Quel rapport pouvait bien entretenir Raphaêl Esrail avec la Corse pour que Corse-Matin du 22 janvier, par la plume de Véronique Emmanuelli, se fasse l’écho de sa mort survenue le 22 janvier dans les Côtes-d’Armor ? La réponse allait de soi pour ceux qui lui sont reconnaissants d’être venu témoigner, en sa qualité de président de Union des Déportés d’Auschwitz1L’UDA née en 2004, regroupe autour de l’ancienne « Amicale d’Auschwitz » créée en juin 1945, plusieurs autres associations de survivants, liées au complexe concentrationnaire : l’Amicale des Anciens Déportés Juifs de France, l’Association Nationale des Anciens Déportés Juifs et leurs Familles, l’Amicale des Déportés de Blechhammer – Auschwitz III et l’Amicale des Anciens Déportés de Buna – Monowitz.lui qui avait connu l’enfer des camps d’Auschwitz-Birkenau et Dachau. Et coïncidence, Raphaël Esrail est mort à quelques jours près de l’anniversaire de la commémoration de La Shoah à Auschwitz Birkenau.
« Contre l’obstination du crime, celle du témoignage ! » disait Albert Camus. Et ce devoir de témoigner l’avait amené à Ajaccio, à l’invitation de l’Association Sportive et Culturelle de San Benedetto (Alata) ; c’était en mai 2013. A Ajaccio, à l’annonce de sa mort, on s’est souvenu des rencontres avec les scolaires et des cérémonies avaient ponctué le séjour Raphaël Esrail à Alata et dans la cité impériale. Neuf ans plus tard, à l’occasion de sa mort, il est opportun de rappeler encore, encore et toujours, obstinément, que l’antisémitisme est un mal dont il était illusoire de croire que la victoire des armées en 1945 aurait pu nous en guérir une fois pour toutes. Au contraire, le constat est cruel : la nocivité de l’antisémitisme, toujours latent, a été exacerbée ces dernières décennies par l’importation du conflit israélo-palestinien, et plus conjoncturellement, par les mesures contre les restrictions sanitaires. En France, une récente étude de l’ IFOP révèle que plus de 2/3 des juifs en France disent avoir subi des moqueries ou vexations, 1/5 d’avoir été victimes d’agressions physiques. Pourtant, « Il fut un temps pas si lointain, constatait déjà Simone Veil il y a dix sept ans – et ça a empiré depuis – , où un seul des actes qui à présent sont commis par centaines contre les juifs de France, aurait suscité l’indignation immédiate, collective, voire unanime, de la société française. […] Ce temps n’est plus : c‘est un fait. Il n’est pas exceptionnel qu’aujourd’hui, sur le sol de la République française, un juif n’ait à souffrir de ce qu’il est »2Simone Veil. Discours de Mme Simone Veil pour la conférence. Conférence sur l’antisémitisme. Berlin 28-29 avril 2004.
Certains clichés ont la vie dure puisque, toujours selon l’ l’IFOP, 30 % des Français estiment que les juifs sont plus riches que la moyenne des Français, et 1/5ème qu’ils ont trop de pouvoir, dans les finances et les médias notamment. Dans ce bouillon de culture antisémite, il arrive parfois que la bulle puante fasse surface, explose et se manifeste alors de la façon la plus violente qui soit : le crime, le vieux crime antisémite qui a traversé les siècles. « La vérité dont il faut être conscient, disait encore Simone Veil, – c’était pourtant avant même tous les crimes antisémites qui ont suivi depuis 2004 – c’est que la France traverse une vague d’antisémitisme. La vérité, c’est aussi que cette vague n’est à aucun degré, à aucun titre, comparable avec la déferlante de haine qui envoya à la mort soixante seize mille juifs de France. »3Ibid. Simone Veil. Mais il faut continuer à témoigner comme le faisait Raphaël Esrail parce que « la mémoire de la Shoah n’est pas seulement une obligation de respect et de fidélité envers les morts, mais aussi un devoir de vigilance envers les vivants »4ibid Simone Veil. Et celle qui aujourd’hui repose au Panthéon concluait par la réponse à cette question toujours d’actualité : comment mettre fin à cette recrudescence de l’antisémitisme ? « D’abord, en choisissant de renforcer le modèle républicain plutôt que d’importer le conflit proche-oriental. Ensuite, en étant juste. C’est-à-dire en parlant de la République française avec la reconnaissance que lui doivent tous ceux qui ont appris à aimer ses valeurs et son langage de liberté : valeur de tolérance mais aussi de fermeté à l’égard de ceux qui les bafouent, et de fraternité envers ceux qui les respectent »5bid. Un rappel utile pour les candidats à l’élection présidentielle.