A l’initiative de l’ONACVG de Corse-du-Sud et de l’ANACR 2A, trois classes du collège de Propriano et une du collège de Baléone (Ajaccio), environ 90 élèves au total étaient réunis ce mercredi 19 octobre dans la salle de spectacle du centre de vacances de la CCAS de Porticcio pour assister à la projection de « La vague ». Le film du réalisateur allemand Dennis Gansel est tiré du livre de Todd Strasser, lui-même inspiré de l’expérience d’un professeur californien avec sa classe de première : comment expliquer à ses élèves que ce qui est advenu lors de la seconde Guerre mondiale n’est pas un accident de l’histoire dont on aurait tiré les leçons pour qu’il ne se reproduise plus, une parenthèse refermée. Et que la folie sanguinaire des dictateurs, que le régime totalitaire qu’ils avaient installé n’a pu s’inscrire dans la durée qu’avec l’adhésion, le consentement ou, pour le moins, l’indifférence coupable à l’égard de leurs crimes. L’avènement au pouvoir de dictatures, d’abord c’est vrai par la violence et la persécution à l’encontre de ses opposants – gloire à eux ! -, mais aussi avec l’assentiment coupable d’une large majorité de leur peuple. « Par forza e par amore » dit l’adage corse.
Le réalisateur a voulu montrer avec ce film que l’esprit d’attroupement, l’instinct grégaire est rendu possible dans des périodes de tension ou de crises. Que les conditions socio-politiques s’y prêtent et l’individu est alors plus facilement enclin à sacrifier son individualité, à taire son sens critique pour renforcer la cohésion du groupe – la classe dans le film – ou sa communauté réelle ou supposée. Plus encore : à exiger des autres qu’ils en fassent autant pour ce qu’ils pensent être la condition de la survie du groupe ou de la communauté. Ou plus simplement pour sortir vainqueur face à ses adversaires puisque l’union fait la force. « Un entre-nous, fait remarquer Pascal Ory, c’est toujours un contre-eux qui ne dors que d’un œil, toujours prêt à se réveiller au moindre empiètement ». Pas le choix : si tu n’es pas avec moi tu es forcément contre. Pas d’espace de dialogue possible avec ce raisonnement binaire ! Et pour prévenir tout état d’âme d’un affidé qui serait tenté par sa conscience de percer la chape totalitaire, Hitler avait prévenu : « La conscience est une invention juive ». Juif ? donc rédhibitoire.
Ce sont ces ressorts psycho-sociologiques qui font la fortune des régimes totalitaires. A l’entrée du camp de Dachau, le premier camp du régime nazis pour les opposants, le message de l’enseigne était clair « Tu n’es rien, le peuple est tout ». Dans l’Italie fasciste, un des slogans de Mussolini demandait aux Italiens d’abolir leur faculté de raisonnement pour accomplir un acte de foi dans sa personne et le fascisme : « Credere, obedire et combattere » (Croire, obéir et combattre). Ce fut pour le malheur de leurs victimes, et en définitive pour les peuples eux-mêmes qui ont cédé à leur charisme et à la séduction de leur idéologie mortifère.
En poussant son expérience jusqu’au bout, Rainer, le professeur a certainement convaincu ses élèves. Mais à quel prix ! Dans la salle de la CCAS, le silence observé par les élèves, à peine rompu par quelques réactions suscitées lors de certaines scènes, autorise à dire que l’auditoire était attentif. Le (trop) court débat qui a suivi l’a confirmé. Mais il ne s’est sans doute pas clos à Porticcio ce 19 octobre.
A.P.