Quelle stratégie ?
Le pluralisme de la Résistance et sa maturation au fil des mois vont de pair avec l’apparition de problèmes restés latents jusque là : celui de l’action et celui des enjeux politiques de l’après-Libération.
Jusqu’au printemps 1943, un des facteurs de tiraillements internes de la Résistance est lié aux divergences sur la conception du combat. Comment, en particulier, l’action des groupes armés devra-t-elle s’articuler avec celle de la population ? Est-il bon, même avant que le débarquement ne déclenche la bataille décisive, d’y préparer l’ensemble de la population pour la faire participer elle-même au combat ? Ne convient-il pas de la tenir à l’écart et lui assigner un rôle de soutien psychologique et logistique ? Ces questions font débat entre les deux versants de la Résistance insulaire que sont, à l’origine, les réseaux et le Front National.
Les réseaux
Les réseaux, qu’ils soient d’inspiration gaulliste comme les réseaux R2 et FFL mis en place par Fred Scamaroni, ou d’inspiration giraudiste comme le réseau Pearl Harbor ont pour mission essentielle un travail militaire précis : le renseignement, le repérage, les points de parachutage et éventuellement les sabotages. L’objectif militaire essentiel n’est pas de préparer l’insurrection mais de favoriser un éventuel débarquement allié en obtenant de la Résistance la meilleure coopération possible. L’objectif politique est d’unifier la Résistance sous l’autorité d’Alger.
Le Front National
Très différente est la stratégie du Front National né en mai 1941 d’une initiative du PCF. Même si la consonance « frontiste » peut évoquer le Front populaire, ce Front National est très dissemblable. Le F.N entend, par des adhésions individuelles et non par entente au sommet des organisations de gauche, rassembler quelles que soient leurs options politiques religieuses et philosophiques, tous les hommes et toutes les femmes dont les efforts sont orientés dans le sens d’une véritable lutte contre l’oppression que subit la nation. Il se fixe comme objectif d’encadrer la population patriote dans une multitude de groupes de base afin de rendre la répression ennemie très difficile ; en somme, un mouvement de masse morcelé par les nécessité du combat illégal. Dès la fin de 1942, ce F.N. oriente ses efforts vers la valorisation d’une insurrection générale, couplée à la grève, raccordée étroitement au mouvement revendicatif.
Deux stratégies qui s’opposent
Grosso modo, jusqu au printemps 1943, deux sensibilités s’opposent : les uns préconisent une action militante et autonome qui ne serait pas suspendue au jour « J » et mobiliserait d’une manière ou d’une autre l’ensemble de la population. A cette ligne, défendue par le F.N.s’opposent, dans un premier temps ceux qui fourbissent leurs armes pour un jour « J » programmé par Alger dans le cadre d’une action spécifiquement militaire. Si au départ les points de vue paraissent inconciliables, l’évolution de la situation générale, en France occupée, à Londres puis Alger, va conduire, en Corse, un rapprochement salutaire au printemps 1943.
En France continentale, le dynamisme de la Résistance intérieure favorise le rapprochement de toutes ses composantes. Soucieux de conforter sa position vis à vis d’Alger « giraudiste » et en butte à la méfiance des Américains, le Général de Gaulle se rapproche des communistes et ébrèche les consignes attentistes données aux réseaux. Dans l’ombre se profile l’unité de la Résistance (Fondation du C.N.R. en mai 1943). En Corse, le démantèlement des réseaux FFL par l’ennemi, l’implantation croissante du FN, le réalisme de Paul Colonna d’Istria qui a remplacé de Saule à la tête de la mission Pearl Harbor, vont accélérer le regroupement de la Résistance dans et autour du F.N. et cela sous un triple mot d’ordre : chasser l’envahisseur, liquider le régime de Vichy et donner la parole au peuple.
Paul Colonna d’Istria et le Front national
Cet accord enfin réalisé, malgré des réticences « algéroises » certaines, amène à dire que, s’il serait erroné de sous-estimer les tensions qui ont pu exister, on aurait autant tort de les grossir car, à bien des égards, la Résistance apparaît solidaire. Et d’abord par son ciment antifasciste, patriotique et jacobin. Que tout un chacun ait eu en arrière pensée des plans politiques pour le futur, c’est évident, mais on peut dire que les responsables de la Résistance insulaire firent passer la libération de l’île avant les intérêts partisans.
Ange-Marie FILIPPI-CODACCION