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1942-1943. Occupation, Résistance, LibérationDossiersEvénements Sous l’occupation, une gendarmerie vraiment républicaine

20 juin 2024
Ecusson 2024 gendarmerie en Corse

 

Le lieutenant-colonel Susini, commandait en 1946 la Légion de gendarmerie de la Corse. Pour le Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale, il a rédigé une note sur l’action de ce corps sous l’occupation. En voici le texte intégral, tel qu’il figure aux archives départementales de la Corse à Ajaccio.

Dès le début de l’occupation, le commandement italien se rendit compte que, à l’instar de la population civile, la gendarmerie lui était sourdement hostile. Au mois de décembre 1942, il lui enleva, par la force, ses armes automatiques, ne lui laissant que son armement individuel avec quelques munitions. Et peu de temps après, il fit enlever, également par la force, les armes déposées par les civils dans les casernes de gendarmerie, armes qui n’ont plus été restituées à leurs propriétaires. 1C’est sur ordre de l’occupant que le préfet avait prescrit à la gendarmerie de faire remettre par les habitants de l’île toutes les armes en leur possession. L’application de cette mesure fut, dans les faits, très limitée. D’une part, les gendarmes avaient conseillé aux Corses de ne présenter que des armes hors d’usage ; d’autre part, les armes en état avaient été mises en lieux sûrs par leurs propriétaires, pour être sorties au jour « J ». Les armes remises à la gendarmerie qui avaient été entreposées dans la région de Corte, firent l’objet d’une vente aux enchères dans les années 70. Au printemps de 1943, des modifications furent envisagées à l’assiette de quelques postes, brigades et sections, modifications qui n’entraînaient pas une augmentation des effectifs, mais simplement le renforcement de certains postes importants à obtenir par la suppression d’autres postes moins chargés. Le commandement italien ne voulait voir dans ces modifications, commandées par l’intérêt du service, que la création d’unités étoffées des points sensibles. Il fit intervenir son gouvernement et l’ordre fut donné de ne pas procéder à ces aménagements d’effectifs.

Les Italiens avaient fait venir en Corse, outre d’autres éléments de police, sept à huit cents carabiniers, commandés par un général, assisté d’un, puis de deux colonels. Les effectifs de la gendarmerie dans l’île atteignaient à peine cinq cents gendarmes, commandés par un lieutenant-colonel.

Malgré les clauses de l’armistice, le commandement italien ne voulut pas de garde mobile en Corse, et celle-ci dut quitter l’île dès le début de 1943. Après ce départ, le bruit courut que la gendarmerie allait subir le même sort, et que son départ était envisagé. Les Italiens renoncèrent toutefois à prendre cette mesure, qui aurait été interprétée comme le prélude de l’annexion de la Corse à l’Italie, ce qui n’aurait eu pour résultat que d’exaspérer un peu plus une population dont ils n’ignoraient pas les sentiments à leur égard.

UN SI PRÉCIEUX FICHIER.

Au printemps de 1942, des officiers d’une commission italienne, au cours d’un de leurs déplacements, furent hués et sifflés à leur passage à Ghisonaccia. Atteinte au prestige « del valoroso esercito ! ». Le gouvernement de Vichy, saisi par Rome, demanda, par télégramme, des explications. En ma qualité de commandant de gendarmerie à Bastia, je dus me rendre à Ghisonaccia, enquêter, fournir un rapport… Pour éviter des représailles, je m’efforçai de minimiser l’incident, le mettant sur le compte de gamins ayant l’habitude de siffler au passage des cars et des voitures automobiles… Certes, le commandant de la section de gendarmerie de Ghisonaccia, prévenu du passage de la commission n’avait pris aucune disposition pour en assurer la protection. La faute commise fut sanctionnée par huit jours d’arrêts, avec sursis, sanction pour la forme, qui au lendemain de la libération fut considérée comme une référence en faveur de celui qui en avait été l’objet, l’adjudant Laurelli, promu au grade supérieur.

Le 11 novembre 1942, seul officier supérieur de gendarmerie à Bastia, j’appris l’arrivée des troupes d’occupation, alors que les bâtiments qui les transportaient étaient en vue dans le port. Le choc fut terrible. Ce n’était pas tout à fait le moment de s’abandonner, et sur-le-champ, de ma propre initiative, je pris les mesures destinées à protéger certains éléments de la population.

Chaque officier, chaque commandant de brigade détenait dans son bureau la liste des personnes considérées comme suspectes par le gouvernement de Vichy (gaullistes, communistes, républicains, FP, etc.), la liste des hommes de tous-grades dégagés d’obligations militaires – leur total dépassait 7.000 – que la gendarmerie avait reçu ordre, en 1940, de recruter et d’organiser en unités dites de « Garde territoriale » pour, éventuellement, combattre avec les troupes régulières stationnées dans l’île, en cas de débarquement ennemi. L’armistice survint peu après et ces hommes n’eurent, à part certaines surveillances du littoral, aucun rôle à jouer. Mais plus tard, ils constituèrent, avec les militaires rendus à la vie civile par la démobilisation, les groupes de combat qui devaient participer, pour une très large part, à la libération de l’île. (Il détenait aussi) les listes d’Italiens domiciliés en Corse, considérés comme suspects, et qui avaient été arrêtés à la déclaration de guerre par l’Italie, en juin 1940, pour être relâchés à la signature de l’armistice. En ce qui concerne ces (dernières) listes, ce qui avait de l’importance, c’étaient les rapports qui les accompagnaient. Ils contenaient des déclarations de patriotes corses sur l’activité anti-française de ces Italiens. Toutes les arrestations – 500 environ – avaient été opérées par la gendarmerie. Et, bien que les autorités italiennes n’aient jamais fourni de précisions, il n’est pas douteux que beaucoup de plaintes portées contre la gendarmerie pendant l’occupation ont été inspirées par les Italiens incarcérés n’attendant que l’occasion de se venger2À Petreto-Bicchisano, trois gendarmes furent lors de la grande rafle, arrêtés, emprisonnés et internés sur le continent : Louis Fortin, Ange-Marie Giovanni et Ange-François Pozzo di Borgo. Enfin, chaque officier avait en sa possession des documents concernant la mobilisation, la défense de la Corse, d’autres documents, de tous ordres, du plus grand intérêt pour l’occupant s’il parvenait à s’en saisir…

AVEC LES RÉSISTANTS.

