Depuis vendredi 10 décembre, une salle du Ministère de l’Intérieur, place Beauvau, porte le nom de Renée Périni-Pagès qui fut une des figures féminines de la Résistance insulaire (Lieutenant FFI, Croix de guerre, médaille de la Résistance). L’ initiative en revient à Marlène Schiappa, la ministre déléguée à la citoyenneté, qui tenait « à réparer un oubli de l’histoire » : le rôle des femmes dans la Résistance et surtout leur droit de vote et d’éligibilité qui fut enfin reconnu à la Libération. Qui mieux qu’elle pour symboliser cette avancée démocratique puisque Renée Périni-Pagès fut la première femme à siéger dans un conseil municipal républicain ? Pour la cérémonie de l’inauguration, la ministre avait invité les deux petites-filles du Renée et Pierre Pagès, Leila et Hélène de Comarmon -cette dernière, maire de Cachan dans le Val-de-Marne. Étaient présents aussi Gilles Siméoni, président de l’exécutif de la Collectivité de Corse et Pierre Laurent, ex-secrétaire du Parti communiste, le parti de Renée et Pierre Pagès.
Première femme à siéger dans un conseil municipal républicain.
Sans pour autant minorer le rôle de la Résistance en arme, l’historiographie, depuis quelques décennies, accorde une plus grande attention à la résistance civile – celle des femmes notamment- sans laquelle la résistance militaire n’aurait pas pu s’inscrire dans la durée. Renée Périni-Pagès, en digne sœur de l’héroïne et martyre Danielle Casanova, née Périni, son aînée, y a tenu toute sa place auprès de son époux Pierre Pagès, lui, membre de la troïka qui lui dirigeait le PCF clandestin. Mais le choix de Marlène Schiappa a été dicté principalement par le fait que Renée fut la première femme (élue à mains levées) à siéger dans un conseil municipal républicain. C’était à Ajaccio, dans la première ville de France libérée. Oh, certes « l’idéologie viriliste officielle de l’ État Français »1Simon dell’Asino. Le suffrage des femmes et la Résistance. Retour sur un débat oublié. www.cairn info, consulté le 17.12.2001 avait déjà admis la présence d’une femme (désignée) dans les corps municipaux désignés2Le 2 décembre 1940, est promulguée au J.O. la loi du 16 novembre « portant organisation des Corps municipaux. Ce dernier doit compter en son sein : un représentant de famille nombreuse, un représentant des groupements professionnels et « une femme qualifiée pour s’occuper des œuvres privées d’assistance et de bienfaisance nationale » mais avec un rôle bien spécifié et bien encadré : « personne qualifiée pour s’occuper des oeuvres privées d’assistance et de bienfaisance nationale. » Pourtant, ce que la mémoire a retenu de la période ce n’est pas ce geste condescendant et paternaliste du régime de Vichy – « Travail, Famille, Patrie » – mais, à juste raison, le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes, inscrit dans la constitution de la IVème République.
D’ âpres débats au sein de la Résistance.
Enfin reconnu ce droit ! Mais ce qu’on sait moins, ce sont les réticences, les obstacles qu’il a fallu vaincre, au sein de la Résistance elle-même, pour le faire adopter. Principaux opposants : les radicaux. Sous la IIIème République, où ils exerçaient une grande influence politique, les radicaux ont toujours freiné des quatre fers. Et ils ont continué à s’y opposer avec obstination dans les organes de la Résistance chargés d’élaborer une constitution pour la future république, la IVème du nom.
Le Conseil National de la Résistance avait dû se plier au veto des opposants parce que les décisions ne pouvaient se prendre qu’à l’unanimité. Mais heureusement que telle n’était pas la règle de fonctionnement de l’Assemblée consultative provisoire d’Alger (A.C.P.) ; les décisions y étaient prises à la majorité. Et quand la commission chargée de préparer une réforme de l’ État et ses institutions, présidée par Paul Giacobbi3Plus précisément un sous-commission ad’ hoc : le Comité général d’expert (C.G.E.), présidé par un radical Paul Bastid, présenta son projet avec une vague promesse d’émancipation pour les femmes, une voix s’éleva pour proposer un amendement introduisant le droit de vote et l’éligibilité des femmes à toutes les élections : c’était la voix de Fernand Grenier, membre de l’assemblée qui avait été député communiste avant d’être destitué par le gouvernement de Vichy.
