L’attitude ignominieuse de notre ex-alllié […]. Crier Vive l’Angleterre, c’est crier à bas la France ». Lui, restera fidèle jusqu’au bout au maréchal. Mais au fil des mois qui suivent, l’escroquerie du maréchal au patriotisme trompera de moins en moins de monde. Et en attendant que les yeux se dessillent, la Légion Française des Combattants, organisation toute à la dévotion de Pétain, créée en août 1940, comptera en mars 1941, jusqu’à 18 000 adhérents (hommes) sur une population corse de 220 000 habitants. Cela suffit à briser le cliché d’une Corse toute gaulliste dès 1940. Il y eut bien des actes courageux de refus de la défaite mais, tous comptes faits, ils étaient peu nombreux les partisans de De Gaulle dans le chaos de l’été 40. En avait-il même entendu parler ? Pas plus nombreux les gaullistes en Corse que sur le continent, d’ailleurs. Leur engagement précoce et minoritaire n’en est que plus méritoire. Rappelons, entre autres, celui du commandant Pietri, l’auteur d’un appel aux Corse en juillet 1940, celui de Paul Giacobbi qui refusa les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 à Vichy, celui de Fred Scamaroni et du Colonel Colonna d’Ornano sur les sables d’Afrique qui ont été le levain de la France libre (1).
La Corse n’est pas l’Ile de Sein (2). Ca n’a pas empêché nos compatriotes de tenir un rang honorable dans ce qui fut l’épopée de la France libre, et la Corse d’avoir l’honneur (et la fortune) d’être « le premier morceau libéré de la France ». Il nous suffirait que ce fait soit reconnu pour rendre justice à la Résistance corse (3)
Antoine POLETTI
- Sur le site de l’Ordre de la Libération nous avons recensé 13 compagnons nés en Corse et 4 autres issus de parents corses et ayant gardé des attaches avec la Corse (Sur un total de 1038 compagnons). Une majorité d’entre eux était FFL.
- Cette petite île bretonne de 56 ha comptait 1 400 habitants en 1939. 114 îliens rejoindront le général De Gaulle du 19 au 26 juin. Il sera décerné à l’île le titre de «Compagnon de la Libération».
- Le député de Haute Corse, Monsieur Gandolfi-Scheit a obtenu une réponse positive à sa demande pour que la précoce libération de la Corse ne soit pas oubliée dans les livres scolaires. Voir aussi notre position sur le sujet.