
Présentation. Fin des années 70, Francette Nicoli, la fille de Jean, accuse le Front National d’avoir fait preuve de tiédeur -pour le moins- quand pourtant, pense-t-elle, à plusieurs reprises on aurait pu sauver son père, Jean. Vingt ans plus tard, dans un livre écrit en collaboration avec Francis Arzalier1Jean Nicoli, de la colonie à la Corse en résistance, l’itinéraire d’un homme libre. Ed. Albiana 2003[. pp 177 et svt, elle répertorie les occasions manquées : quand son père était prisonnier à la caserne Battesti à Ajaccio (refus des dirigeants du F.N. de stratagèmes ou d’un commando du Sartenais pour tenter de le faire évader), refus d’attaquer le convoi qui faisait le transfert ds prisonniers d’Ajaccio vers Bastia où ils devaient être jugés, et inertie des dirigeants du F.N. qui sont bercés d’illusions sur le colonel Cagnoni sur qui il croyaient pouvoir compter. Le 30 août, les juges prononcent trois condamnations à mort, celles de Michel Bozzi, Jean Nicoli et Pierre Luigi. Quatre jours plus tard, les négociations avec les Alliés, commencées après la chute de Mussolini, le 25 juillet, sont conclues par un armistice attendu depuis la chute de Mussolini le 25 juillet. Depuis cette date, le général Vercellino, commandant les troupe italiennes dans le Sud-Est de la France fait commuer toutes le peines de mort des résistants et sursoit ainsi à leur exécution. On aurait pu espérer la même conduite de son homologue en Corse. C’était sans compter sur la détermination du général fasciste en Corse : en fasciste zélé, il fera exécuter les peines jusqu’à la veille de l’armistice et traîne les pieds pour appliquer les clauses de l’armistice, au grand dam de son état-major à Rome.
Interview d’ Albert Ferracci au journal U Ribombu du 16 août 2003)
(…) « C’est vrai, l’engagement avait été pris de sauver Jean Nicoli. Des choses avaient été faites mais tout cela était prévu en cas de transfert de Jean Nicoli par train. Or nous avons été transporté en train, mais Jean Nicoli n’a pas été transféré en train mais en camion. Donc cela n’avait pas de sens ; c’est Jean Nicoli qu’il fallait sauver ! On ne peut donc pas dire que nous n’avons pas fait le nécessaire, puisqu’il n’a pas été transféré par train. Dans la région de Bocognano, il y avait un groupe prévu pour attaquer le train mais qui pouvait savoir qu’il serait transporté par camion, qui ? Qui peut dire que nous n’avons pas fait le nécessaire ?
Différents scénarios de sa délivrance sont envisagés. Le 20 ou le 21 juillet suivants, dans notre P.C. du secteur de l’arrière pays de Porto Vecchio, un des responsables militaires, Joseph Pietri (qui devait trouver la mort sur le front italien) reçut de la direction du Front National l’ordre d’organiser deux barrages : l’un sur la route de l’Ospedale et l’autre sur la route dite stratégique de Baccino, en vue d’intercepter et de capturer l’officier italien qui se rendait quotidiennement de l’Alta Rocca à Porto Vecchio en mission d’inspection. La capture devait servir à négocier la libération de Jean Nicoli.
Les deux barrages furent aussitôt organisés ; le temps de mobiliser deux groupes d’une quinzaine de patriotes. Je fis partie du commando qui devait se rendre sur la route de Baccino sous la conduite de Vincent Giovangili (commerçant à Porto Vecchio) et constitué de Paul Ciabrini, Julien Milalini, Antoine Santini, Paul Andrietti et quelques autres. Julien Milanini et moi étions d’autant plus déterminés que nous avions chacun un frère détenu : Pierre Jean Milanini bien connu et François Ferracci (Voir p.82 dans « Tous bandits d’honneur » de Maurice Choury). Un autre commando de même importance partit sur la route de l’Ospedale.
Pour notre part, nous partîmes tôt afin d’être sur place à la première heure de ce 24 juillet, à un endroit situé sur la route entre le tunnel d’Usciolo et le col de Baccino. Nous prîmes position sur le talus de part et d’autre de la route en évitant les vis à vis. Cent mètres plus haut se tenaient deux patriotes et cent mètres plus bas deux autres, prêts à barrer la route au moyen d’un chêne chacun, préalablement coupé, camouflé et laissé debout à la verticale, prêt à être abattu en travers de la route au passage des Italiens. Nous étions ravitaillés avec les pauvres moyens de l’époque par la famille du lieutenant François Cucchi domiciliée à Radicce, non loin du col et dans la région d’Oronu-Carbini.
Le 24 juillet, de toute la journée, un seul side-car se présente avec deux soldats qui chantonnaient une romance. Ils passèrent devant nous sans se douter de rien. Même attente vaine le 25 juillet sans le moindre véhicule. Ce même jour, à minuit, François Cucchi vint nous avertir que Mussolini venait d’être renversé. Avec cette nouvelle, nous comprîmes que dans l’état major ennemi de l’Alta Rocca devait régner le désarroi.
Néanmoins nous reprîmes nos positions toute la journée du 26 juillet mais le 26 au soir, Vincent Giovangili nous demanda de lever le barrage. L’autre commando, sur la route de l’Ospedale, fit de même. Et nous nous retrouvâmes tous le 27 à notre P.C.
Joseph Pietri ne reçut plus aucune mission de cet ordre. L’opinion qui était la nôtre à ce moment là était que le renversement de Mussolini signifiait que des secteurs importants de la classe dirigeante italienne voulait se retirer d’une guerre qu’elle savait perdue. A notre niveau on en tira la conclusion, hélas erronée, que la répression et surtout les exécutions allaient cesser.
Nous ne sûmes jamais si la direction de la Résistance partagea cette illusion hélas tragique. Sans doute a-t-on aussi trop compté sur les bons offices du colonel Gianni Cagnioni dont le rôle n’aura pas été sans ombre. Même à soixante années de distance comment ne pas ressentir jusqu’à la fin la tragédie de cette illusion ?