Le résultat du vote des membres de l’A.C.P. , réunis le 21 mars 1944, tranche définitivement : 51 voix pour et 16 voix contre. Le vote des trois représentants de la Corse sont partagés : parmi les votes favorables, celui d’Arthur Giovoni (communiste) ; parmi les opposants, Paul Giacobbi (radical) et Henri Maillot (cousin du général de Gaulle). Faut dire que ces derniers sont sans doute plus en accord avec l’opinion corse du moment que ne l’était Arthur Giovoni. Même parmi les communistes, s’expriment des voix discordantes. Pour ceux-là -elles surtout-, le droit de vote est vain (un droit formel) si la priorité n’est pas donnée à l’amélioration de la condition féminine (un droit réel)4On en trouve l’expression dans le journal Femmes de Corse de L’Union des Femmes Françaises, d’obédience communiste, qui tire à plusieurs milliers d’exemplaires. C’est aussi au nom de l’universalisme que la distinction femmes-hommes est récusée. Dans un article intitulé « Émancipation de la femme ou féminisme ? », signé Cinarella, les féministes y sont accusées de « cloisonner l’humanité en deux groupes rivaux [hommes-femmes] au lieu d’avoir de larges perspectives, [et] de préconiser l’amélioration de la race humaine par la collaboration totale et saine de tous ses éléments. ». Mais peut-être exagère-t-il l’écrivain Dominique Sampieri quand il décrit dans son roman, Eté 435Dominique Sampieri. Eté 43. Ed. Les presses du Midi. 2004., « l’étonnement et la consternation » de la foule rassemblée devant la mairie d’Ajaccio à l’annonce de la désignation de Renée Périni-Pagès pour siéger au Conseil municipal et à l’Assemblée départementale ? La « consternation », c’est vraisemblablement exagéré mais « l’étonnement » ça ne fait pas de doute. C’est vrai que s’il y avait eu un réel engouement pour le droit de vote et d’éligibilité, peut-être que Renée Périni-Pagès n’aurait pas été la seule femme proposée par le Front national pour siéger au conseil municipal. Mais l’important était d’ouvrir une brèche.
Avec Renée Périni-Pagès, la Résistance ouvre une brèche
On sait l’écho que la libération précoce de la Corse a eu dans les maquis du continent et parmi le cercles dirigeants de la Résistance ; « J’en fus saisi d’une émotion religieuse » dira Mendès-France. On sait aussi en quoi la libération de l’île en septembre et octobre 1943 a contribué à l’élimination politique du général Giraud au profit du général de Gaulle. Mais sait-on la valeur d’exemple qu’a eu l’élection de Renée Périni-Pagès pour siéger dans un conseil municipal et départemental ? Outre l’écho de la nouvelle qui se propagea dans les maquis, cette décision à influencé l’ A.C.P. à Alger en faveur du vote des femmes et ouvert une brèche. C’est ce que souligne l’étude de Simon dell’ Asino qui nous éclaire sur ces âpres débats qui ont eu lieu à Alger autour de cette évolution sociétale et sur l’influence de l’initiative de la Résistance insulaire :
« La libération de la Corse entre septembre et octobre 1943 leur offre [aux communistes] l’occasion d’une puissante mobilisation. Les communistes présents sur place au sein du Front national choisirent de forcer la main des institutions résistantes en organisant dans toutes les municipalités des élections à mains levées afin de renouveler les conseils municipaux nommés par Vichy. À cette occasion, non seulement les femmes votent, mais elles sont aussi élues. C’est le cas de Renée Pagès-Perini, belle-sœur de Danielle Casanova décédée quelques mois plus tôt. Le retentissement est national et contribue à affaiblir la position du CGE et du Parti radical. La Ménagère Parisienne titre ainsi « Vive la Corse » et note que « dans chaque village […] [on] réclama la présence d’une femme dans les nouveaux organismes d’administration ». L’Aurore, journal clandestin de Paul Bastid [radical], lui, refuse d’évoquer les événements corses. Cette mobilisation donne un nouveau poids aux propositions suffragistes et contribue à isoler l’opposition des radicaux avant que l’Assemblée consultative provisoire d’Alger ne se penche sur le sujet. »
En ce printemps 1944, le droit de vote et d’éligibilité des femmes est acté. Mais après ? Il faudra encore des décennies pour que les femmes occupent la place qui leur revient dans la société. Et le combat continue.
Antoine Poletti
La Résistance des femmes en Corse – ANACR 2A (resistance-corse.asso.fr)