
Dans un article intitulé « Comment le Musée de la Résistance tisse sa toile sur la Corse », le média pure player Corse Net Infos1consulté le mercredi 4 Juin 2025 à 19:35 consacre, et c’est heureux, un article au musée de la Résistance de Zonza, plus précisément sur son origine et sur ses ambitions. On ne pourrait que se féliciter de l’intérêt porté par CNI à ce musée si ce n’étaient les piques qui visent celui qui en est à l’origine, Jean-Noël Aïqui2Jean-Noël Aïqui est originaire de Zonza et non de San Gavino comme il est écrit dans l’article ; si nombreuses les piques que l’article tourne au plaidoyer pour justifier a postériori sa mise à l’écart. On reconnait à son créateur « ce qu’il a impulsé », mais est-ce assez dire ? Si la municipalité peut former aujourd’hui le projet de « tisser une toile mémorielle sur la Corse », c’est bien parce qu’en son centre, à l’origine, il y a une collection initiale. Soit, mais « très lacunaire dit Sylvain Grégori le nouveau directeur du musée [puisque] on en a conservé environ 20 % ». En outre, renchéri le rédacteur de CNI, « Aussi intéressante qu’elle soit, la collection restait privée ». Pas si privée que ça puisque certains objets exposés, et pas des moindres, n’appartenaient pas J-N. Aïqui. Ils devraient, si ce n’est déjà fait, être restitués à leurs propriétaires : entre autres, le Musée A Bandera, la famille de Butler3Colonel du 1er régiment de tirailleurs marocains (1er RTM). Le drapeau nazi qui flottait sur le QG allemand à Bastia a été remis au colonel (devenu plus tard général) par les tabors marocains qu’il commandait. Gageons que la chenillette4Une chenillette italienne Fiat Ansaldo 47-32 de 8 tonnes et le canon, remis à neuf, exposés dans la vitrine à l’extérieur du musée et dont J.-N. Aïqui s’est dessaisi au profit de la mairie, ne feront pas parties des 80 % ne seront plus exposés ! Avis aux collectionneurs parce que ce sont des objets très prisés.
Plus sérieusement, il est dommage qu’en n’ayant pas eu plus d’égard pour le créateur du musée, la nouvelle municipalité nationaliste se prive de ses connaissances en matière d’armement – sans doute est-il le meilleur connaisseur en Corse. Il avait sa place dans un conseil du musée, quand bien même la nouvelle ambition de la mairie et son directeur est de « raconter la société corse durant la Résistance, affirme le directeur du musée ». Le militaire et le civil ne sont pas incompatibles. Mieux : un trait majeur qui caractérise la résistance insulaire c’est l’amalgame réussi de la résistance militaire et civile, à savoir les missions venues d’Afrique du Nord, puis, durant les combats de la libération, l’armée avec la résistance civile insulaire, plus précisément le « Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France », d’obédience communiste puisqu’après la mort de Fred Scamaroni (mission Sea Urchin) et la liquidation du réseau R2 gaulliste par l’ennemi, le Front national resta la seule organisation de la résistance insulaire avec qui a pu travailler la mission Pearl Harbour, elle, la seule mission rescapée qui vivra jusqu’à l’insurrection victorieuse.
Sachant que muséographie et scénographie s’accommodent mieux de la chose militaire que civile, plus facile à montrer, l’ANACR 2A ne manquait pas, lors des « parcours mémoires » qu’elle organisait avec l’ONACVG, de corriger ce qui n’était pas assez visible et souligné dans les vitrines du musée. Souhaitons aux concepteurs du musée, nouvelle version, de réussir à mieux montrer cette résistance civile.
En 2019, dans une étude intitulée « Mémoire et histoire de la Résistance en Corse », l’historien Francis Pomponi pointait en conclusion « une ligne historiographique, en quête de renouvellement [procédant] d’une démarche qui se veut plus anthropologique et qui cultive, dans une option identitaire, la mise à jour de caractères spécifiques avec l’intention de mieux rendre compte des attitudes collectives […], une voie qui prend du champ par rapport aux approches jugées trop « traditionnelles » et entachées de positivisme ». Mais Francis Pomponi mettait en garde contre « une autre piste plus radicale que la précédente mais qui s’y apparente, celle d’une résistance identitaire tendant à accréditer l’idée que ce mouvement intérieur a plus été mû par la volonté de libérer la Corse que d’apporter sa contribution au mouvement général et national de la libération de la France. Le tour en sera plus vite fait car elle repose sur des bases ténues et relève d’une tentative d’instrumentalisation ponctuelle et téléologique qui a du mal à faire école ». En dépit de cette conclusion optimiste de Francis Pomponi, le risque existe néanmoins d’un projet de « musée des résistances », un peu fourre tout, tel que souhaité par le président nationaliste de l’exécutif de Corse, Gilles Siméoni ; un vœu exprimé publiquement lors des obsèques de Léo Micheli, décédé le 31 août 2021, en présence de la présidente de la Présidente du Conseil économique, social, environnemental et culturel de Corse, Marie-Jeanne Nicoli. Le projet ayant échoué, leur espoir s’est alors porté sur le musée de Zonza quand Nicolas Cucchi, porté par une majorité nationaliste, est devenu le premier magistrat du village. Pour l’heure on en reste à un musée de la Résistance et c’est heureux.
À suivre.
Andrée Vespérini et Antoine Poletti