Il avait un beau titre le programme des Résistants : « les jours heureux ». Il était le résultat d’un compromis né entre tous les mouvements de Résistance luttant contre l’occupant et les principaux partis politiques. Il affichait de hautes ambitions. Son premier président fut Jean Moulin, délégué du général de Gaulle
Outre Jean Moulin et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, (‘1) ont participé à la réunion du 27 mai 1943 : les représentants des huit grands mouvements de Résistance, les représentants des deux grands syndicats d’avant-guerre (CGT – CFTC) et les représentants des six principaux partis politiques de la Troisième République (PC,SFIO, Radicaux, Démocrates chrétiens, la droite modérée et laïque : Alliance démocratique et la droite conservatrice etcatholique : Fédération républicaine.) Cette réunion aura une importance politique considérable, ainsi que l’expose Robert Chambeiron ; « les Américains ne peuvent plus douter de la légitimité de De Gaulle. La France devient un pays allié à part entière et, à ce titre, sera présente lors de la capitulation des armées nazies, le 8 mai 1945. Les Alliés doivent abandonner leur projet d’administrer eux-mêmes la France au fur et à mesure de sa libération. La France sera, lors de la création de l’Organisation des Nations unies, l’une des cinq grandes puissances à occuper un siège permanent au sein du Conseil de sécurité. »
Peu après la création du CNR, Jean Moulin est dénoncé. Capturé par les SS, il décède pendant son transfert vers l’Allemagne, après avoir été torturé pendant trois jours par Klaus Barbie. Son mutisme empêche les nazis de démanteler le CNR. Par sécurité, les séances plénières sont remplacées par un bureau exécutif de cinq membres, chaque membre représentant son propre courant et deux autres courants. Le 15 septembre 1944, Louis Saillant lui succède à la tête du CNR. Le CNR charge un Comité général d’étude de préparer une plate-forme politique pour la France d’après la Libération.
Adopté le 15 mars 1944 après plusieurs mois de négociations, le programme du Conseil national de la Résistance est très empreint de rénovation sociale économique et politique. Parmi les mesures envisagées et appliquées à la Libération, citons la nationalisation de l’énergie, des assurances et des banques, la création de la Sécurité sociale. Ces actions ont constitué jusqu’à aujourd’hui une grande partie des acquis sociaux de la seconde partie du XXe siècle.
Il est difficile de situer avec précision la date des premières initiatives ayant conduit à la création du C.N.R. Dès le début, la Résistance est fragmentée, mais, pour vaincre, il faut être uni. Le véritable tournant de la Résistance se situe le 27 mai 1943, quand Jean Moulin réunit le » Conseil National de la Résistance », le but est atteint l’unité est totale. Dès ses premiers moments, le C.N.R se place sous l’autorité du Comité Français de Libération Nationale (CFLN), gouvernement provisoire que préside le général de Gaulle. Le mois de mai 1943 fut retenu pour la réunion constitutive. L’accord politique étant réalisé, il ne restait plus que la réunion à organiser. Paris était la véritable capitale de la Résistance : les responsables au niveau le plus élevé y résidaient. La date du 27 mai avait été communiquée à chacun, mais seuls Jean Moulin, Pierre Meunier et Robert Chambeiron connaissaient l’adresse. Cette réunion a été la plus importante dans l’histoire de la Résistance, et aussi la plus périlleuse en raison de la qualité des participants tous recherchés par la police. Elle fut relativement brève : sécurité oblige. Jean Moulin rappela les buts de la France Combattante tels que les avaient définis de Gaulle. Le représentant des Chrétiens-Démocrates Georges Bidault présenta une motion qui fut adoptée à l’unanimité et qui soulignait la volonté de la Résistance de voir se constituer à Alger un gouvernement présidé par le Général de Gaulle Tout se déroula dans une atmosphère d’unité patriotique et de dignité.