Je décidai de les faire détruire, dans un court délai – 2 heures avant le débarquement -. Ceux détenus à Bastia furent brûlés, en ma présence, dans la cour de la gendarmerie. Pendant que l’ordre était donné, par téléphone, aux 60 postes de gendarmerie de détruire, immédiatement, sans en faire l’énumération, toutes les pièces secrètes en leur possession…

C’est surtout pendant les six derniers mois de l’occupation que les incidents se multiplièrent. Aux nombreuses arrestations opérées, aux mesures dolosives et humiliantes répondaient les attaques des patriotes contre les troupes d’occupation. Personnellement, pendant l’occupation, au moment de la libération, j’ai eu des contacts fréquents avec les résistants. En particulier, le chef de bataillon Pietri, grand officier de la Légion d’honneur, l’organisateur de la résistance dans le sud de la Corse, était porteur d’un papier, portant ma signature, prescrivant aux militaires de la gendarmerie de lui prêter leur concours. C’est ainsi que des gendarmes de la région de Sartène, Levie, Zonza furent blessés par les Allemands, septembre-octobre 1943, ainsi que d’autres, dans l’accomplissement de leur mission, dans la région de Bastia.

Au mois d’août 1943, un parachutage d’armes est effectué près du village d’Ocana. Deux gendarmes se trouvaient sur les lieux, aidant à l’enlèvement du matériel par la population. Les deux gendarmes firent l’objet d’une plainte de la part du commandement italien. Saisi du dossier de l’affaire, je fis traîner l’enquête en longueur, et ne pris aucune sanction contre les gendarmes qui, le mois suivant, après la signature de l’armistice, furent félicités. […] Trois de mes officiers ont été décorés de la Légion d’honneur à titre exceptionnel pour services rendus à la Résistance, ce chiffre n’ayant été atteint par aucune légion de la France métropolitaine. Sans parler des nombreuses « Croix de guerre » et autres récompenses décernées à d’autres gendarmes, sur la proposition de leur chef, (signataire de ce rapport). […] On a soutenu dans la presse et devant les tribunaux que les fonctionnaires n’auraient pas dû assurer leur service sous le règne de Vichy, car il impliquait la collaboration avec l’ennemi. La question est controversée. Toutefois, ce reproche ne saurait être adressé aux fonctionnaires, civils ou militaires, qui, souvent au péril de leur vie, ont, par des prodiges d’adresse et de courage, servi leur patrie et leurs compatriotes, et qui ont droit au titre de résistants3Dans sa « Libération de la Corse », le général Gambiez écrit (p. 93): « Presque partout la gendarmerie aidera la résistance, l’adjudant Labussière deviendra autour de Bonifacio chef d’un réseau de renseignements sur les déplacements ennemis, avec les gendarmes Gonalch et Mortier; l’adjudant-chef Paganelli, les gendarmes Carbone, Cornu et Oustry, combattront à la libération. La police forme aussi les résistants à ses méthodes ». De son côté Maurice Choury rapporte que dans la région de Moita, un pilote trompé par des feux de berger, largue les containers d’armes sur le village et non sur le terrain prévu. Un cylindre tombe près de la gendarmerie. Le brigadier le restitue au chef des patriotes.

Lieutenant-colonel SUSINI

1/C’est sur ordre de l’occupant que le préfet avait prescrit à la gendarmerie de faire remettre par les habitants de l’île toutes les armes en leur possession. L’application de cette mesure fut, dans les faits, très limitée. D’une part, les gendarmes avaient conseillé aux Corses de ne présenter que des armes hors d’usage ; d’autre part, les armes en état avaient été mises en lieux sûrs par leurs propriétaires, pour être sorties au jour « J ». Les armes remises à la gendarmerie qui avaient été entreposées dans la région de Corte, firent l’objet d’une vente aux enchères dans les années 70.

2/ À Petreto-Bicchisano, trois gendarmes furent lors de la grande rafle, arrêtés, emprisonnés et internés sur le continent : Louis Fortin, Ange-Marie Giovanni et Ange-François Pozzo di Borgo.

3/ Dans sa « Libération de la Corse », le général Gambiez écrit (p. 93): « Presque partout la gendarmerie aidera la résistance, l’adjudant Labussière deviendra autour de Bonifacio chef d’un réseau de renseignements sur les déplacements ennemis, avec les gendarmes Gonalch et Mortier; l’adjudant-chef Paganelli, les gendarmes Carbone, Cornu et Oustry, combattront à la libération. La police forme aussi les résistants à ses méthodes ». De son côté Maurice Choury rapporte que dans la région de Moita, un pilote trompé par des feux de berger, largue les containers d’armes sur le village et non sur le terrain prévu. Un cylindre tombe près de la gendarmerie. Le brigadier le restitue au chef des patriotes.

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