
« La victoire en pleurant », c’est le titre du dernier livre écrit par Daniel Cordier qui fut le dévoué secrétaire de Jean Moulin. Un témoignage désabusé pour dire ses espoirs douchés dès l’immédiat après-guerre. Un pessimisme abusif ? Voire !
Ce 8 mai 2025 nous avons célébré le 80ème anniversaire de la victoire sur le nazisme, la fin de la guerre en Europe avec la capitulation du l’Allemagne. Quatre mois plus tard, le 2 septembre, c’était au tour du Japon de rendre les armes. La victoire des Alliés enfin, mais à quel prix ! Sur les ruines de leurs pays, les peuples pleurent leurs morts et pansent leurs plaies. Plus jamais ça ! se promettent-ils et s’autorisent à espérer dans « Les promesses de l’aube » 1La Promesse de l’aube. Romain Gary. Ed. Gallimard. Folio poche. En France, celles des « Jours heureux » du programme du Conseil National de la Résistance : une France solidaire, fraternelle et souveraine « avec une organisation internationale des rapports de toutes natures entre toutes les nations, telle que dans un monde dont l’interdépendance est désormais la loi, chaque peuple puisse se développer suivant son génie propre, et sans subir aucune oppression politique ni économique » précisait le général de Gaulle.
Qu’est-il advenu de ces promesses faites il y a 80 ans ? À la question de savoir si le monde d’aujourd’hui est à la hauteur des sacrifices consentis et des engagements pris alors, assurément, NON ! Les inégalités sociales, l’oppression, le fanatisme religieux, les conflits ethniques, la faim, les guerres sévissent partout dans le monde n’épargnant pas les populations civiles – pire ! elles sont prises en en otages par les protagonistes. Ces fléaux contraignent chaque année des millions d’hommes, de femmes et d’enfants à fuir la terre où ils vivaient pour essayer de trouver refuge ailleurs, parfois loin de leur pays. Et quel avenir pour notre planète épuisée par l’usage effréné que les hommes font des ressources qu’elle lui offre. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » avait lancé un chef d’État à un sommet de la terre2Cette phrase prononcée par Jacques Chirac lors du IVe sommet de la Terre, en 2002. Cette phrase écrite par Jean-Paul Deléage, historien des sciences de l’environnement, a été reprise par Jacques Chirac lors du IVe sommet de la Terre, en 2002.
Bafoués les droits de l’homme, ceux des femmes plus encore. Piétinées les promesses de paix et le respect des peuples dans leurs frontières. Transgressés les grands principes universalistes qui ont inspiré la Charte des Nations-Unies. Pas un continent sur la carte de la mappemonde où ne se hérissent des régimes autoritaires, voire des dictatures agressives pour qui « le droit de la force prime la force du droit ». Le mal est profond. Ce grand désordre du monde fait douter de la démocratie dans des pays qui en sont le berceau et devraient en être les défenseurs. En leur sein même, percent les relents de cette idéologie qui a mis le monde à feu et à sang. On peut à raison s’interroger sur l’ambigüité de ces bras tendus comme pour un salut fasciste sur une affiche de campagne électorale en Allemagne3Une affiche du parti d’extrême droite Alternative for Deutchland ou lors d’un rassemblement politique aux États-Unis4Le salut d’Elon Musk lors de la campagne pour l’investiture de Donald Trump ; s’inquiéter en Corse des discours visant à la réhabilitation d’irrédentistes collaborateurs notoires.
Non que toutes les promesses de 1945 aient été trahies puisque de grandes réformes économiques et sociales ont modifié en profondeur et durablement la vie des Français ; les puissances d’argent mises à la raison, un souffle nouveau a été donné à la vie démocratique. Mais au fil des années qui suivirent il a fallu déchanter. « L’esprit de 45 »5Titre d’un film-documentaire de Ken Loach qui narre la déception des classes populaires après guerre en Angleterre s’est essoufflé. « Notre printemps est manqué, déplorait Wladimir Jankelevitch. Mais sans pour autant perdre espoir, il poursuivait : « … peut-être que tout cela valait mieux pour nous ? Peut-être cet enlisement de toute générosité et de tout héroïsme créateur tient-il à une grande loi métaphysique qui si elle permet par instants, à l’homme d’atteindre les sommets de lui-même, lui interdit de s’y tenir ? Bien des printemps se trament encore dans les sillons et dans les arbres ; à nous de savoir les préparer à travers de nouvelles luttes et de nouvelles épreuves »6Acceptons-en l’augure et restons optimiste avec Wladimir Jankelevitch en dépit d’une actualité qui incline peu à l’être.
A.P.