Le programme du C.N.R (Les jours heureux) n’est pas né dans une nuit. Plusieurs textes ont été examinés, provenant de l’une ou de l’autre des parties engagées. Le texte adopté en mars 1944 a comme vertu de mettre en cohérence la volonté de lutte et l’exigence de la société post-libération. Pas question de voir revenir sur le devant de la scène les hommes et les forces de la collaboration qui ont pillé le pays et brisé les institutions républicaines. Une large gamme de mesures à appliquer après la Libération est définie. Ce qu’il faut retenir, c’est que cette partie du programme répond à la volonté de changement exprimé par la Résistance de bâtir une société plus juste, plus solidaire, plus démocratique, plus ouverte.
Le programme adopté à l’unanimité, en mars 1944, par le C.N.R est l’expression de la volonté de la Résistance de participer pleinement -c’est à dire de ne pas être une force d’appoint – à la Libération du pays, en liaison avec l’armement allié. C’est un programme de caractère progressiste, qui comporte toute une série de mesures sur les plans politique, économique et social, mesures que de Gaulle avait évoquées dans son discours d’Alger en novembre 1943 : la France « veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes, sources de la richesse nationale échappaient à la nation, où les activités principales de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs et de techniciens dont, cependant, elle dépendait. Elle veut que les biens de la France profitent à tous les français, que sur ses terres, pourvues de tout ce qu’il faut pour procurer à chacun de ses fils un niveau de vie digne et sûr, il ne doit plus se trouver un homme ni une femme de bonne volonté qui ne soit assuré de vivre et de travailler dans des conditions honorables de salaire, d’alimentation, d’habitation, de loisirs, d’hygiène, qui ne puisse faire instruire ses enfants. »
C’est un programme qui correspond au rapport des forces du moment et n’aborde que ce qui est susceptible de rencontrer l’unanimité des forces de la Résistance. Il a donc ses limites et l’absence, par exemple, de référence au droit de vote des femmes est caractéristique des oppositions formulées par certains secteurs de la Résistance. Mais la question doit être resituée dans le contexte d’il y a plus de 60 ans. Ce qui est intéressant à noter, et c’est là un des aspects de la portée historique du programme du C.N.R, c’est qu’aux élections législatives qui suivirent immédiatement la Libération, les femmes votant pour la 1ère fois, tous les partis politiques sans exception, de la gauche à la droite, firent leur le programme du C.N.R. Il correspondait donc bien à la sensibilité de l’époque.
De la victoire sur l’Allemagne hitlérienne de mai 1945 à mi 1947, les conditions ont été favorables pour la mise en oeuvre d’un grand nombre de dispositions contenues dans le programme du C.N.R : l’institution de la Sécurité Sociale, la nationalisation des grands groupes de l’énergie, du transport et du crédit, la loi sur l’assurance-vieillesse, la Constitution de la IVe République, la loi sur les Comités d’entreprise, sur les conventions collectives, sur le salaire minium vital, etc. Le Conseil National de la Résistance est alors au coeur de la vie publique. Mais les espoirs nés de la Résistance vont malheureusement céder la place aux tensions de la guerre froide. La désunion des pays hier alliés dans le combat contre l’idéologie criminelle du nazisme se répercutera dans les relations entre Résistants. Des fractures graves vont affaiblir le courant d’union né dans la Résistance. La guerre froide marque un recul dans le progrès que contenait en germe le programme du C.N.R. Peut-on dire que le programme du C.N.R a conservé son caractère d’actualité ? La réponse est oui. Bien sûr, il ne s’agit pas d’en réclamer la mise en application mécanique. La situation n’est plus la même. Mais les valeurs de caractère universel qu’il contient demeurent : la démocratie, la justice sociale, la solidarité, la tolérance, l’indépendance nationale. A une époque où sont remises en cause ces valeurs de la Résistance, c’est-à-dire celles de la République et où les négationnistes s’emploient à pervertir la réalité de l’histoire, la sauvegarde de ces valeurs est un devoir indispensable.
(Président-délégué de l’ANACR, aujourd’hui le seul à pouvoir témoigner de la préparation et du déroulement de la réunion constitutive du « Conseil national de la Résistance » )
Maryse Georges