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Archives : éditoriaux L’Europe, perspective et tourment.

27 juin 2012
En ce printemps 1942, il y a 70 ans, la machine de guerre nazie commence à donner des signes d’essoufflement : la campagne d’hiver à l’est a failli tourner au désastre, la Grande-Bretagne résiste toujours et dans le sud de l’Europe il faut pallier aux déficiences de l’allié italien. La décision de la destruction des juifs –une obsession nazie- s’accélère. Qu’à cela ne tienne ! Le gouvernement de Vichy obéit : le port de l’étoile jaune est décidé le 29 mai, prélude aux grandes déportations de l’été 1942. Et pour son effort de guerre, l’Allemagne demande toujours plus de soutien aux pays vassalisés comme la France. Qu’à cela ne tienne ! Laval et Pétain mettent en place « la relève » : pour trois travailleurs spécialisés qui partent en Allemagne, un prisonnier français est libéré.

 

C’est un coup de canif, un de plus, porté à la soi-disant neutralité du gouvernement de Vichy. Aussi pour se justifier auprès de l’opinion française, Laval prononce le 22 juin 1942 une allocution radiodiffusée où il exprime clairement ce qu’il attend de la collaboration avec Hitler : « …de cette guerre surgira inévitablement une nouvelle Europe. On parle souvent d’Europe, c’est un mot auquel, en France, on n’est pas encore très habitué. On aime son pays parce qu’on aime son village. Pour moi, Français, je voudrais que demain nous puissions aimer une Europe dans laquelle la France aura une place qui sera digne d’elle. Pour construire cette Europe, l’Allemagne est en train de livrer des combats gigantesques. Elle doit, avec d’autres, consentir d’immenses sacrifices. Et elle ne ménage pas le sang de sa jeunesse. Pour la jeter dans la bataille, elle va la chercher dans les usines et aux champs. Je souhaite la victoire de l’Allemagne parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s’installerait partout. »

On a surtout retenu de cette allocution « Je souhaite la victoire de l’Allemagne … », qui mettait à mal tous les efforts du gouvernement de Vichy pour faire croire à sa neutralité. Ce fut en effet un tournant dans l’opinion. Mais Laval y exprime aussi sa vision de l’avenir. Dans le nouvel ordre européen qui naîtra de la victoire de la « Pax Germanica » souhaitée, Laval attend que les nazis veuillent bien ménager un espace à la France. C’est une toute autre vision de l’Europe – l’Europe des droits de l’homme et du citoyen- qui nourrit le rêve de toutes les Résistances européennes ; une toute autre vision de la France pour laquelle luttait la Résistance française ; la France de 1789 à laquelle la Corse a adhéré officiellement le 30 novembre 1789, la France révolutionnaire à laquelle faisait référence Arthur Giovoni lors du 50ème anniversaire de la libération.

Alors que faire soixante dix ans après de cet héritage patriotique à l’heure de la construction européenne et de la mondialisation ? Que faire aujourd’hui du vœu d’une France souveraine dans une Europe unie sur les fondements de cet humanisme qui de la Renaissance aux Lumières a fécondé une pensée européenne originale ? …Une Europe de la pensée et du progrès humain, celle voulue par la Résistance, à l’opposé de celle de l’argent, du profit, des trusts, des robots que dénonçait, en son temps, Georges Bernanos, l’écrivain catholique antifasciste, l’auteur des « Grands cimetières sous la lune ». (1) Bernanos craignait que notre continent devienne un espace sans personnalité et sans âme.  « La civilisation européenne s’écroule, déplorait-il, et on ne la  remplace par rien, voilà la vérité. A la place de ces immenses épargnes accumulées de civilisation, d’humanité, de spiritualité et de sainteté  (Bernanos voulait dire celles accumulées par tous les peuples d’Europe), on offre de déposer un chèque sans provision signé d’un nom inconnu puisqu’il est celui d’une créature à venir. Nous refusons de rendre l’Europe. Et d’ailleurs on ne nous demande pas de la rendre, on nous demande de la liquider. Nous refusons de liquider l’Europe. » (1) Et comme en écho au propos de Bernanos, le général de Gaulle, un peu désabusé, confiait à Malraux quelques décennies plus tard : « J’ai tenté de dresser la France contre la fin d’un monde. Ai-je échoué ? (…) Il ne s’agit pas de savoir si la France fera l’Europe, il s’agit de comprendre qu’elle est menacée par la mort de l’Europe. »(2)

Ce ne sont pas là bien sur paroles d’évangile mais propos à méditer ; des propos qui coïncident ; ce qui leur donne encore plus de résonnance dans les tourments de notre actualité ; des propos qui disent bien ce qui avait été essentiel pour la Résistance et en avait fait le ciment de son unité contre le fascisme. Et peut-être que le peuples d’Europe font quelques décennies plus tard, l’amer constat d’un chèque sans provision, comme dit Bernanos, que nous aurait remis un inconnu (pas si inconnu que ça : nommons le « Finance et Spéculation ») auquel en échange nous avons abandonné les destinées de l’Europe. L’Europe, une belle utopie blessée. Alors crions avec Bernanos : « Nous refusons de rendre l’Europe ! » « Nous refusons de liquider l’Europe ! ».

Certes l’histoire ne se répète pas, mais elle nous instruit. Alors, n’oublions jamais que c’est la force militaire qui est venue à bout des régimes portés par l’idéologie national-socialiste. Pour autant on en a pas fini, le 8 mai 1945  avec la « bête immonde ».  C’est la gouvenance de l’Europe abandonnée à la finance et la crise qui en découle pour les peuples dont elle se nourrit aujourd’hui. Alors, rendez-nous l’Europe !

Antoine POLETTI

  1. Cité par Jean-Marie Rouart dans « La France qui s’en va » Ed. grasset. P.228
  2. Cité par André Malraux dans « Les chênes qu’on abat » 

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